Maires vulgarisateurs et autres oligarques visionnaires

Énergie nucléaire - Gentilly

Ces derniers temps, on constate que tout ce qui gargouille dans les cercles politiques et industriels déclare adhérer aux principes du développement durable. Et il est assez notoire que les administrateurs et organisations préconisant la pseudo-réfection de Gentilly-2 (l’équivalent d’un Gentilly-3 à l’intérieur de l’enceinte de Gentilly-2) et l’exploitation du gaz de schiste, deux énergies non renouvelables des plus contestables pour leur dangerosité et leur nuisance, sont aussi souvent les gens qui prétendent jouer le rôle de vulgarisateur et de conscientiseur auprès de la population.
Lors des audiences de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, la CCSN , à Bécancour, le maire Richard de Bécancour déclarait que le mandat des élus est de vulgariser les données de l’industrie afin de donner l’heure juste aux citoyens. Mais il a refusé de subventionner (500$) le réseau des bibliothèques de sa municipalité pour l’acquisition d’une vingtaine de documents pertinents sur les vraies affaires du nucléaire, produit par le réseau français Sortons du nucléaire.
D’autre part, le Plan de développement durable du maire Lévesque de Trois-Rivières répète à profusion que les actions de la ville visent à informer, conscientiser et même à se concerter avec les citoyens en matière d’environnement. Or, il est bien connu que M. Lévesque rabroue systématiquement toute personne venant s’adresser au Conseil au sujet de l’environnement. Depuis longtemps, ce sont plutôt les citoyens de la Mauricie et du Centre du Québec qui essaient d’informer et de conscientiser leurs élus au sujet des risques du nucléaire et du gaz de schiste.
Vous faites une inversion des rôles, messieurs les maires. Alors que les alternatives sont disponibles et seraient viables, comment peut-on à la fois préconiser le développement durable et promouvoir l’exploitation d’énergies fossiles qui laissera aux générations futures des problématiques incommensurables à résoudre.
Malgré toute l’information sur les dangers de l’exploitation gazière du schiste, sur la réalité des catastrophes et sur les recherches indépendantes en défaveur de cette filière énergétique, et en dépit des décisions politiques d’autres pays la rejetant, il s’en trouve encore au Québec pour en favoriser l’exploitation en présupposant qu’on puisse y procéder en toute sécurité, alors que l’impossibilité de la rendre sécuritaire et socialement acceptable nous saute aux yeux un peu plus chaque jour.
Par ailleurs, les pro-nucléaires qualifient de propre cette industrie qui prétend faussement ne pas émettre de GES. Pourtant le 16e principe de la Loi sur le développement durable décrète que : «…la valeur des biens et services doit refléter l’ensemble des coûts qu’ils occasionnent à la société durant tout leur cycle de vie, de leur conception jusqu’à leur consommation et leur disposition finale.» En n’incluant pas dans leur évaluation la construction et le démantèlement des centrales nucléaires, la prospection, l’acheminement et la préparation de l’uranium, ainsi que la gestion millénaire des déchets radioactifs, les propagandistes tentent de minimiser les conséquences négatives sur l’environnement et la santé. Et peut-on envisager de façon réaliste et sécuritaire la disposition finale des milliers de tonnes de déchets hautement radioactifs laissés en héritage à nos enfants et petits-enfants qui ne sauront pas plus que nous qu’en faire?
Sans l’arrêt immédiat de la production de ces déchets, l’enfouissement sécuritaire à long terme est-il envisageable et surtout obtiendra-t-il l’aval des citoyens? Déjà la détermination de lieux propices à un tel confinement se bute à des problèmes géophysiques et aux protestations citoyennes. Sans parler du transport inéluctable de ces matériaux radioactifs qui ne sera finalement réalisable qu’en ayant recours à des moyens socialement coercitifs. En effet, qui souhaitera voir passer dans son décor des convois de déchets radioactifs acheminés vers ces sites? Et les Québécois souhaitent-t-ils voir s’installer un tel site sur leur territoire?
Dans le cas du maire Lévesque, il est significatif que son Mémoire de la Ville de Trois-Rivières à la CCSN se termine par ces mots: «… je me ferai… un devoir de me présenter… pour affirmer ma position». Son mémoire de 2006 sur le même sujet se terminait par ces mots: «Je vous confirme que je souhaite ardemment la réalisation de ce projet». Or le maire Lévesque n’a consulté ni la population ni même les échevins élus avant de prendre une telle position publique en faveur du nucléaire. Tout comme il a négligé de soumettre au débat et au vote du Conseil de Ville les résolutions du Regroupement municipal québécois pour un futur énergétique socialement responsable, le RMQ-FESR, demandant au gouvernement du Québec de renoncer à la filière nucléaire, de s’opposer au transport de déchets radioactifs entre les Grands Lacs et le Golfe et d’implanter un vaste chantier d’économie d’énergie, d’exploration et d’exploitation d’énergies renouvelables au Québec. Et il se présente comme un vulgarisateur et un conscientiseur, un élu cherchant la concertation avec les citoyens! C’est d’une inqualifiable arrogance envers les municipalités, les élus et surtout les citoyens et c’est d’un total mépris de la démocratie. À l’instar de Louis XIV qui déclarait L’État c’est moi, le maire Lévesque se dit sans doute La Cité c’est moi.
La Chambre de commerce et d’industrie de Bécancour (CCIB) déclare dans son mémoire pro-nucléaire: «Il est important de souligner que la CCIB adhère aux principes du développement durable». À noter que cet organisme est aussi en faveur de l’exploitation du gaz de schiste. La dangerosité des déchets radioactifs nous survivra pendant des siècles, et même des millénaires pour certains d’entre eux. L’affirmation de la CCIB reflète concrètement son incompréhension de la vision proposée par le principe de l’équité inter-générationnelle du développement durable. Que pouvons-nous retracer dans l’histoire de l’humanité qui soit resté stable et durable pendant quelques millénaires ou quelques siècles? Le vingtième siècle n’est-il pas exemplaire du manque de pérennité des valeurs, des actions et des institutions humaines sur quelques décennies? Et c’est sans compter les menaces écologiques et politiques issues du vingtième siècle (terrorisme, désastres climatiques imprévisibles)!
