Dans la page Idées du Devoir des 24 et 25 avril dernier, [quelques personnalités du monde des affaires signaient avec Lucien Bouchard un article->27334] demandant au ministère de l'Éducation de reconsidérer sa décision de punir l'Université McGill en raison de sa décision d'imposer des droits de quelque 30 000 $ pour son MBA. Rappelons qu'au terme de ce débat, au nom des principes d'équité et d'accessibilité à l'éducation, la ministre Courchesne a finalement annoncé qu'elle ne laisserait pas McGill enfreindre les règles budgétaires du gouvernement et qu'elle retirerait de son enveloppe budgétaire globale les 11 000 $ alloués par étudiant au MBA et un montant de 17 000 $ en guise de pénalité.
C'est en se basant sur des valeurs telles que l'équité, l'accessibilité, l'excellence universitaire, le progrès et la croissance du Québec sur l'échiquier de l'actuelle économie du savoir que les signataires tentent de démontrer le bien-fondé de la décision de McGill. Qu'en est-il réellement de la place de ces valeurs dans la bataille que livre actuellement McGill pour se classer aux premiers rangs des universités à travers le monde, et quels seraient les impacts d'une telle action pour le système d'éducation et l'accès des étudiants et étudiantes québécois au savoir?
Un bien marchand
On ne peut soustraire l'opération que livre actuellement McGill d'autres débats globaux que connaît actuellement le Québec sur le financement des universités, la hausse des droits de scolarité et le retard des universitaires québécois francophones. Or si, depuis la Révolution tranquille, les politiques publiques québécoises ont toujours tenté de considérer l'éducation comme un bien public pouvant servir entre autres choses à redresser la place des francophones dans la société, la tendance néolibérale qui domine actuellement serait plutôt de considérer l'éducation comme un bien marchand profitant d'abord aux individus et aux organisations, y compris les universités.
C'est en considérant le débat actuel de ce point de vue que nous pouvons en comprendre les tenants et les aboutissants. À l'encontre du texte paru sous la signature de Bouchard, nous soutenons que la voie ouverte par McGill poserait des problèmes d'accès à l'éducation et d'iniquité dans la société québécoise et nous espérons que la ministre de l'Éducation persistera dans sa décision.
De quelle équité parle-t-on?
Quand les signataires de l'article prétendent que l'optique de McGill est équitable, c'est pour dénigrer la décision gouvernementale qui pourrait l'obliger à puiser dans les fonds d'autres programmes pour financer son MBA. Faut-il au nom de la course de McGill quant au classement de son MBA au palmarès du Financial Times (seul programme québécois nous dit-on à figurer parmi les cent meilleurs) faire passer les besoins de financement d'autres programmes au second rang?
S'il s'agit bien là d'un problème d'équité interne, on n'a pas soulevé le véritable problème, d'équité externe celui-là, à savoir de faire servir les fonds publics québécois à une seule université québécoise, anglophone de surcroît. On apprenait en outre dans Le Devoir du 30 avril que la ministre avait offert à McGill de l'autoriser à déréglementer les droits de scolarité des étudiants étrangers et citoyens canadiens non résidents inscrits au MBA, ce que McGill a refusé. Une telle proposition n'était-elle pas équitable? L'ensemble des Québécois doit-il continuer à financer même de façon minime un programme dont 80 % des étudiants ne sont pas citoyens du Québec?
Surtout, les données récentes sur la poursuite du retard universitaire des francophones au Québec ont fait ressurgir la question du surfinancement du réseau universitaire anglophone par rapport au poids démographique de la population anglophone au Québec. Dans la course au palmarès de McGill, doit-on balayer sous le tapis la question d'équité entre universités francophones et anglophones au Québec? Là est la vraie question si l'on veut parler d'équité, car elle est directement reliée à l'accès à l'éducation de la majorité francophone du Québec.
L'accès à l'éducation
Derrière ce débat sur l'équité entre institutions francophones et anglophones du Québec se profile en effet toute la question de l'accessibilité aux études que prétendent défendre les signataires de l'article. Or, encore une fois, on ne nous parle que d'accessibilité à l'interne, McGill ayant consenti, nous dit-on, plus de 100 000 $ au soutien financier des 28 nouveaux étudiants et, grâce à ce soutien, nous dit-on encore, aucun étudiant ne sera forcé de renoncer à une formation par manque de ressources financières. Mais comment peut-on prétendre que les étudiants et étudiantes ne s'élimineront pas d'eux-mêmes (et bien avant de choisir leur voie universitaire) au vu de tels coûts?
Et comment croire que ce modèle ne ferait pas boule de neige dans les autres universités du Québec, accentuant d'autant plus le problème d'accessibilité à de telles études pour les francophones? N'est-on pas simplement en train d'ouvrir la porte à un système universitaire à deux vitesses où les finissants de certaines universités bien nanties se classeront premiers par rapport aux universités moins bien nanties? Est-ce cela l'excellence en éducation?
L'excellence en éducation
Il faut enfin se questionner sur ce qu'entendent les auteurs quand ils parlent d'améliorer le système d'éducation, ou encore quand ils parlent d'excellence en éducation. Leur pensée, telle qu'on peut la lire dans leur texte au Devoir, est irrémédiablement tournée vers l'idée de positionner le Québec sur ce qui est devenu le marché mondial de l'éducation où les universités se disputent les étudiants des quatre coins de la planète.
Déjà, le gouvernement a commencé à encourager les universités québécoises à aller dans cette voie en les subventionnant pour attirer des étudiants étrangers. Les universités francophones ont accepté le fait sans broncher parce que Québec allait les dédommager pendant quelques années. Et qui, croyez-vous, attire le plus grand nombre d'étudiants étrangers au Québec, sinon McGill? Les universités francophones pourront-elles, à partir du petit bassin d'étudiants moins fortunés des pays francophones de l'Afrique du Nord, se classer dans ce courant mondial de marchandisation de l'éducation? Et surtout, est-ce bien cette voie que nous devons souhaiter pour le Québec?
Des choix à faire
Faut-il mettre au rebut les objectifs généraux d'accessibilité et d'équité en éducation que nous nous sommes donnés comme nation francophone en Amérique du Nord pour maintenant promouvoir un système marchand de l'éducation visant à placer le Québec anglophone sur la carte des universités mondialement reconnues? Avons-nous fait assez de progrès depuis la Révolution tranquille pour renoncer aux principes d'un plus grand accès pour les francophones du Québec à l'éducation? Pensons-nous, en finançant des programmes d'élite au sein d'une université anglophone et en continuant à surfinancer ces mêmes universités, pouvoir amener le Québec sur la voie du «développement économique», du «progrès» et de la «performance» comme les auteurs de l'article veulent nous le faire croire?
Si «le Québec a droit au progrès, a besoin de progrès» comme l'avancent les auteurs, c'est peut-être bien dans la direction du progrès «social» que le Québec doit continuer à regarder et à se distinguer!
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Colette Bernier - Sociologue et professeure associée au département des relations industrielles de l'Université Laval
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