«Masters of our own house», c'est la traduction littérale du «Maîtres chez nous», le slogan des libéraux de Jean Lesage en1960. Et qui a repris cette formule, il y a deux semaines, en anglais? Danny Williams, le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, lors du discours du trône.
Cet élan d'autonomisme terreneuvien, aussi musclé que celui de Mario Dumont, montre qu'il existe des forces ailleurs au Canada qui bousculent la fédération de façon beaucoup plus profonde qu'on l'imagine au Québec. Le Canada est en train de changer, et cela a des implications pour le Québec.
Le discours du Trône terre-neuvien vient à la suite de semaines d'échanges musclés entre Ottawa et la province insulaire, qui n'a pas digéré le fait que le gouvernement Harper, trahissant sa promesse, ait inclus les revenus pétroliers dans le calcul de la peréquation. Mais le premier ministre Wililams a quitté le terrain de l'escalade verbale pour faire une véritable profession de foi autonomiste qui ressemble étrangement à ce qu'on entend au Québec.
«Nous n'arriverons à l'autosuffisance économique qu'en prenant notre futur en main en tant que peuple», dit-on dans le discours lu par le lieutenant-gouverneur. «Mon gouvernement affirmera le statut de Terre-Neuve-et-Labrador en tant que peuple distinct, pas homogène par ses origines mais multiculturel, une nation qui inclut plusieurs nations vivant ensemble en harmonie. Nos citoyens sont des nationalistes fiers qui croient que ce n'est qu'en affirmant notre identité comme Terreneuviens et Labradoriens que nous atteindrons notre objectif d'égalité économique au sein de la fédération. Notre peuple est prêt à prendre en charge son avenir, et, sous la direction de mon premier ministre, notre province atteindra l'auto-suffisance en devenant maîtres chez nous.» Ça vous rappelle quelque chose?
Cette idée de peuple distinct et de nation agacera sans doute bien des Québécois, qui croient détenir un copyright sur le terme et qui pensent que le reste du Canada est homogène. Mais n'oublions pas que Terre-Neuve n'est entrée dans la confédération qu'en 1949. Cette île, qui fêtera son 400e anniversaire en 2010, a vécu presque 350 ans à part, avec son histoire et sa monnaie, bien assez pour être une nation.
La mécanique qui s'exprime à Terre-Neuve montre d'abord que le virus du fédéralisme rentable est généralisé. Terre-Neuve a défendu le dogme du fédéralisme classique tant qu'elle a eu besoin d'Ottawa et de son argent. Maintenant que sa richesse pétrolière le lui permet, la province s'affirme, comme l'a fait l'Alberta.
Cela montre aussi à quel point les provinces veulent s'affranchir de la tutelle fédérale, et maîtriser elles-mêmes leur destinée. On observe la même chose en Saskatchewan, qui a célébré le moment où elle a cessé de recevoir de la péréquation et donc de dépendre d'Ottawa, ou encore au Nouveau-Brunswick, dont le grand objectif économique est l'autosuffisance, c'est à dire ne plus être une province pauvre dépendante d'Ottawa. Tout cela mène à des manifestations de plus en plus fortes d'affirmation et d'autonomie au sein de la fédération.
À ce phénomène propre au fédéralisme canadien s'ajoute très certainement un autre processus, beaucoup plus universel, et c'est le fait que dans un monde globalisé, les peuples et les communautés ont tendance à définir leur identité autour de pôles qui sont proches d'eux, comme les régions dans les pays européens. Cela toujours été le cas des Québécois dont la référence identitaire est le Québec, mais cette tendance lourde semble s'exprimer ailleurs au Canada, en Alberta, par exemple, et maintenant à Terre-Neuve.
Ces mouvements exercent des pressions de plus en plus fortes sur le Canada. Les fédéralistes classiques diront que cela affaiblit la fédération et menace son intégrité. On pourrait plus simplement dire que cela forcera le Canada à changer à s'adapter à de nouvelles règles du jeu et à trouver d'autres façons de définir l'identité canadienne.
On en voit déjà les effets dans cette alliance informelle entre l'Alberta et le Québec, dont on parlait depuis des décennies, et qui prend maintenant forme, depuis que les conservateurs de Stephen Harper ont imposé à Ottawa leur culture albertaine. Cela donne la reconnaissance de la nation québécoise, une solution au déséquilibre fiscal et peut-être un virage important pour baliser le pouvoir fédéral de dépenser, ce qui représenterait une transformation majeure du fédéralisme.
Il y a des leçons là-dedans pour le Québec. La première, c'est que le Canada a commencé à changer. La seconde, c'est que le Québec n'est pas seul et qu'il n'a donc aucune raison d'aller seul au front.
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