Médias - L'urgence d'agir pour l'avenir de la télé généraliste

Médias et politique



Depuis le début de l'année, les médias font grand cas, et à juste titre, de la crise que traversent les grands réseaux de télévision généraliste au Canada. Il est malheureux qu'il ait fallu attendre que ce secteur soit fragilisé au point où nous sommes aujourd'hui confrontés à la fermeture de plusieurs stations à travers le pays et au licenciement de milliers d'employés pour tous nous rendre enfin compte que le fameux modèle canadien de la télévision ne fonctionne plus.
Car ne nous méprenons pas: la crise financière qui afflige la planète n'est pas responsable des maux de notre télévision. Partout en Occident, les fondements de celle-ci sont attaqués depuis plusieurs années déjà en raison des nombreux défis posés par le développement inéluctable des technologies de transmission du contenu.
Depuis quelques années, nous exposons sur diverses tribunes les conséquences majeures qu'ont sur notre télévision généraliste les déficiences graves de nos structures réglementaires et l'incapacité du régulateur de s'adapter à cette révolution technologique qui transforme tout le paysage audiovisuel.
Nouveau modèle
Les médias traditionnels affrontent depuis un certain temps déjà un véritable tsunami technologique qui les oblige à repenser complètement leur modèle d'affaires. Déjà victimes de la fragmentation de leur auditoire et de l'érosion de leurs revenus publicitaires au profit des chaînes spécialisées qui dominent maintenant le marché, les télévisions généralistes doivent également faire concurrence à l'émergence du Web, qui a fait passer le pouvoir entre les mains du citoyen qui décide maintenant ce qu'il écoute, quand il l'écoute et sur quel canal de distribution.
Nous avions préconisé avec force un nouveau modèle de financement en proposant de hausser notre contribution annuelle à un nouveau fonds de programmation à 30 millions de dollars par année et de l'augmenter chaque année de 20 %, soit un investissement de plus de 100 millions de dollars sur trois ans.
Bien que nous soyons toujours d'avis que notre proposition aurait été la solution la plus avantageuse pour le système canadien de radiodiffusion, nous saluons la décision du ministre du Patrimoine canadien, James Moore, de créer le nouveau Fonds des médias du Canada, car le Fonds canadien de télévision était devenu dysfonctionnel et inadapté. Les membres qui siégeaient à son conseil d'administration, eux-mêmes bénéficiaires des financements octroyés, étaient en perpétuels conflits d'intérêts (d'ailleurs dénoncés par la vérificatrice générale du Canada), ce qui les portait à miser sur les acquis historiques plutôt que sur le changement.
Contenu canadien original
Faire dorénavant reposer l'octroi de financement sur des critères de performance permettra que l'argent des contribuables profite au plus grand nombre. Ne pas accorder de privilège particulier à un radiodiffuseur par rapport à un autre stimulera la concurrence et, par le fait même, l'audace et l'innovation.
Les télévisions généralistes privées, notamment TVA, sont celles qui misent le plus sur la production originale canadienne et elles y investissent des sommes colossales.
Au cours de l'exercice 2007-2008, le réseau TVA a investi plus de 113 millions de dollars en programmation de contenus canadiens. Pour demeurer le leader dans son marché, TVA consacre actuellement près de 90 % de ses dépenses de programmation à du contenu original canadien, essentiellement en information, dans des dramatiques et dans de grandes émissions de variétés. Nous nous réjouissons d'ailleurs de nos résultats exceptionnels en matière d'écoute, soit 29 % de parts de marché selon les derniers sondages BBM, pour la saison hiver 2009.
Confort des spécialisées
Quant aux chaînes spécialisées, bien protégées par leurs monopoles dans les genres qu'elles exploitent, elles se contentent de saupoudrer des investissements dans une programmation qui se caractérise par des émissions américaines traduites en français, alors qu'elles n'ont pas à prendre de risques avec des plans d'affaires approuvés par le CRTC prévoyant leur rentabilité à l'intérieur du premier terme de licence et l'obligation de les distribuer imposée aux entreprises de distribution de programmation. À titre d'exemple, en neuf années d'existence, Séries + n'a produit aucune série lourde et seulement quatre séries mi-lourdes.
