QUÉBEC EN 1984, OTTAWA EN 2014

Les zombies

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«Jusqu'où faudra-t-il aller ?»

1984 à Québec. 2014 à Ottawa. La concordance des dates d’attentats contre nos parlements national et fédéral est frappante. Si les deux événements se ressemblent à certains égards, ils sont pourtant très différents à d’autres. Et ces contrastes ont de quoi inquiéter.
À chaque drame d’une magnitude comme celui survenu à Ottawa mercredi, il est de coutume de dire que nous venons de « perdre notre innocence ». Pourtant, en 1984, l’Assemblée nationale a vécu de tristes événements comparables ; et qui comportent même plusieurs similitudes : irruption d’un tireur dans le parlement (au moment d’écrire ces lignes, à Ottawa, un seul avait été identifié) ; meurtre et tentative de meurtre de sang-froid par une personnalité troublée. « Victime innocente » d’une « violence inouïe, insensée », pour reprendre les mots de René Lévesque il y a 30 ans. Confusion dans la maison de la démocratie, dans la capitale, au pays.

Les contrastes sont toutefois nombreux. Et révélateurs. En 1984, c’était un militaire qui comptait annihiler le gouvernement. Mercredi, la seule victime (confirmée au moment d’écrire ces lignes) était un militaire dont le seul « crime » fut de porter un uniforme. Lorsqu’il fut assassiné, Nathan Frank Cirillo faisait son tour de garde devant le cénotaphe visant justement à pleurer des morts des première et deuxième guerres mondiales.

Le symbole est tristement fort. Et nous rappelle que nous sommes en guerre, mais d’un tout autre type que celles du XXe siècle. Déjà, en 1984, cette confrontation larvée, imprévisible, nihiliste, aux multiples foyers, montrait le bout de son nez. René Lévesque y avait fait allusion dans son discours au Salon bleu, au lendemain du geste fou de Lortie. À Londres, en avril 1984, une policière avait été assassinée devant l’ambassade de Libye ; deux jours plus tard, l’aéroport de la capitale britannique était le théâtre d’un attentat à la bombe. « On se disait qu’on avait de la chance de ne pas vivre aussi dangereusement que cela au Québec », s’était dit Lévesque, en déplacement là-bas. En mai, Lortie frappait : « Nous savons qu’aucune société, nulle part dans le monde, n’est plus complètement à l’abri », concluait Lévesque à regret.

La violence « comme mode de règlement des conflits, même comme mode d’expression » était en croissance, déplorait encore Lévesque en 1984. Nous le savions déjà. Lui-même avait d’ailleurs condamné sans équivoque, 14 ans auparavant, les felquistes responsables de la mort de Pierre Laporte, les qualifiant d’« êtres inhumains » ayant « importé ici, dans une société qui ne le justifie absolument pas, un fanatisme glacial » et des méthodes « d’une jungle sans issue ».

Pour l’instant, nous avons peu d’informations sur les noires motivations du seul suspect d’Ottawa identifié (et exécuté), Michael Zehaf-Bibeau. Des rapprochements avec l’auteur de l’autre geste terroriste, en début de semaine, Martin Couture-Rouleau, semblent être possibles. Des êtres désemparés, désorganisés, pour qui la radicalisation islamiste fut porteuse de sens…

Désemparés eux aussi, Denis Lortie ou Richard Henri Bain (auteur de l’attentat du 4 septembre 2012) avaient des motifs politiques ; mais peu structurés, propres à eux, non rattachés à une idéologie organisée identifiable. Couture-Rouleau (et peut-être Zehaf-Bibeau) importe ici, « dans une société qui ne le justifie absolument pas », le « fanatisme glacial » du groupe État islamiste. Chose terrifiante, cette idéologie puise dans les passions religieuses ultrapuissantes, transfrontalières autant que transnationales propres à l’ère de l’Internet ; transforme soudainement de pauvres âmes en zombies chasseurs d’uniformes et de symboles occidentaux.

Comment lutter contre cette contagion sans sacrifier nos libertés ? Déjà, depuis le 11 septembre 2001, la sécurité a été renforcée à Ottawa. Et encore plus en 2006 après qu’un complot pour « décapiter » Stephen Harper eut été éventé. Jusqu’où faudra-t-il aller ?


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