Mise à mort

Des "8" sur la glace - rappelons à madame Bombardier que l'appui à la souveraineté dépasse très largement l'appui au chef péquiste. Alors écrire que "ce peuple ne répond plus à leurs desiderata", c'est visiblement prendre le champ... La faconde, même cultivée, peut être source d'aveuglement! - Vigile


Rien n'est plus mouvant, plus insidieux, plus volatil que les votes de confiance en politique. Madame Pauline Marois se souvient-elle encore de la journée où elle a reçu cet appui quasi unanime, 93 % des voix, de son parti lors du dernier congrès du PQ en avril dernier? Depuis, elle n'a cessé d'être pilonnée, bombardée, piégée, agressée, trahie et déconsidérée, avant tout par les péquistes.
À quelques jours d'un conseil national, il n'est plus invraisemblable de croire qu'elle pourrait tirer sa révérence sous les vivats retenus de ses anciens amis, certains honteux et culpabilisés d'avoir réussi le sale boulot. Car c'est toujours un sale boulot que de se débarrasser d'un chef qu'on a déjà plébiscité, à qui l'on a reconnu des qualités, qu'on a défendu devant les adversaires, qu'on a admiré ou prétendu le faire.
L'acharnement que les péquistes déploient, encore une fois, pour démolir leur chef dépasse désormais les lois implacables de la politique. Les Québécois sont les spectateurs ahuris d'une vendetta qui a peu à voir avec les divergences légitimes au sein d'un parti et la remise en cause du leadership dans les moments difficiles. Pour reprendre une image évangélique, on veut que Pauline Marois boive le calice jusqu'à la lie.
Elle est devenue, en un sens, le bouc émissaire des échecs référendaires, des échecs de ses prédécesseurs qui ont perdu le pouvoir, mais aussi de la désaffection progressive de l'électorat par rapport à la souveraineté. Comment Gilles Duceppe, chef du Bloc québécois battu à plate couture lors des dernières élections fédérales, peut-il revêtir aux yeux de souverainistes aveuglés ou négationnistes les habits d'un sauveur? Comment des leaders en herbe peuvent-ils répandre leur neurasthénie toute baudelairienne sur la place publique en renouvelant du même souffle leur appui à la chef sans tenir compte des dommages collatéraux qu'ils font subir à leur parti exsangue? Comment des figures marquantes du parti peuvent-elles envisager un retour au bercail contre la tête du chef sans plonger un électorat déjà sceptique, voire cynique, dans un désabusement irréversible?
Tous les chefs charismatiques du PQ n'ont pas réussi à mener à bien leur objectif de souveraineté. Tous ont subi les critiques parfois vitrioliques de leurs partisans. Tous sont partis dans des circonstances dramatiques, René Lévesque usé et perturbé, Lucien Bouchard habité par la colère et dégoûté de la politique, Jacques Parizeau blessé à mort, drapé dans sa superbe, et Bernard Landry emporté par un coup de grisou inexplicable. Mais aucun n'a subi les outrages dont on accable Pauline Marois. Et c'est bien là le mystère.
Posons l'hypothèse que la chef du PQ ait tous les défauts qu'on lui attribue, ce avec quoi nous divergeons, cela va sans dire. Qu'elle soit trop ambitieuse, trop peu souverainiste, qu'elle oscille au gré des pressions, que son jugement politique soit aléatoire, qu'elle ait la poigne autoritaire, que sa vision sociale soit indigente, qu'elle manque de la testostérone qui permet d'éviter des coups fourrés des adversaires, que son intelligence soit déficiente, bref que tout ce que ses frères ennemis lui reprochent soit plausible, la haine qu'elle suscite demeure inexplicable. En fait, à travers sa personne, n'est-ce pas le désespoir des péquistes qui est projeté?
Car en dépit de tous les discours officiels, de tous les enthousiasmes de circonstance, les péquistes ne sont pas des gens heureux. Le peuple dont ils souhaitent l'émancipation par la souveraineté, mot qu'ils ont dû substituer à celui d'indépendance jugé trop explicite, ce peuple ne répond plus à leurs desiderata. Incompris, douloureux, frustrés qu'ils sont, la chef actuelle leur sert de défouloir. Et peu leur importe, à l'évidence, que cette militante de plusieurs décennies soit blessée. Rien ne lui est épargné.
La semaine prochaine, lors du conseil national, Pauline Marois pourrait être tentée d'exiger un nouveau vote de confiance tant sa détermination à ce jour de demeurer en poste semble marmoréenne. Mais faut-il rappeler que le taux, outrancier rétrospectivement, de 93 % d'appui n'a pas traversé l'été? Et qu'il arrive au cours de la vie politique que la notion de devoir, si chère à ses yeux et sur laquelle elle s'appuie pour rester, ne peut résister au principe de réalité? Or, c'est tout le cérémonial de sa mise à mort qui est en place, avec ses célébrants, ses aficionados, ses pleureuses officielles, ses renégats et ses partisans sincèrement éplorés.
Pour avoir résisté à ce jour à toutes ces attaques à l'intérieur du PQ comme dans les médias, Pauline Marois commande le respect. De plus, elle fait éclater le stéréotype féminin. Sur le plan personnel, une majorité de Québécois se nourriraient d'antidépresseurs et autres calmants et s'enfermeraient à double tour pour fuir ces attaques permanentes qui n'épargnent pas sa personne. Cette femme dans la tourmente démontre une force de caractère sans commune mesure avec celle de nombreux prétendants au leadership passés et éventuels. On hésite avant de s'avancer sur le terrain glissant de son sexe. Concédons qu'il y a des façons différentes de mettre à mort un homme ou une femme politiques. Dans ce dernier cas, la cruauté se double de la rectitude politique et de la démesure.


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