Résultat des courses: les marges d'exploitation des services spécialisés et de télévision payante de langue française ont été en moyenne de 25,4 % au cours des cinq dernières années alors que celles de la télévision généraliste privée du Québec, en déclin, n'ont été que de 12,2 %.
Pour faire face aux défis technologiques et assurer la pérennité d'une télévision forte, un des plus importants vecteurs de notre culture, les télédiffuseurs doivent pouvoir acquérir les droits sur l'ensemble des canaux de diffusion. Nous avions demandé en vain l'accès à ces droits au Fonds canadien de télévision. Par son intransigeance, ce fonds a tué les séries lourdes comme Vice caché qui, malgré son million de téléspectateurs par épisode, coûtait 600 000 $ de plus que ce qu'elle rapportait en revenus publicitaires.
Rééquilibre du financement
La télévision généraliste recherche la collaboration des producteurs pour la négociation et l'obtention de tels droits. Toutes les parties doivent se mettre d'accord sur les nouvelles réalités de la télévision, comme l'a fait l'Union des artistes en février dernier, en concluant avec TVA une entente collective définissant précisément les paramètres de la déclinaison des contenus sur l'ensemble des fenêtres, un partenariat permettant un partage des revenus générés par les nouvelles plateformes.
Une autre source de financement doit provenir d'un rééquilibre dans le système canadien de radiodiffusion en permettant aux télévisions généralistes d'avoir accès à des redevances pour la distribution de leur signal.
La preuve n'est plus à faire que la télévision généraliste devrait avoir un égal accès aux redevances actuellement réservées aux chaînes spécialisées. Mais nous nous objectons à ce que ces redevances soient déterminées et imposées par le CRTC et qu'elles viennent ainsi s'additionner automatiquement à la facture que doit payer le consommateur. Nous proposons plutôt de laisser la détermination du niveau des redevances à la libre négociation entre les diffuseurs, qu'ils soient généralistes ou spécialisés, et les entreprises de distribution.
L'action du CRTC
Finalement, et nous le répétons encore une fois, le CRTC doit accélérer le processus de déréglementation de la télévision généraliste. Le CRTC doit revoir toute son approche qui vise à intervenir par quotas, par choix de programmes dits prioritaires et qui oriente les investissements en faisant en sorte que ceux-ci sont souvent consentis en pure perte et avec pour premier objectif de remplir des obligations réglementaires, non pour proposer la meilleure programmation possible à ses téléspectateurs.
Dans un tel contexte, la création d'un CRTC québécois, comme le propose le gouvernement du Québec, n'offre aucune perspective raisonnable de solution à la crise que traverse la télévision généraliste. Nous n'avons surtout pas besoin d'un deuxième régulateur qui rendrait encore plus complexe un système qui a déjà fait la preuve de son inefficacité.
Modèle original
La téléphonie filaire offre une belle illustration des bienfaits de la déréglementation pour les citoyens. En quatre ans, plus de 850 000 clients se sont abonnés aux nouveaux services de téléphonie de Vidéotron, ayant maintenant accès à des services meilleurs, plus nombreux et moins chers, dans un marché où il n'y a plus de monopole.
Notre modèle d'affaires s'est construit sur une foi inébranlable dans le contenu et la culture émanant des gens d'ici; nous y contribuons massivement, non seulement en soutenant la production originale, mais en lui assurant un très grand rayonnement. Nous diffusons et distribuons ce contenu en le déclinant sur un ensemble de médias ou de plateformes à l'échelle du pays.
Afin d'être en mesure de relever les défis auxquels nous sommes tous confrontés, nous croyons sincèrement qu'il est nécessaire de faire reposer l'évolution du système canadien de radiodiffusion sur le succès de la programmation canadienne plutôt que sur le respect de quotas et d'obligations réglementaires désuètes et inadaptées à un univers qui ne connaît plus de frontières.
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Pierre Karl Péladeau, Président et chef de la direction de Quebecor inc. et de Quebecor Media inc.


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