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Lettre au cardinal Ouellet - Un véritable suicide institutionnel

La Lettre du cardinal Marc Ouellet



Lors de votre récente comparution devant la commission Bouchard-Taylor, vous avez déclaré: «Le renouveau du catholicisme et des valeurs des Québécois, qui ont fait notre identité, serait une grande partie de la solution aux tensions qui existent. Il y a des groupes qui sont plus identifiés que nous au plan religieux, et nous nous demandons qui nous sommes.»

Permettez-moi de ne pas vous suivre dans votre argumentaire. Le plus gros problème de l'Église catholique au Québec n'est pas relié aux relations interreligieuses, il est beaucoup plus grave. Le magistère de l'Église catholique a perdu contact avec ce que nous appelons le peuple de Dieu.
Le Vatican contrôle tout, décide tout. Les évêques ne peuvent plus dire ce qu'ils pensent. Ils ne peuvent même pas réagir ouvertement au «message» très clair reçu de la Conférence religieuse du Canada. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de problème, mais je suis étonné que vous ayez profité de cette tribune pour cacher la vraie cause du drame religieux chez les catholiques au Québec. Il s'agit à mon avis d'un véritable suicide institutionnel. Et la responsabilité doit être mise sur les épaules... du magistère de l'Église, ce qui comprend les évêques et le pape. Mais parlons d'abord de vous-même puisque vous êtes le «primat» de l'Église canadienne.
Femmes et Église
Le 26 janvier 2003, vous déclariez dans une entrevue au journal Le Soleil: «Les femmes n'ont pas de droit inhérent à devenir prêtre parce que ce droit n'existe pas plus pour les hommes que pour elles. Je n'ai pas le droit d'être évêque, je suis appelé par Dieu, à travers l'Église.»
Beaucoup de femmes, mariées ou non, qui ont consacré leur vie à l'enseignement de la théologie ou au service de l'Église d'une autre façon, seraient satisfaites d'un tel traitement. Beaucoup d'hommes mariés aussi. Qui peut dire ce que Dieu en pense? Il est difficile d'imaginer que l'objection viendrait de Lui. Ceux qui pensent le contraire ont le fardeau de la preuve.
Ne croyez-vous pas qu'il eût été plus approprié de dire que vous avez choisi de servir l'Église catholique et que le magistère de notre Église vous a appelé à devenir prêtre, puis évêque et... cardinal?
J'ai suivi avec un grand intérêt votre arrivée, très médiatisée, à Québec. Vous avez constaté que de nombreux fidèles s'étaient éloignés de l'Église. Lorsque vous avez entrepris de visiter les paroisses de votre immense diocèse, vous avez certainement entendu souvent une des principales raisons de cet éloignement: la discrimination envers les femmes et le refus d'adapter le code moral imposé historiquement par l'Église en matière de sexualité.
Vous trouverez la preuve de cette hypothèse dans les nombreux sondages démontrant que la majorité des Québécois croient encore en Dieu et au Christ. C'est le discours de l'Église, inadapté à la société moderne, qui les a chassés des églises. Ils y reviendraient si ce discours devenait ce qu'il eût été si le pontificat de Jean XXIII avait duré cinq ans de plus! Deux grands sujets sont en cause: la discrimination envers les femmes (la totalité des femmes) et envers les hommes... mariés.
Il faut d'abord choisir entre deux approches: maintenir la règle imposée à «nos aïeux», laquelle règle a permis de multiplier les familles de 10, 12 ou 15 enfants: «Tout acte matrimonial doit être ouvert à la transmission de la vie.» Les confesseurs y ajoutaient un complément: «La femme qui refuse une relation avec son mari se rend coupable de l'adultère qu'il pourrait commettre.»
Responsabilité de l'Église
Les deux comités d'étude qui ont été nommés, le premier par le pape Jean XXIII (élargi après sa mort par son successeur) et le deuxième par le pape Paul VI, sont arrivés à la même conclusion: «Pour les couples mariés, les relations fertiles et les relations infertiles forment un tout.» Comme vous le savez sans doute, le cardinal Karol Wojtyla a fait de fortes pressions auprès de Paul VI pour que la position traditionnelle de l'Église ne soit pas modifiée. La vie de l'Église, comme toute vie sur Terre, est soumise à des conjectures, parfois heureuses, parfois malheureuses, qui reposent sur la liberté que le Créateur a voulu accorder à ses créatures.
Vous me pardonnerez de croire que nous assistons actuellement à un des plus grands suicides institutionnels de l'histoire moderne: celui de l'Église catholique, en terre de liberté! Comme je suis arrière-grand-père -- père de cinq enfants, de dix petits-enfants et de deux arrière-petits-enfants --, j'ai un profond intérêt dans l'avenir de la foi chrétienne.
Je me permettrai de dire que ceux qui porteront la responsabilité, aux yeux de l'histoire, ne sont pas les millions de croyants qui auront abandonné l'Église, ce sont ceux qui les auront fait fuir des églises, faute d'avoir compris que la pastorale et la culture religieuse doivent évoluer en symbiose avec l'évolution de l'humanité. Le pape Jean XXIII avait tout compris. Malheureusement, il est mort avant d'avoir atteint l'objectif qu'il s'était fixé.
II y a une phrase prononcée en 1966 par un cardinal que vous connaissez bien, un certain Joseph Ratzinger, qui a changé de nom depuis. Cette phrase fait partie de mes «méditations» quotidiennes. Elle se lit comme suit: «La conscience est le tribunal suprême et ultime de la personne humaine, même au-dessus de l'Église officielle; et c'est à elle que nous devons obéir.»
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Jean-Paul Lefebvre, Journaliste indépendant et essayiste
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