Lettre à Tania Longpré

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L'indépendance reste à faire

Ma chère Tania,


Je me permets de t’écrire ici, amicalement, suite à ton entrevue auprès du Journal. Nous sommes des amis proches dans la « vraie vie », mais des commentaires publics amènent très bien une réponse publique, surtout quand il s’agit de questions qui sont d’intérêt... public. Qui plus est, le lectorat de ce Journal te connaît bien car tu y as été une blogueuse pertinente et percutante pendant plusieurs années.


Seulement, tu t’en douteras, je ne peux qu’être radicalement en désaccord avec tes propos, expliquant pourquoi tu n’es plus souverainiste et pourquoi tu envisages une candidature pour la CAQ aux prochaines élections. Et je le fais en tout respect, car tes commentaires sont honnêtes et tu n’as pas cherché à te dissocier de ton passé indépendantiste. Tes raisons de t’éloigner de l’indépendance ne sont pas, non plus, caricaturales. Je sais aussi que tu demeures fermement fidèle au Québec. Nous sommes donc loin de te rebaptiser Tania Mourani.


Je tiens à te dire que je te comprends. Le mouvement souverainiste est très loin d’être parfait, et il s’arrange très souvent pour qu’on ne s’y reconnaisse pas. Tu parles notamment des « idées plus de centre-droit ». Bien que je récuse ces étiquettes, je comprends pourquoi tu te réclames de ce positionnement, notamment sur les questions d’identité. Je me rappelle aussi que tu étais favorable à la gratuité scolaire, et ce, bien avant que je la soutienne moi-même. Sur les questions socioéconomiques, force est d’admettre que le mouvement souverainiste au pouvoir a souvent embrassé des positions qu’on classerait au « centre-droit ». Ce sont ces positions qui ont entraîné la création de Québec solidaire. À l’époque, tu condamnais cette gauche qui mettait des conditions à l’indépendance. L’indépendance, disions-nous toi et moi, n’appartient à personne. Pourquoi y mettre, dès lors, des conditions de « centre-droit » ? Faut-il vraiment jeter le bébé avec l'eau du bain ?


Ça m’a embêté que tu parles de ton rêve d’adolescence. Tu avais d’ailleurs déjà écrit un texte, sur ton blogue, désignant la souveraineté comme étant ton « vieux rêve ». Ton vieux rêve ? Te voilà déjà fatiguée, dans la jeune trentaine ? Les têtes blanches qui posaient des affiches pour Pierre Bourgault en 1966 peuvent certainement, aujourd’hui, parler de leur « vieux rêve ». Peux-tu vraiment dire, à ton âge et après seulement quelques courtes années de militantisme, que les indépendantistes de notre génération ont vraiment tout essayé ? Pense au nombre de peuples auxquels il a fallu des siècles et des siècles de patience pour y parvenir.


Tu affirmes aussi que tu es venue à la conclusion qu’il y avait des enjeux plus importants que la souveraineté, un peu à la manière des « vraies affaires » du Parti libéral. Mais les enjeux qui te tiennent à cœur, toi, sont le français, la laïcité et l’intégration des immigrants, comme l’article du Journal le rapporte. Ici, je te suis encore moins. Il ne reste presque plus rien de la loi 101. Pourquoi ? À cause de notre présence au sein du Canada. Ce n’est pas une chimère, c’est concret : il existe une Cour suprême chargée de renverser les lois démocratiquement votées allant à l’encontre du « multiculturalisme » officiel. La laïcité ? Même la coquille vide du gouvernement Couillard qu’est la loi 62 pourrait être menacée par ces mêmes tribunaux si on en croit Justin Trudeau. Imagine ce qui arriverait de ce que la CAQ propose en la matière! Quant à l’intégration des immigrants, ne crois-tu pas qu’elle serait mieux servie si les nouveaux arrivants mettaient clairement le pied au Québec, et non pas au sein de deux nations en même temps qui envoient des signaux contradictoires sur leurs conceptions de l’identité ? Ne serait-il pas mieux de contrôler l’ensemble de notre immigration plutôt que d’en laisser une partie au Canada ?


Tu me diras sans doute qu’il faut mieux utiliser les pouvoirs que nous avons déjà, même s’ils sont limités à souhait. Je suis bien d’accord, et cela nous rappelle toute l’importance du pouvoir politique, d’être souverains dans ces champs. Pourquoi, selon toi, ne serait-il pas important de l’être dans tous les champs de notre vie politique ? Lesquels, à ton avis, sont dans une meilleure situation en étant entre les mains d’Ottawa ?


Tu dis aussi n’être ni fédéraliste ni souverainiste, comme si on pouvait rester éternellement au milieu de la rivière pendant que le courant est fort. Tu dis donc tout simplement nationaliste, comme si la question du statut politique était négligeable. Mais, c’est quoi au juste une nation quand elle n’est pas souveraine ? La différence entre une communauté culturelle et une nation est précisément qu’elle a des institutions politiques au sein desquelles elle peut s’incarner. La souveraineté, c’est son pouvoir d’agir. La seule nation au Canada, celle qui contrôle son État, c’est la nation canadienne. Il ne faut pas se mettre la tête dans l’autruche, comme disait un ancien député de ton parti.


Dans la même veine, tu affirmes qu’il est encore plus important de défendre l’identité québécoise au sein du Canada. N’es-tu pas en train de reconnaître que cette identité est davantage menacée au sein d’une province qu’elle ne le serait dans un pays ? N’admets-tu pas, d’une certaine façon, que la défense provinciale de l’identité est un peu compensatoire, que c’est une position de repli ?


Finalement, tu affirmes que l’indépendance est une utopie. Vraiment, Tania ? C’est une utopie pour les 197 pays actuellement reconnus dans le monde ? C’était certainement une utopie aussi pour les premiers militants de l’indépendance qui ont obtenu 5,55 pourcent aux élections de 1966, jusqu’à ce qu’un parti souverainiste prenne le pouvoir à plusieurs reprises et réalise deux consultations sur la question. Je te comprends, encore une fois, d’être désespérée. Le pays du Québec a l’air bien loin. Il m’arrive moi aussi de craindre qu’on ne le voit jamais naître. Mais ça n’enlève rien au fait que, tant que l’indépendance n’est pas faite, elle reste à faire. La souveraineté est certainement moins utopique que le nationalisme de province auquel tu sembles nous convier.


J'espère pouvoir échanger avec toi prochainement sur tout ça.


Amicalement,


SPST


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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).