Rapport Duchesneau

Marois somme Charest de démissionner

Le premier ministre dit ne pas avoir lu le rapport Duchesneau, qu'il réduit à des allégations

Actualité québécoise - Rapport Duchesneau



«Il faut faire la part des choses. Quand, objectivement, on fait l’examen des faits, on arrive à quelle conclusion? Il peut y avoir des allégations, il peut y avoir des gens qui pensent des choses. Mais entre penser des choses, des allégations et la réalité des faits, il y a une distance. [...]. Il ne faut pas tomber dans les exagérations», a déclaré hier le premier ministre.

Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir


Pour lire le rapport de l'unité anti-collusion (PDF)
Kathleen Lévesque , Mélissa Guillemette - La réaction du premier ministre Jean Charest à l'égard du rapport Duchesneau, qu'il n'a pas lu et qu'il réduit à des allégations, a mis le feu aux poudres hier dans les réseaux sociaux et chez ses adversaires politiques, qui en appellent à la révolte populaire. Pauline Marois a même poussé un cran plus loin son indignation en réclamant le départ du premier ministre, qui protégerait, selon elle, le Parti libéral, la mafia et le crime organisé.
Après deux jours de tumulte provoqué par le rapport Duchesneau, qui fait état d'un système de collusion et d'infiltration du crime organisé dans lequel le ministère des Transports est impliqué, le premier ministre a pris la parole hier matin pour tenter de désamorcer une crise qui cible son gouvernement, à quelques jours de la reprise des travaux parlementaires, mardi prochain. Il a affirmé mettre tout en oeuvre pour assainir la situation dans l'industrie de la construction. Il a fait la nomenclature des mesures réglementaires, administratives et législatives adoptées depuis deux ans.
Mais Jean Charest s'est surtout employé à minimiser la teneur des constats de l'Unité anticollusion, un rapport qu'il n'a pas lu en détail car, dit-il, «le politique ne va pas mettre le nez là-dedans». «Il faut faire la part des choses. Quand, objectivement, on fait l'examen des faits, on arrive à quelle conclusion? Il peut y avoir des allégations, il peut y avoir des gens qui pensent des choses. Mais entre penser des choses, des allégations et la réalité des faits, il y a une distance. [...]. Il ne faut pas tomber dans les exagérations», a déclaré le premier ministre, qui était entouré de ses collègues titulaires des Transports et de la Sécurité publique.
Plus tard, en entrevue à TVA, M. Charest a banalisé encore une fois le rapport de Jacques Duchesneau, soulignant que les preuves restent à faire. «Il nous fait faire un pas de plus, mais ça n'amène pas les gens devant les tribunaux», a-t-il tranché.
Aussitôt, les partis d'opposition se sont déchaînés en dénonçant la désinvolture de Jean Charest. La chef du Parti québécois, Pauline Marois, a littéralement déclaré la guerre à Jean Charest, qui lui inspire du «dégoût». Il doit démissionner, un point c'est tout. «Le départ de Jean Charest est devenu la première condition à l'assainissement de l'air ambiant», a dit la chef péquiste en conférence de presse tenue au bureau de son parti, à Montréal.
Beaucoup plus agressive que la veille, elle a directement accusé le premier ministre de participer au système dénoncé dans le rapport Duchesneau. «En s'obstinant dans le déni, Jean Charest cherche manifestement à protéger des intérêts. Il protège des intérêts qui autrement seraient mis en cause. On va arrêter de se faire des cachettes: il protège le Parti libéral. Et en protégeant le Parti libéral, M. Charest protège la mafia, il protège le crime organisé», a déclaré Mme Marois sans donner plus de détails.
Après une enquête d'un an et demi, l'Unité anticollusion de Jacques Duchesneau a transmis un portrait de la situation dévastateur qui établit des liens, sans nommer les entreprises et les individus, entre employés du ministère des Transports, firmes de génie-conseil, entrepreneurs en construction et crime organisé. Les partis politiques y sont également pointés comme les bénéficiaires d'un système de financement occulte.
«Nous avons découvert un univers clandestin et bien enraciné, d'une ampleur insoupçonnée, néfaste pour notre société aussi bien sur le plan de la sécurité et de l'économie que sur celui de la justice et de la démocratie», peut-on lire dans le rapport Duchesneau diffusé par le site de Radio-Canada.

