Monsieur le premier ministre, vos coupes ont des noms

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Lettre à un sans cœur

Cette semaine, Claude Aubin le flic fait place à Claude Aubin le grand-père. J'ai la chance et le bonheur d'avoir deux magnifiques «petits gnomes» comme petits-enfants. Ils sont nés différents: ils sont autistes, brillants, les yeux vifs et pétillants quand ils sont dans leur sphère d'intérêt.

Je vous raconte ça, parce j'ai peur pour eux. J'ai peur des coupures sauvages, des compressions sans cœur, de l'austérité commandée par des bedonnants richement rémunérés et de l'indifférence qu'ils démontrent face aux drames ce qui vont se produire.



Alors donc, la chronique de cette semaine sera parsemée d'un texte écrit par une mère courageuse tout autant que dévouée, ma fille Marie. Cette lettre aurait pu être le fruit de milliers d'autres voix, celles des mères à bout de souffle, des pères dépassés, des entourages tentant de les soulager quelques heures, le temps de se refaire des forces. Cette lettre commence ainsi.

«Monsieur le premier ministre,

Je vous écris, ne serait-ce que pour le respect que l'on doit à mes deux grands guerriers. Des guerriers comme vous n'en avez jamais vu, monsieur, beaucoup plus braves et courageux que tous les hommes et femmes composant les plus grandes armées.

Deux petits hommes de 8 et 10 ans, tous deux autistes de haut niveau, capables de fonctionner dans «notre société», et qui doivent aller à la guerre un jour après l'autre. Affronter leurs pairs qui, dans la cour de récréation, ne savent pas trop y faire avec ces enfants bizarres, affronter les cahiers, travaux et ateliers qui, comme des monstres, semblent vouloir les avaler tout rond. Pourtant, leurs yeux sont grand ouverts et leurs oreilles droites telles des antennes paraboliques, mais rien n'y fait, ils ne comprennent pas. Le sens de notre monde, la manière dont nous avons de leur expliquer ne leur convient pas, mais que peut-on y faire ?

Heureusement, il existe des décodeurs ! Ces décodeurs se trouvent dans les écoles. On les nomme techniciens en éducation spécialisée, enseignants en adaptation scolaire, psychoéducateurs, orthopédagogues. Il y a encore cinq années de cela, ces décodeurs étaient disponibles. En nombre insuffisant, certes, mais ils y étaient ! Peu à peu, mes garçons ont d'abord dû partager le leur avec quelques compagnons de classe.

Puis l'année suivante, ce fut avec la classe au complet. Et puis quand on jugeait le décodeur requis, c'est-à-dire quand mes fils n'allaient pas bien et que quelqu'un devait répondre à la situation (ah bon ! je ne savais pas mes fils autistes à temps partiel). Cette année, le décodeur de mon plus jeune garçon dessert maintenant le tiers des 500 élèves de son école...»

Louise et moi, en tant que grands-parents les accompagnant, nous avons vu évoluer ces petits magiciens avec toutes leurs peurs, leurs anxiétés et ce désir de comprendre nos codes. Pas facile pour eux de rencontrer des personnes inconnues qui, malgré toute leur bonne volonté, doivent pouvoir communiquer avec ces deux enfants, juste un peu différents. Nous devons nous adapter, mais c'est aussi leur lot.

S'adapter pour eux, signifie décoder, faire confiance, s'ouvrir. Pour des enfants autistes, c'est la mer à boire. La différence entre le succès et l'échec ne tient qu'à un fil, et ce fil se nomme: la classe spécialisée. Encore une fois, je vous réfère à cette émouvante sortie.

«À la suite de quatre années d'un parcours scolaire en classe régulière où les bas se sont succédé plus que les hauts, quatre années à tenter d'intéresser mon garçon à son parcours scolaire et à chercher désespérément le moyen de rehausser son estime de soi, et ce, malgré les échecs trop nombreux, il y eut la lumière au bout du tunnel. Mon grand petit homme de 10 ans a eu le grand privilège, cette année, de fréquenter une classe spécialisée avec moins de compagnons avec lui, des « décodeurs » présents à temps plein, un professeur en adaptation scolaire, une orthophoniste et même une psychologue.

Eh bien, vous savez quoi ? Il a alors cessé de se sauver pour aller se cacher dans les placards et les toilettes pendant la classe, il a aussi cessé d'avoir une attitude agressive envers nous ainsi que ses compagnons et il a recommencé à se mettre au travail. Du premier cycle, où il pataugeait depuis presque quatre ans, il s'est maintenant reclassé au niveau du deuxième cycle en l'espace de 3 mois et il a accompli les mêmes travaux que les élèves des classes régulières.

Je vous explique tout ça pour que vous puissiez constater par vous-même que l'autisme n'est pas une question de capacité intellectuelle, pourvu que l'on puisse fournir un décodeur à ceux qui ont ce besoin. Auriez-vous l'idée d'enlever les fauteuils roulants à des personnes quadriplégiques ? Vous riez ? Pensez-y, plutôt.



«Maman, je fais de mon mieux», me répète souvent mon grand fantassin. Oui, effectivement, il le fait, mais, de toute évidence, son mieux ne sera plus suffisant si vous mettez à exécution votre coupe à blanc dans notre système scolaire.

Vous nous préparez une bien drôle de relève pour les années à venir, mais de cela, vous ne vous sentez certainement pas concerné. Vous serez sans doute trop occupé à quémander à une des rares préposées de votre CHSLD votre petit jus d'orange dilué...»

Si d'aventure un ministre se réveillait demain avec un petit-fils ou une petite-fille nés dans les mêmes conditions, il comprendrait peut être les lacunes de ce système sans cœur, géré par les budgets et le compagnonnage malsain qui mène aux demi-mesures, puis au quart de mesures, en espérant qu'en ne voyant pas le problème, il se réglera de lui-même.

Les derniers mots de cette missive sont aussi les plus percutants. Nous les aînés, les grands-parents, il va falloir relever nos manches et signifier à ce gouvernement mesquin et sans cœur que nous n'avons pas travaillé aussi fort pour en arriver là. Une partie de notre relève ne doit pas grossir le lot des mal lotis par manque de volonté politique. La lettre de ma battante de fille se termine comme suit:

«Mes garçons sont des battants, leurs professeurs et tous les professionnels qui les entourent, ainsi que nous, parents. Mais pour combien de temps encore ?

M. le premier ministre, vos coupes ont des noms et des visages.

Marie-Josée Aubin, maman et éducatrice mobilisée.»

Messieurs les ministres de la Santé, de l'Éducation, des Affaires sociales, des Finances, vous qui, comme les présidents des grandes banques, coupez dans le personnel pour passer pour des phénix, qui sommeillez sans vous soucier des coupures, puisqu'elles ne vous touchent pas, craignez la fronde populaire. Le peuple ne dort pas autant que vous l'espérez. Souvenez-vous de ses mots dits à Louis XVI: «Non sire, ce n'est pas une révolte, c'est une révolution.»

Pouvons-nous nous permettre encore trois ans ces massacres à la tronçonneuse? Je ne le crois pas. En attenant, les mères se mobilisent, elles vont entraîner avec elles des pères, des oncles, des tantes, des grands-parents, des gens qui votent, et ça, messieurs les ministres, c'est mauvais signe.


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