Le resserrement des règles du lobbying a la cote. Alors que les lois se multiplient et tendent à être plus sévères, une réflexion en profondeur s’impose sur les effets de ces réglementations. Quelles sont les conséquences d’un encadrement plus rigoureux du lobbying ? En faisant preuve de plus de sévérité, atteint-on réellement les objectifs visés ?
Le moment est propice pour réfléchir à ces enjeux, d’autant plus qu’au Québec, cinq ans après son adoption, il est prévu que la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme soit réévaluée. Ce sera alors l’occasion de proposer certaines modifications.
Des effets pervers
Le lobbying est une activité légitime dans une société démocratique. Les élus et les fonctionnaires ne peuvent gouverner en vase clos : il est souhaitable que les acteurs de la société civile puissent faire valoir leur point de vue auprès ces derniers afin que leurs décisions reflètent la volonté collective. Or, malgré leurs bonnes intentions, les décisions des législateurs résultent parfois en des réglementations qui, dans les faits, peuvent dissuader les entreprises et les groupes d’intérêt à faire valoir leurs revendications auprès des gouvernements. Alors qu’on doute fort que la sévérité des règles n’intimide les lobbies les plus puissants — industrie pétrolière, aérospatiale, pharmaceutique, ou autres — la question se pose pour les groupes d’intérêt aux ressources plus limitées, de même que pour les petites entreprises, qui constituent, rappelons-le, 97% de l’ensemble des entreprises canadiennes.
Dans une étude que j’ai menée un an après l’adoption de la loi québécoise, il ressort clairement que la lourdeur bureaucratique liée à l’inscription au registre des lobbyistes est susceptible de générer deux types d’effets pervers. Il y a de fortes chances, d’une part, que les plus petits joueurs poursuivent leurs démarches d’influence dans l’ombre, n’ayant pas les ressources nécessaires pour procéder à l’inscription au registre et aux mises à jour requises. On anticipe, d’autre part, que devant la complexité des règles, plusieurs groupes et PME choisiront plutôt de limiter leurs démarches auprès des gouvernements, en risquant de se retrouver avec des législations inadéquates au regard de leurs activités.
Le resserrement des règles prévu dans la Loi sur la responsabilité fédérale risque d’exacerber ces effets pervers, et ce, de deux manières. D’abord, en alourdissant le processus d’enregistrement par l’imposition d’une mise à jour mensuelle (le délai était de six mois dans l’ancienne loi). Ensuite, en interdisant la rémunération conditionnelle aux résultats, tout comme le fait la loi québécoise. Or, bien que parfois controversé, ce type de rémunération pouvait permettre aux groupes et aux entreprises, qui n’avaient pas les moyens d’embaucher un lobbyiste, de se prévaloir de services professionnels, tout comme c’est le cas de nombreuses organisations qui n’ont pas les ressources pour embaucher un avocat. Au moment de l’étude du projet de loi québécois, en 2002, la Protectrice du citoyen du Québec avait d’ailleurs reconnu que l’interdiction de la rémunération conditionnelle aux résultats était «de nature à diminuer pour plusieurs l’accessibilité aux titulaires de charges publiques et [risquait] d’aboutir à une certaine distorsion du processus démocratique».
En imposant un «purgatoire» de cinq ans aux titulaires de charges publiques (TCP) qui désirent faire un retour comme lobbyiste, la loi fédérale contribue également à maintenir un climat de suspicion autour du lobbying, tout en étant peu propice au recrutement de personnalités susceptibles de faire le saut en politique. Rappelons qu’une disposition similaire de la loi québécoise — qui impose quant à elle un délai d’un ou deux ans aux TCP en fonction du poste occupé précédemment — avait fait bondir les membres du personnel politique — tout parti confondu — qui voyaient là un manque de confiance flagrant envers leur intégrité.
Laver plus blanc que blanc
Les législations visant à encadrer le lobbying sont le plus souvent adoptées — ou modifiées — en réponse à des crises politiques. Ce fut le cas au États-Unis, au Québec, tout comme au niveau fédéral canadien, où la Loi sur la responsabilité fait écho à plusieurs des recommandations du juge Gomery, formulées dans la foulée du scandale des commandites. Un tel climat mène souvent à des décisions législatives qui ont davantage pour but de redorer le blason des partis politiques que d’encadrer avec efficacité le lobbying.
L’exception québécoise pour les organismes à but non lucratif, qui ne sont pas assujettis à la loi, témoigne de façon éloquente des raccourcis législatifs qui résultent parfois d’une crise politique. Ainsi, puisque les événements ayant mené à l’adoption de la loi québécoise impliquaient des lobbyistes-conseils, ceux-ci ont écopé d’une politique de deux poids, deux mesures, qui les astreint à des règles démesurément sévères par rapport aux contraintes imposées aux autres catégories de lobbyistes. Dans la saga entourant le déménagement du Casino de Montréal, par exemple, les promoteurs du projet ont dû inscrire au registre des lobbyistes, notamment, les titulaires de charges publiques visés par leurs démarches, la nature de celles-ci, la période pour laquelle elles se sont poursuivies et les objectifs établis, alors que la majorité des groupes s’opposant au projet ont pu exercer leurs démarches auprès des autorités sans rendre compte de ces détails.
La confiance passe par la reconnaissance
Nous ne pouvons qu’espérer que la réflexion entourant la mise à jour de la loi québécoise puisse se faire dans un climat serein, à distance du jeu politique. Il est primordial que les tenants et aboutissants de plusieurs éléments législatifs soient longuement réfléchis. Alors qu’on doit éviter les excès de zèle, l’assujettissement formel des organismes sans but lucratif semble incontournable pour en finir avec ce double standard qui fait perdurer la suspicion à l’endroit de certains types de lobby. L’obligation d’inscrire au registre certaines stratégies de lobbying, telle la formation, par un groupe donné, de coalitions de citoyens, mérite aussi d’être explorée. La consultation du registre doit par ailleurs être simplifiée afin que les intéressés — les médias, par exemple — puissent s’y retrouver pour jouer pleinement leur rôle de «chien de garde». Enfin, la hausse de confiance des citoyens envers nos institutions passe aussi — et surtout — par la reconnaissance du lobbying. Il est essentiel que cette activité, qu’elle provienne des entreprises ou des groupes d’intérêt, soit considérée comme légitime, saine et souhaitable dans toute société démocratique.
Ce texte est rédigé dans le cadre du programme Action Canada
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Stéphanie Yates
Candidate au doctorat en science politique* à l’Université Laval
Lobbying : pour en finir avec la suspicion
Par Stéphanie Yates
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