Texte publié dans le Devoir du samedi 17 avril 2010 sous le titre "La récupération d'un grand personnage"
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Michel Chartrand nous a quittés. Sa mort m’a profondément attristé. Je l’aimais et je le respectais beaucoup mais pas spécialement pour son style flamboyant, pas pour sa verve inégalable ni pour son front de bœuf. Je l’aimais, je l’aime encore pour les valeurs authentiques qu’il a toujours défendues passionnément, avec une fidélité et un courage qui sont devenus des vertus rarissimes.
D’autres que moi l’ont mieux connu et ont fait mieux que moi son éloge. Pour ma part, c’est plutôt la critique du personnage qui me semble mériter un peu d’attention. Parce qu’à l’avant-scène, ce qui a été mis en scène, ce n’est pas toujours le militant courageux, le Don Quichotte de la guerre contre le mépris des riches et contre la misère et l’indignité imposées aux pauvres. C’est trop souvent un personnage public dont les médias ont voulu faire un amuseur public. À l’instar de Falardeau et de Lauzon.
Accuser ainsi « les médias » de falsification de personnage, ça pourrait facilement être compris comme une remise en question du pouvoir médiatique et des intérêts que les artisans des médias sont généralement obligés de défendre ou de ménager pour que les chèques de paie continuent d’être versés. C’est bien ce que je veux dire mais ce n’est pas tout. Ce qu’on appelle « les médias », ce n’est pas seulement une liste de journaux, de magazines, de sites internet et de stations de radio et de télévision. C’est une société composée de diffuseurs et de consommateurs d’information, c’est notre société, avec ses codes culturels élaborés dans l’interaction. Alors, évidemment, « les médias » québécois, c’est vous et moi, ce sont les usagers tout autant que les vendeurs d’images ou de sons. Quant à la proportion des responsabilités entre la poule et ses œufs, j’ai bien ma petite idée mais aucune méthode rigoureuse pour la quantifier.
Le vrai Michel Chartrand et le personnage public.
Michel Chartrand a eu une longue carrière et une longue vie de militant. Ce qu’il a accompli, les causes qu’il a défendues dans la vie réelle, c’est une chose. L’image du personnage construite et entretenue dans les médias en est une autre. Et à mon avis, il en fut de même pour le cinéaste Pierre Falardeau, et il en est toujours de même pour le spécialiste des finances Léo-Paul Lauzon, qui est aussi une sorte de fils spirituel de Michel Chartrand. Si je réunis les trois sous un même regard, c’est que les trois sont des militants qui avaient ou ont toujours tout pour faire bouger les choses et qui l’ont fait avec toute la fougue possible mais qui ont été forcés de se plier aux règles du jeu pour pouvoir aussi trouver des échos à leur action sur la scène médiatique québécoise. Dans notre société du consensus absolu, les idées de gauche sont tolérées mais il semble bien qu’avant d’être transmises au vaste public, elles doivent passer par le filtre des grands médias qui les transforment en une sorte de divertissement pour grand public.
Qui d'autre maintenant?
Qui d’autre que ces trois grands hommes engagés peut véhiculer une conception de la société qui ne soit pas totalement assujettie au dogme dominant de la richesse à créer ou des compagnies à dorloter pour qu’elles restent chez nous? En réalité, il y en a une multitude mais, de ce nombre, aucun qui ait la chance de voir ses idées répercutées dans les grands médias. Bien sûr, il y a Amir Kahdir et Françoise David, qui font un travail magnifique et qui, de surcroît, refusent d’insérer des Tabarnak dans leurs phrases, ainsi que le leur suggérait Pierre Foglia. Et qui d’autre a la faveur des faiseurs d’images à Radio-Canada ou dans les colonnes de La Presse? Je n’en vois pas beaucoup.
Au moment où le très impopulaire budget « révolutionnaire » de Jean Charest le fait culminer à un taux d’insatisfaction inégalé de 77%, selon le dernier sondage du Devoir (12 avril 2010), où s’en vont les intentions de vote? Pas à l’opposition officielle du PQ qui plafonne, et pour cause, mais un peu partout à l’ADQ (10%), à Québec Solidaire (9%) et au Parti Vert (8%). J’avoue que, pour moi, il y a quelque chose d’hallucinant et de profondément déprimant dans le fait de voir que le parti Québec Solidaire ne profite pas plus de ce contexte que le Parti Vert ou l’ADQ. Et j’en tiens pour principal responsable cette culture médiatique québécoise qui étouffe toute expression des idées qui s’écartent du consensus de la majorité dominante, à moins que ces idées ne puissent être travesties en divertissements.
Cela dit, je conserve une profonde tendresse et un immense respect et pour Michel Chartrand et je reste persuadé qu’il nous a beaucoup fait avancer. Malgré la récupération dont son personnage public a été l’objet dans les grands médias, il a aussi passé bien plus de temps à communiquer avec de vraies personnes, dans des écoles, des Cégeps, des salles paroissiales, des coins de rues ou de petites cuisines. Par contre, je reste aussi persuadé que ses idéaux, tout comme ceux de millions d’autres Québécois, auraient encore bien mieux servi le bien commun s’ils avaient pu être véhiculés sous leur vrai jour dans les grands médias aussi.
Peut-être serions-nous murs pour une petit révolution culturelle dans les règles du jeu imposé au débat des idées.
Denis Blondin, orphelin avec beaucoup d'autres.
Falardeau et Chartand partis, il ne reste plus que Léo-Paul Lauzon
Le personnage public et le vrai Michel Chartrand
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2 commentaires
Jean-François-le-Québécois Répondre
16 avril 2010D'un certain point de vue, je dirais que je plains Michel Chartrand...
Pourquoi?
Une vie presque entière, dédiée à la défense des droits des travailleurs, ainsi qu'à la promotion de l'indépendance...
Et tout, ça, pour voir le second référendum être volé, sans que personne n'y fasse quoi que ce soit. Et monsieur Chartrand, aura vécu assez longtemps, pour voir Jean Charest décrocher son troisième mandat...
Mais pas tout à fait assez longtemps, pour voir Charest être peut-être destitué!
Je pense aux Lévesque, Falardeau, Leclerc, Bourgault; ils ont été bien dignes de la cause, et de la confiance et de l'espoir que les Québécois ont investi en eux.
Nous, avons-nous été dignes de nos héros?
Archives de Vigile Répondre
15 avril 2010Quel beau témoignage! Je me cherchais des mots pour dire tout le respect que je portais à cet homme et voilà que je tombe sur ce texte magnifique de M. Blondin. Tous les points qu'il aborde me rejoignent profondément et gardent toute leur importance dans le contexte médiatique dans lequel nous évoluons. L'auteur a raison de signaler cette tendance à mettre en relief certains traits du personnage au détriment de la personne qui a porté à bout de bras des luttes épiques pour la santé et la sécurité des travailleurs et travailleuses au travail, pour la justice sociale et le respect des valeurs humaines. Il a été un artisan de la solidarité internationale en faveur de la libération des peuples et de leur indépendance. Avec ou sans "tabarnak" ces valeurs sont là et demeurent toujours pleine d'actualité. Ceux et celles qui pensent, qu'avec le départ de Michel Chartrand ces problématiques vont s'évaporer, se trompent grandement. D'autres prendront la relève, je n'en doute aucunement.
Merci M. Blondin