CHARTE DES VALEURS

Lettre ouverte de Bernard Landry

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Volte-face spectaculaire !

Dès la présentation de la Charte des valeurs québécoises, mon premier commentaire a été de féliciter notre gouvernement pour son courage et sa lucidité. Il a assumé un devoir dont aurait dû s’acquitter son prédécesseur après la publication du rapport Bouchard-Taylor. Il est clair, à la suite des épisodes erratiques d’accommodements, souvent déraisonnables et non balisés, vécus par notre nation qui accueille 55 000 immigrants par année - le taux le plus élevé au monde - qu’elle a l’obligation dans son intérêt comme dans celui des arrivants, d’établir des règles dont l’absence ne conduirait qu’à l’injustice et aux entraves à l’intégration. Comme nous avons le devoir de les accueillir, les arrivants ont celui de l’intégration.
Le gouvernement a eu tellement raison qu’un vaste débat profond et démocratique, l’un des grands de notre histoire contemporaine, et presque sans dérapage, est toujours en cours pour nous conduire à l’ultime version du projet que nous ne connaissons pas encore, mais que toutes ces discussions devraient amener au plus haut niveau de confiance rassembleuse.
Deux de mes prédécesseurs se sont soigneusement acquittés de leur devoir de contribuer à ce débat vital pour notre nation par des textes de qualité dont j’ai verbalement salué la pertinence sans par ailleurs jamais les avaliser totalement comme certains l’ont erronément laissé entendre. Je me sens aujourd’hui obligé d’écrire à mon tour dans l’espoir de contribuer de façon positive avec mes suggestions et mes réserves à la meilleure charte possible. C’est mon devoir comme c’était celui de Parizeau et Bouchard. Je ne comprends pas ceux qui leur reprochent de s’être exprimés.
Avant même de prendre position sur la Charte, j’ai martelé depuis des années que « lorsqu’on change de pays, on change de pays ». J’ai dit et redit que le Québec, multiethnique depuis sa naissance, n’est pas et ne doit pas être multiculturel. Le multiculturalisme est une doctrine perverse qu’Ottawa nous a grossièrement imposée. Le Canada est le seul pays à avoir constitutionnalisé cette aberration. Ceux qui la pratiquent sont en repentance même la Grande-Bretagne et le Canada à bien des égards commencent à regretter leur erreur. La Charte a même un étonnant support dans l’opinion ontarienne. Pour ces raisons, j’ai globalement défendu et défends toujours le projet du gouvernement et ses fondements incontestables.
J’ai par ailleurs effectivement, comme tant d’autres, quelques réticences à ce que l’on connait du projet gouvernemental. Dès le début par exemple, je n’ai pas trouvé adéquat le nom proposé. Les valeurs québécoises vont bien au-delà du projet qui, essentiellement, touche la laïcité qui devrait donner son titre à ce document. Nos valeurs couvrent aussi, entre autres, la solidarité sociale, la répartition de la richesse, le soutien exemplaire à la vie familiale, le rôle des femmes dans la société pour lequel nous faisons mieux ici qu’à peu près partout ailleurs.
J’ai aussi des réserves sérieuses quant à l’opinion de mes deux prédécesseurs qui ont accepté notamment une liste des personnes en autorité qui devaient s’abstenir de porter des symboles ostentatoires : la liste Bouchard-Taylor. Or, selon moi, elle est trop courte. Il faut y inclure d’autres personnes en autorité rémunérées par l’État particulièrement les enseignants et les enseignantes. L’éducation est mon métier et l’on sait qu’il implique diverses formes d’autorité : intellectuelle, morale voire disciplinaire et arbitrale pour les notes d’examen par exemple.
Ceux et celles qui choisissent cette noble vocation devraient s’abstenir d’afficher dans les classes les signes de leur croyance religieuse ou politique. De la maternelle à l’université, les jeunes que l’on éduque ne doivent pas directement ou indirectement être influencés par le choix des professeurs dans le domaine crucial de la liberté de religion en particulier. La religion des uns ne doit conditionner d’aucune manière la vie des autres dans le service public et la vie civique en général.
Il me semble aussi que sur un point le débat doit être clos - et il l’est pratiquement – c’est la fameuse question du crucifix à l’Assemblée nationale du Québec. Le lieu même où est proclamée la laïcité se doit d’être exemplaire à ce titre. Quand les évêques et les « femen » convergent, il est clair que la question est réglée!
Je ne crois pas non plus que les exemptions institutionnelles ou géographiques, évoquées par certains ministres, soient pertinentes. Le Québec doit être rassembleur de Ville Saguenay à Ville Mont-Royal. Nos valeurs doivent nous unir et non nous diviser. Hélas, nous ne sommes pas encore en république, mais nos voisins américains et nos cousins français qui le sont pourraient sur ce point nous inspirer à certains des égards.
J’espère que cette contribution écrite, que j’aurais pu faire avant, sera utile à notre gouvernement en qui j’ai confiance pour mener à bien cette évolution nationale qu’il a vaillamment amorcée. Tout le monde aura compris que pour des raisons autres que personnelles, même si j’en aurais, la thèse courageuse et lucide des Janettes me séduit plus que n’importe quelle autre.


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