En 1967, j'étais vice-présidente du Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN). À ce titre, j'avais été invitée à prendre la parole sur la même tribune que Michel Chartrand, dans une assemblée organisée par les étudiants de l'Université Laval.
J'avais pris l'autobus pour me rendre à Québec. Michel Chartrand m'a offert de me ramener à Montréal, dans sa voiture.
La radio était allumée et on pouvait entendre une sonate de Bach. Aussitôt, Michel me proposa un choix: nous écoutions en silence ou il fermait l'appareil. Impressionnée par la situation et encore plus par l'homme, je lui dis de faire comme il voulait.
Pendant toute la durée de l'émission, au moins une heure, nous n'avons échangé aucune parole.
Il en a été de même les trois fois où Simonne et lui m'ont reçue à dîner chez eux. Quand j'arrivais, la musique emplissait la maison. Une minute plus tard, mes hôtes avaient éteint la radio ou le tourne-disque.
Pour Michel Chartrand, il était impensable que les chefs-d'oeuvre de la musique servent de bruit de fond à quelque réunion que ce soit. Ou on l'écoutait religieusement, ou on la faisait taire.
Cette attitude était constamment sienne, au théâtre, au concert, au musée, où il m'a parfois invitée à l'accompagner.
C'est à mon avis cette sensibilité d'artiste qui fonde l'engagement social et politique de Michel Chartrand, qui explique sa puissance à porter un regard global sur les institutions capitalistes et un jugement détaillé sur les rapports de forces qui les instituent. Juste perception des causes injustes de l'inégalité sociale entre les travailleurs québécois et leurs patrons, le plus souvent parties prenantes de multinationales étrangères, source de sa révolte et mobile de son indomptable désir de créer des situations révolutionnaires.
Un chaud après-midi de l'été 1971, alors qu'il y avait fête chez les Chartrand-Monet, à Richelieu, Michel m'a invitée avec mon jeune fils à marcher sur le bord de la rivière, pour nous faire sentir la fraîcheur de l'eau. Il s'est rapidement assis sur une pierre, nous laissant courir sur la berge. Quand nous l'avons retrouvé, immobile, les yeux clos, j'ai cru à tort qu'il dormait.
C'est parce qu'il savait fermer les yeux devant la beauté du monde, pour mieux s'en pénétrer, que Michel Chartrand considérait son action comme le prolongement d'une profonde méditation sur la nécessité de créer une société apte à donner aux démunis comme aux riches accès aux splendeurs de la nature et à celles de l'art. Pour lui, et tous ses discours en témoignent, la lutte pour la transformation des conditions de travail des ouvriers avaient pour but principal l'amélioration de leurs conditions d'existence humaines, dont le but premier est l'exercice de la liberté.
Ce n'était pas un orateur au verbe policé. Son art accompli du discours tenait plutôt à la vérité de son propos et à la parfaite adéquation entre la situation d'exploitation dénoncée et le style de la dénonciation. Style parfois sobre, parfois flamboyant, jamais gratuit, toujours lumineusement démonstratif, accordé à l'objectif: se faire comprendre de son auditoire, le faire réfléchir à sa situation et l'amener à agir sans peur pour la changer. «Les grands ne sont généralement grands que par notre petitesse», répétait-il souvent, en citant des exemples tirés chaque fois de la situation présente. L'intelligence, la souplesse sérieuse, la drôlerie insidieuse et une confiance magnifique dans la puissance de la parole juste éclataient dans chaque phrase de ses discours.
Oui, Michel Chartrand était avant tout un artiste. Et cet état en apparence inoffensif recelait chez lui un pouvoir redoutable, celui de rendre manifeste et indubitable qu'il se sentait en tant qu'humain, ici et maintenant, responsable du monde entier, en l'occurrence du sort des ouvriers québécois et, plus largement, du peuple québécois tout entier. À la médiocrité endémique des contestations patentées menées par les organisations syndicales et les partis politiques d'opposition et leurs intellectuels, il opposait avec style son engagement d'autant plus exemplaire qu'il était libre de toute appartenance, sauf la lutte radicale à mener pour la justice, source de toutes les possibilités d'épanouissement.
Ce que je sais de Michel Chartrand me permet d'affirmer que son désir de révolution était essentiellement une aspiration à l'accès du peuple à la connaissance et à l'art.
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Andrée Ferretti - Écrivaine
Michel Chartrand, un grand artiste
Ce que je sais de Michel Chartrand me permet d'affirmer que son désir de révolution était essentiellement une aspiration à l'accès du peuple à la connaissance et à l'art.
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"Rien de plus farouche en moi que le désir du pays perdu, rien de plus déterminé que ma vocation à le reconquérir. "
Andrée Ferretti née Bertrand (Montréal, 1935 - ) est une femme politique et
une écrivaine québécoise. Née à Montréal dans une famille mod...
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"Rien de plus farouche en moi que le désir du pays perdu, rien de plus déterminé que ma vocation à le reconquérir. "
Andrée Ferretti née Bertrand (Montréal, 1935 - ) est une femme politique et
une écrivaine québécoise. Née à Montréal dans une famille modeste, elle fut
l'une des premières femmes à adhérer au mouvement souverainiste québécois
en 1958.Vice-présidente du Rassemblement pour l'indépendance nationale, elle
représente la tendance la plus radicale du parti, privilégiant l'agitation sociale
au-dessus de la voie électorale. Démissionnaire du parti suite à une crise
interne, elle fonde le Front de libération populaire (FLP) en mars 1968.Pendant
les années 1970, elle publie plusieurs textes en faveur de l'indépendance dans
Le Devoir et Parti pris tout en poursuivant des études philosophiques. En 1979,
la Société Saint-Jean-Baptiste la désigne patriote de l'année.
Avec Gaston Miron, elle a notamment a écrit un recueil de textes sur
l'indépendance. Elle a aussi publié plusieurs romans chez VLB éditeur et la
maison d'édition Typo.
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