Comment peut-on prétendre que l’aventure nucléaire puisse être prévisible sur plusieurs siècles? Le nucléaire est la pire fuite en avant de l’humain. On enseigne à nos enfants à ne pas jeter le moindre papier sur le sol, et en même temps on leur offre en cadeau pour leur futur des milliers de tonnes de déchets radioactifs ingérables sur le long terme, et l’on en ajoute sans vergogne, conscients qu’on propulse nos descendants dans un terrible cul-de-sac. Et ça se dit visionnaire! Et ça déclare qu’ils adhèrent aux principes du développement durable! Quelle inconscience!
Et que dire de l’Université du Québec à Trois-Rivières, l’UQTR, ou plutôt de son recteur pro-nucléaire, M. Ghislain Bourque!* Évidemment, il prêche pour sa paroisse: formation d’ingénieurs, retombées de recherche, etc. Dans son discours de fin de carrière, faisant le bilan et l’éloge des réalisations de l’UQTR, M. Bourque s’adresse à son public en ces termes: «C'est…un objet de fierté que je partage avec vous toutes et vous tous…Voilà où nous en sommes, voilà où vous en êtes…Je vais quitter…avec…la conviction… d'avoir grandi…avec vous...et je dirais même grâce à vous Ce sont des paroles éminemment empreintes de dignité et de reconnaissance envers les membres de la communauté universitaire, qu’il considère comme de véritables collaborateurs de qui il tient compte dans l’accomplissement de ses fonctions. Mais justement, M. Bourque a-t-il consulté la communauté universitaire avant de prendre position en son nom pour le nucléaire? Après vérification il semble que non. Pourtant le recteur ne représente-t-il pas des milliers de personnes, employés, étudiants, chercheurs et collaborateurs! L’Université est-elle M. Bourque comme la Municipalité est M. Lévesque?
On a appris récemment que les industriels et gens d’affaires de la région proposent à l’UQTR de créer un baccalauréat sur le gaz de schiste. Si ça se réalise, espérons que l’on y insèrera le visionnement de Gasland et que les citoyens abusés par les gazières et le gouvernement du Québec dans cette saga seront invités à témoigner en classe de schiste. Devra-t-on conclure que le bacc-schiste est plutôt une forme de bakshish relatif à des subventions à la recherche et au développement?
Même la Commission scolaire La Riveraine s’allie aux promoteurs du nucléaire *. Là encore, y a-t-il eu consultation de la base? Après tout une commission scolaire représente des centaines de personnes, employés, élèves, parents? On est en droit de poser la question. Quels sont donc l’intérêt et l’expertise de La Riveraine , ou plutôt de ses administrateurs, pour se prononcer sur un tel sujet au nom de la collectivité relevant de son administration? On parle de la saleté la plus durablement pernicieuse produite par l’humain et que les enfants relevant de cette commission scolaire auront sur les bras dans une vingtaine d’années. Quelqu’un se sera-t-il dit: La Commission c’est moi!
Un fait particulièrement préoccupant ressort de la lecture des mémoires et commentaires de ces organisations: leur seule évaluation de la dangerosité de ces énergies consiste en une confiance aveugle en Hydro-Québec et dans la Commission canadienne de sûreté nucléaire, ainsi qu’envers les Ministères de l’environnement et des Ressources naturelles. Elles éludent la question de la sécurité en se référant à la compétence de ces organismes et traitent aussitôt de leurs intérêts économiques et politiques respectifs.
La CCIB déclare même que «les organismes du territoire ne détiennent pas l’expertise dans le domaine de l’environnement» et s’en remettent donc entièrement à l’expertise de la CCSN et d’Hydro-Québec, lors même que la crédibilité de ces organismes est mise à rude épreuve à mesure que les environnementalistes et les médias révèlent toutes leurs entourloupettes concernant le nucléaire et le schiste.
Le principal argument avancé par les pro-nucléaires est celui de la durée de fonctionnement de 28 ans de Gentilly-2 sans accident majeur, preuve selon eux de sa sécurité et de sa bonne administration. Mais ils oublient que Tchernobyl en avait 10 et que Fukuschima en a 40. La durée d’une centrale n’est pas garante de sa sécurité; cet argument ne sert qu’à se donner bonne conscience et à ne traiter que du signe de piastre.
Or, ce constat laisse perplexe. D’une part, lorsque les anti-nucléaires expriment leurs préoccupations socio-politiques et leurs arguments écologiques, on leur fait savoir que le mandat de la CCSN ne concerne que l’évaluation de la sécurité du projet de pseudo-réfection de G-2, sans avoir à se prononcer sur les aspects politiques et économiques du dossier. Et d’autre part, lorsque les pro-nucléaires éludent l’aspect sécurité pour ne traiter que des aspects financiers et politiques, ces arguments semblent recevables. De là à considérer que les commissaires se comportent plutôt en commissionnaires, il n’y a qu’un pas, d’autant plus que la position favorable du personnel de la Commission au renouvellement du permis d’opération de G-2 était connue avant même le début des audiences des 13-14 avril, ce qui ferait de celles-ci un simple exercice de relations publiques. Attendons la décision des Commissaires pour conclure définitivement!
Ce qui rend farfelus ces débats est le fait même qu’on ne fait pas les vrais débats, ceux que les citoyens souhaitent et exigent: la pertinence du nucléaire et du schiste et leurs alternatives. Dans le cas du schiste, l’industrie et le Gouvernement du Québec ont évité le vrai débat en faisant en sorte de confier un mandat limité au BAPE et en créant une ÉES-bidon (évaluation environnementale stratégique) déjà vouée aux intérêts privés, puisque constituée d’une sur-représentation de l’industrie et d’une sous-représentation environnementaliste et citoyenne. Dans le cas du nucléaire, Hydro-Québec (appuyé par le gouvernement) a évité le véritable débat en proposant un projet de réfection plutôt qu’un projet de nouvelle centrale qui l’aurait obligé à un examen environnemental et à une consultation citoyenne réels.
Au train où vont les choses, ce ne sont ni des comprimés d’iode ni des masques à gaz que les autorités devront distribuer aux citoyens, mais une quantité astronomique de gravol afin de contrer l’épidémie de nausées collectives provoquées par toutes ces manigances.
Robert Duchesne, Trois-Rivières, mai 2011.
* Référence à propos de l’UQTR et de la Commission scolaire La Riveraine :
http://www.cyberpresse.ca/le-nouvelliste/actualites/201103/30/01-4384537-au-secours-de-gentilly-2.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_vous_suggere_4384556_article_POS1
«… les deux chambres de commerce étaient appuyées dans leur démarche par… l'Université du Québec à Trois-Rivières …, la Commission scolaire La Riveraine…. »


