Le monde ouvrier est en deuil, et avec lui, le Québec tout entier. À l'âge très vénérable de 93 ans, monsieur Michel Chartrand laisse dernière lui une vie d'engagement sans limites au service de la «classe ouvrière» qu'il chérissait malgré ses contradictions. Car cette classe ouvrière qu'il défendait avec fougue et passion l'a souvent boudé. Candidat à la fonction de député à quelques reprises sous les couleurs de partis de gauche, dont une dernière fois à plus de 80 ans contre Lucien Bouchard, M. Chartrand n'a jamais réussi à se faire élire, même dans des circonscriptions à forte présence ouvrière. Au sein de la CSN, ses quelques tentatives pour conquérir la présidence ont aussi échoué malgré une notoriété de loin plus grande que celle de tout autre syndicaliste québécois.
Excessif pour les uns, trop brouillon pour les autres, Michel Chartrand a été de toutes les luttes politiques, syndicales et populaires des 70 dernières années. Formé à l'école chrétienne traditionnelle comme sa compagne Simonne Monet, le couple s'est converti tôt au courant militant pour une plus grande justice sociale. Actif en politique jusqu'à la fin des années quarante, Chartrand trouve du travail au sein du mouvement syndical après la grève d'Asbestos, en 1949, et devient plus tard, en 1968, président et seul maître à bord du très politique Conseil central de Montréal.
Au cours des dix années suivantes, on le verra à tous les piquets de grève et on l'entendra sur toutes les tribunes pourfendre les «exploiteurs» et prêcher contre le fédéralisme de son ancien ami Trudeau. Son départ du Conseil central, en 1978, laissera un vide même si l'homme continue d'être très actif auprès des accidentés du travail.
Figure mythique jusqu'à sa mort pour des milliers de jeunes et de moins jeunes militants, il a cependant contribué par son emportement incontrôlé et incontrôlable à sa propre marginalisation au sein du mouvement syndical et social. À titre d'exemple, sa présence enflammée aux côtés des ex-felquistes Vallières et Gagnon au centre Paul-Sauvé, en octobre 1970, la veille de la proclamation de la Loi sur les mesures de guerre, n'a certainement pas aidé la jeunesse de l'époque à prendre la juste mesure des contradictions du terrorisme dans la vie politique des sociétés modernes. Ça, c'était aussi lui, l'insoumis!
Michel pour ses proches, Chartrand pour tous les autres, n'a jamais fait dans la dentelle, cela s'entend. Mais cette incapacité quasi génétique au compromis a eu le mérite d'en faire l'allié inconditionnel de tous ceux qui ont eu besoin d'une présence vocifératrice à leurs côtés pour promouvoir une cause trop discrète.
Avec le décès de Michel Chartrand, le mouvement communautaire et ouvrier ne perd sans doute rien en nuances, mais beaucoup en intégrité et en force de frappe dans sa quête pour une plus grande justice sociale.
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