Le 9 janvier, le quotidien The Gazette publiait un article intitulé « Number of Quebecers leaving the province is on the rise ». On y rapporte les résultats d’une étude du Canadian Institute for Identities and Migration. On peut y lire, par exemple, que le nombre de sortants du Québec vers une autre province canadienne enregistré entre janvier et septembre 2013 atteignait le niveau le plus élevé au cours du « siècle » pour une période de trois trimestres. En entrevue, Jack Jedwab, historien et vice-président exécutif de l’Institut, signale que cette hausse n’est pas liée au débat sur la charte de la laïcité, mais ne peut résister évidemment d’en parler. Il s’empresse aussi de signaler qu’une telle hausse des départs correspond normalement à une grave crise économique alors qu’en réalité, nous ne sommes pas en récession. Du même souffle, il note que cette période coïncide avec la présence du Parti québécois au gouvernement et que si cela devait persister pour un autre trimestre, on serait en droit de penser que des considérations non économiques (lire politiques) seraient à l’oeuvre ici. Il laisse ainsi habilement planer le doute sur le fait que cette hausse puisse être le début d’un exode des anglophones et des immigrants récents vers l’Ontario pour des raisons politiques : élection du Parti québécois et débat sur la charte de la laïcité. L’article a été à l’origine d’un reportage semblable à CTV News, d’un blogue sur Yahoo actualités et bien sûr de centaines de commentaires plutôt défavorables au Québec sur leurs sites Web respectifs.
Malheureusement, l’étude est trompeuse, car elle utilise des données de sources différentes qui ne sont tout simplement pas comparables entre elles. Il existe deux sources de données utilisées par Statistiques Canada pour estimer les mouvements interprovinciaux : les fichiers de prestations fiscales pour enfant et les fichiers de déclarations de revenu. La première source, moins fiable mais plus précoce, est utilisée pour établir les estimations provisoires, et la seconde pour calculer les estimations définitives. L’agence statistique nationale met en garde ses utilisateurs sur les risques de comparer les estimations provenant des deux sources, mais Jack Jedwab omet de le souligner.
Pour toutes les provinces, pas seulement le Québec, les données provisoires surestiment généralement le nombre de sortants interprovinciaux par rapport aux données définitives disponibles quelque 18 mois plus tard. En ce qui concerne le Québec, pour un même trimestre, le nombre de sortants provenant des données provisoires est en moyenne (depuis 1996) de 21 % supérieur à celui des données définitives. C’est entre autres grâce à cette surestimation bien connue que Jack Jedwab a pu affirmer que le nombre de sortants du Québec atteignait le niveau le plus élevé au cours du siècle au cours des trois trimestres de 2013. Sans compter qu’utiliser le terme « siècle » pour qualifier une période de 13 ans depuis l’an 2000 apparaît abusif, il aurait mieux valu comparer les données provenant d’une même source. Ainsi, si on analyse des données comparables (données provisoires) pour les trois premiers trimestres d’une année, on se rend compte que le nombre de sortants pour les trois premiers trimestres de 2013 est inférieur à celui estimé pour les trois premiers trimestres de 2000, 2001, 2002, 2006, 2007 et 2008, soit presque une année sur deux depuis le début du « siècle ».
Alain Bélanger - Professeur agrégé et directeur des programmes de démographie, Institut national de la recherche scientifique Centre Urbanisation Culture Société
L’auteur a travaillé pendant 17 ans à Statistique Canada, où il a notamment été chef de l’analyse et de la recherche à la Division de la démographie pendant plusieurs années.
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