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1 commentaire

  • François A. Lachapelle Répondre

    28 mai 2011

    Félicitations pour cette réflexion qui devrait alerter l'opinion publique. Même si on a l'impression de prêcher dans le désert, même des fleurs ouvrent parfois dans le désert et c'est l'émerveillement.
    Serons-nous émerveillés un jour par un comportement public éclairé, franc et transparent par nos leaders tels que Monsieur Lévesque, maire de Trois-Rivières, et Monsieur Bourque, recteur de l'UQTR ? Souhaitons-le candidement.
    Mais la candeur a ses limites. Si ces augustes personnages persistent dans leur mutisme et leur arrogance, nous verrons alors surgir le principe de Peter qui sera leur marque de commerce. Et le mépris du peuple sera leur récompense.
    En attendant, continuons à dire publiquement les saletés produites par une centrale nucléaire telle que Gentilly-2 qui doit fermer, et à dénoncer les techniques aveugles utilisées par les compagnies minières qui recourent à la fracturation hydraulique par 2 à 3 kilomètres de profondeur. Ces dernières appliquent le principe "pas vu, pas pris". Les citoyens, souvent des producteurs agricoles, dont les terrains sont convoités, doivent résister aux chants (champs) des sirènes sous la forme de gazo-dollars offerts par les gazières. Ces citoyens doivent se cramponner à leur conscience publique. La terre ne nous appartient pas, nous appartenons à la terre.
    Amitiés.
    François A. Lachapelle, retraité