Loi 104 invalidée: et si on s’opposait à la Cour suprême?

Loi 104 - Les écoles passerelles - réplique à la Cour suprême

Inconstitutionnelle! Le jugement est tombé comme un couperet: la loi 104, qui colmatait une faille dans la loi 101 permettant à des élèves de fréquenter une école privée anglophone non-subventionnée pendant un an avant d’intégrer le réseau anglophone public, a été invalidée par la Cour suprême du Canada. Devant le pouvoir judiciaire, le politique s’en va lécher ses plaies. Encore une fois, la loi 101 est charcutée: plus de 200 amendements depuis sa création en 1977! Encore une fois, ce sont des juges – non élus – habillés en Pères Noël canadiens qui décident à la place de nos représentants.
Pourtant, la loi 104 ne faisait qu’empêcher un tour de passe-passe permettant à de nombreux immigrants de faire fi de notre loi fondatrice. Il suffisait, par exemple, de payer 10 000$ pour une année dans une école « passerelle » non-subventionnée avant de réinscrire l’élève l’année suivante dans une école publique anglophone. Pire que cela: ses frères et soeurs seraient ensuite dispensées d’études francophones! Dans ce contexte, il y avait des écoles accueillant près de 150 étudiants en première année, mais qu’une quinzaine l’année suivante.
C’était cette brèche béante que le gouvernement Landry a bouché avec la loi 104. Il s’agissait d’un pas, bien timide, pour espérer renverser une situation où le pourcentage d’élèves du primaire scolarisés en anglais augmentait continuellement. Malgré tout, cela a été suffisant pour endiguer l’hémorragie vers l’anglais. Si le pourcentage d’élèves fréquentant l’école anglophone a augmenté régulièrement de 9,46% en 1991-92 à 11,42% en 2003-2004 (première année après l’adoption de la loi), il est resté stable depuis ce moment. 1
Concrètement, même si un taux optimal de fréquentation des institutions anglophones ne devrait pas dépasser 8,2% (la proportion d’anglophones de souche au Québec), et que tout chiffre supérieur indique une certaine assimilation vers l’anglais, la loi 104 a au moins permis d’arrêter la débâcle. En ce sens, elle est indispensable à la protection du français au Québec.
Évidemment, la Cour suprême, malgré son impitoyable jugement, se défend de s’attaquer encore une fois aux valeurs fondatrices du Québec moderne en invalidant la loi. Non, non, non. On dépèce l’animal vivant pour son propre bien, bien sûr. Il suffit ensuite de déclarer ses cris institutionnels pendant qu’on lui arrache des lambeaux de chairs. On recommande au gouvernement de rendre sa loi moins « radicale ». On lui attache les deux pieds, la tête en bas, et on le châtie pour avoir osé prétendre qu’il possédait le pouvoir.
Au Canada, la Cour suprême décide. Pas les politiciens. La Cour, qui se base sur une charte qui ne peut à peu près pas être modifiée. Une charte exaltant les libertés individuelles et reléguant les libertés collectives, comme celle de la survie du peuple québécois, au rang de folklore. Si dans un certain idéal de la démocratie un équilibre devrait exister entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, au Canada les deux premiers s’écrasent systématiquement devant le troisième. La Cour suprême ne devrait-elle pas constituer un pouvoir comme un autre? Avons-nous le devoir moral de respecter un jugement imposé par des Marshall Rothstein, Rosalie Silberman Abella, Louise Charron, Thomas A. Cromwell, Marie Deschamps, William Ian Corneil Binnie, Beverley McLachlin, Louis LeBel, Morris J. Fish et autres individus non élus et majoritairement insensibles aux réalités québécoises?
Nous sommes une nation, mais nous nous affalons devant la Cour suprême d’une autre nation.
Certains m’objecteront, en lançant un appel larmoyant: « Mais nous sommes encore au Canada et nous devons respecter les lois canadiennes! ». Pas nécessairement. Ça me fait penser à une femme battue par un mari ayant « invalidé » à peu près toutes ces petites libertés lui permettant encore d’avoir le droit d’exprimer sa spécificité, lui ayant interdit le droit de sortie, lui réfutant jusqu’à l’expression de son existence distincte. Cette femme devrait-elle refuser d’aspirer à la liberté sous prétexte qu’elle vit encore dans la maison de son mari? Devrait-elle plier l’échine, jouer à la carpette de service et oublier sa propre nature sous prétexte que les lois d’un couple inégal s’y appliquent? Devrait-elle abdiquer jusqu’à sa liberté à chaque fois que son mari lui met dans la face leur contrat de mariage?
Ce couple inégal, c’est le Canada. Un pays dysfonctionnel où la majorité trouve tous les moyens légaux ou illégaux pour s’assurer d’écraser la minorité. Les 200 amendements à la loi 101 ne constituent qu’un exemple supplémentaire dans une litanie de faits historiques ayant contribué à transformer ce qui fut un continent largement francophone en une petite saucisse agrippée au Saint-Laurent et se faisant mâchouiller un nouveau morceau à tous les ans. Doit-on, à l’image de la femme battue, attendre le divorce final avant de réclamer davantage de liberté? Doit-on s’agenouiller et attendre béatement, la lippe pendante, qu’un sauveur déclare l’indépendance et, appuyant ses mains sur nos épaules, nous annonce: « Tu peux te lever, Fils, ton calvaire est terminé »?
À quand un gouvernement qui ose réellement s’opposer, par des moyens concrets, aux outils fédéraux utilisés pour maintenir le couvercle sur la marmite de toute idée québécoise pour assurer la survie des francophones? Et surtout: à quand un parti d’opposition, vautré dans ses grands concepts de discussion nationale et de gestes de souveraineté, qui se décide à combattre de front cette formidable mascarade que constitue une Cour suprême se basant sur une charte des droits et libertés consacrant surtout le droit des anglophones à s’éduquer en anglais et liberté des Québécois à disparaître dans le silence le plus complet?
1. Source: Ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport


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