Jusqu'où le statut particulier de McGill l'autorise-t-elle, au nom d'une réputation à préserver, à imposer des droits de scolarité de près de 30 000 $ pour un MBA? En décidant d'autofinancer entièrement son programme et de renoncer à la subvention publique, l'université montréalaise bafoue les règles en vigueur et ouvre la porte à une pratique qui pourrait fort bien s'étendre à d'autres facultés. Il s'agit d'un précédent inquiétant.
Pour les 65 étudiants inscrits l'automne prochain au MBA de McGill, les droits s'élèveront à 29 500 $. Cette année, ils étaient pourtant fixés à 1673 $. McGill reçoit 12 000 $ par étudiant — droits de scolarité et subvention du gouvernement compris — pour offrir sa maîtrise en administration des affaires. Elle avance que le coût réel de cette formation est de 22 000 $. Depuis des années, le déficit du programme se creuse. L'administration estime que la situation est devenue intenable, inéquitable. La réputation du MBA perd du lustre.
Dans l'absolu, McGill s'aventure dans une voie que d'autres, ailleurs au Canada et en Amérique du Nord, ont empruntée avant elle. Pour soutenir la concurrence mondiale, les MBA gagnent en qualité — et en prestige — en rehaussant leurs droits. Disons les choses franchement: plus le MBA coûte cher, plus il gagne du galon. Il y a en effet un «marché» pour ce type de formation d'élite. Mais pour tous ceux qui verront dans ce projet le gage d'une formation d'excellence, combien de candidats de qualité ne formuleront même pas de demande, dissuadés par la facture? Nul ne le sait. Ce n'est pas un risque à prendre.
On ne s'oppose pas ici au fait que McGill souhaite rehausser la qualité de sa formation, embaucher les meilleurs professeurs, atteindre le ratio maître-élèves le plus alléchant, offrir des équipements de pointe. Mais à ce chapitre, elle ne fait pas bande à part. Il s'agit là des revendications de l'ensemble des universités qui évoquent — depuis des années! — les effets désastreux du sous-financement.
Nous formulons plutôt ici des objections de principe. McGill ne peut pas ainsi bafouer les règles édictées par Québec, et auxquelles la société, semble-t-il, adhère encore. McGill ne peut pas, en colorant d'un semblant de privatisation l'un de ses programmes d'élite, créer un précédent qui pourrait justifier des hausses galopantes dans d'autres facultés, où les salaires des diplômés garantiront aussi une capacité de remboursement. McGill ne peut pas, même si elle promet que son projet ne minera pas l'accessibilité, ouvrir la porte à deux possibles classes d'étudiants.
Voilà un embêtant problème pour le ministère de l'Éducation. Celui-ci affiche ouvertement son désaccord, mais dans les faits, son impuissance est totale: qu'y peut-il, hormis vociférer en public et menacer d'enlever une subvention publique à laquelle McGill dit déjà vouloir renoncer? L'université dit être à la recherche d'une «solution» pour sortir de cette impasse; la principale évoque l'idée de lancer un «projet-pilote». Le terrain des pourparlers ne semble pas être très solide.
Cette contravention au principe de financement des universités illustre magnifiquement, d'une part, les besoins immenses de ces institutions qui compétitionnent sur un échiquier qui outrepasse les frontières du Québec; elle démontre aussi de manière inquiétante les limites du pouvoir du gouvernement quant à la fabrication tranquille d'un système universitaire à deux vitesses.
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