Insulte à l'intelligence

Que le premier ministre affirme ne pas avoir pris la peine d'en prendre connaissance a choqué la classe politique. Pauline Marois s'est dite «outrée», d'autant qu'il s'agit d'un rapport commandé par le politique.
«C'est une insulte à l'intelligence», a soutenu Françoise David, du parti Québec solidaire. La coporte-parole du parti a également invité la population à se mobiliser par des manifestations, des marches ou des pétitions.
Déjà en début d'après-midi, dans les réseaux sociaux, les mots-clés «construction», «corruption», «politique québécoise» et «menteur» se multipliaient en accéléré après les déclarations du premier ministre. La confiance envers Jean Charest apparaissait fortement ébranlée auprès de bien des internautes actifs dans Twitter. Plusieurs se moquaient du fait que le premier ministre associe le rapport Duchesneau à des «allégations». D'autres disaient se sentir «niaisés» et accusaient Jean Charest de minimiser un rapport qu'il n'a pas lu. «Définition de gestion de crise déficiente: faire une conférence de presse pour commenter un rapport que tu n'as pas lu», ironisait un internaute de Québec. Le rapport Duchesneau sera d'ailleurs bientôt passé à la déchiqueteuse, croient plusieurs auteurs de gazouillis.
À l'Assemblée nationale, Québec solidaire proposera la semaine prochaine de stopper tous les grands chantiers de construction du Québec qui ne sont pas urgents, pour que des vérifications en détail soient faites par les parlementaires.
Tous les partis d'opposition ainsi que François Legault, de la Coalition pour l'avenir du Québec, ont réclamé de nouveau la tenue d'une commission d'enquête publique. Le chef de l'Action démocratique, Gérard Deltell, a martelé que c'est la seule façon d'aller jusqu'à «la racine du problème». «Le premier ministre traite encore une fois cette question à la légère. Il a les preuves; il a les documents», a-t-il rappelé, dans un point de presse tenu à Québec.
Un ministère intègre
Jean Charest a donné l'assurance de n'avoir aucun doute sur l'intégrité du ministère des Transports, tout en reconnaissant qu'il puisse y avoir quelques pommes pourries parmi les 6000 employés. «Comme toute organisation, il peut y avoir des gens qui ne sont pas honnêtes. Ça existe dans tous les milieux. Personne n'en est exempt», a-t-il dit.
Quant à sa possible responsabilité dans l'état de délabrement actuel du ministère des Transports, compte tenu du plan de réingénierie mis en place dès son arrivée au pouvoir en 2003 afin de laisser plus de place au secteur privé et ainsi réduire la taille de l'État, Jean Charest réplique que les problèmes du monde de la construction sont un phénomène mondial. «C'est trop facile que de prétendre que les changements dans le ministère ont, tout à coup, fait surgir les problèmes de collusion et de corruption», a-t-il soutenu.
Le rapport Duchesneau présente un autre point de vue. La perte d'expertise au ministère des Transports coûte cher et fragilise l'indépendance de l'appareil public, selon lui. «Le ministère rend lui-même ses marchés publics vulnérables et les expose notamment à des risques de collusion», écrit M. Duchesneau. Ce dernier ajoute, par ailleurs, que «la collusion et la corruption ne sont pas des fatalités». «Nous devons garder l'inspiration politique pour soutenir cette lutte ensemble, avec acharnement. Et nous devons être impatients», conclut-il.
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Avec La Presse canadienne


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