Les théoriciens flamands du séparatisme voient arriver la fin du royaume belge

Belgique - des leçons à tirer...



Quatre-vingts jours après les élections, la Belgique n'aperçoit pas d'issue au blocage politique qu'elle connaît après l'interruption des négociations gouvernementales, jeudi 23 août. La question d'une réforme du fédéralisme divise toujours Flamands et francophones, et la mise en place d'une coalition entre chrétiens démocrates et libéraux n'est plus une certitude, alors que le roi Albert II multiplie les consultations de "sages".
Pour les partisans d'une Belgique unitaire, la situation est inquiétante. Du côté des séparatistes flamands, ultranationalistes d'extrême droite ou membres de Nouvelle alliance flamande, alliés aux chrétiens démocrates d'Yves Leterme, on se réjouit : de plus en plus de Flamands évoquent la nécessité d'une plus grande autonomie, voire d'une indépendance pour leur région.
Installé au bar du club de De Warande, un lieu très huppé des dirigeants flamands à Bruxelles, Remi Vermeiren a la jubilation discrète. "Les différences fondamentales entre la Flandre et la Wallonie, sur le plan économique, politique et culturel sont trop fortes. C'est ce qu'illustre la situation actuelle", affirme cet ancien patron du groupe bancaire KBC.
M. Vermeiren est la figure de proue d'In De Warande, un groupe de réflexion réunissant des dirigeants d'entreprises et des intellectuels incarnés en théoriciens du séparatisme. Dans un manifeste de 250 pages publié à la fin de 2005, ils ont énoncé toutes les raisons qu'avait la Flandre de proclamer son indépendance. "Au bout de quarante années de compromis, faute de cohésion et de confiance, c'est tout l'édifice belge qui va s'effondrer. Il n'est pas sain qu'une région bénéficie de transferts financiers et n'assume pas ses responsabilités, mais je serais partisan d'un maintien d'une solidarité temporaire avec la Wallonie après la scission", affirme M. Vermeiren.
Cet héritier du vieux courant nationaliste flamand évoque, bien sûr, les quelque 8 milliards, au total, que la Flandre offrirait chaque année à la Wallonie - en plus de 2 autres à Bruxelles - par le biais de la Sécurité sociale et de la loi de financement des régions.
L'ex-banquier évoque toutefois d'autres éléments pour justifier son projet : dans une Flandre "émancipée", l'extrême droite perdrait sa raison d'être, la culture et la langue seraient mieux respectées, "l'esprit entrepreneurial" mieux récompensé.
"La séparation, c'est 70 % d'émotion", enchaîne Marc Platel, un ancien éditorialiste acquis aux thèses séparatistes. Aujourd'hui convaincu qu'il n'est "plus possible" de réconcilier le Nord et le Sud belges, ce sexagénaire bilingue se souvient avec émotion de l'épisode qui l'a le plus marqué : un pédiatre francophone de Bruxelles ne comprenant pas un mot de néerlandais alors qu'il lui présentait un de ses enfants malades.
A en croire les auteurs du manifeste, il n'y aurait "aucun signe" d'égoïsme ou d'agressivité, aucune volonté de repli sur soi dans un texte désormais devenu la référence de tous les "ultras". D'ailleurs "l'indépendance n'est pas un but en soi, elle est surtout un modèle et n'est pas dirigée contre les Wallons, pour lesquels l'émancipation serait tout aussi inspirante et motivante", dit le texte. Pas dans un premier temps toutefois car, selon divers économistes, elle se traduirait par une forte chute du niveau de vie et une progression de 15 % de la pauvreté en Wallonie.
In de Warande reste, par ailleurs, assez flou quant aux moyens à utiliser pour proclamer le divorce des Belges. Mais le juriste Paul Van Orshoven, de l'université flamande de Louvain, les rassure : "Si les partis flamands jugent que la décision est démocratiquement légitime, ils peuvent, à la Chambre (des députés), ou au sein des groupes linguistiques de la Chambre et du Sénat, voter, à la majorité simple, la séparation", a-t-il expliqué.
C'est ensuite qu'une Flandre indépendante déciderait de la forme que prendrait son Etat, des liens qu'elle maintiendrait avec les francophones et du rôle qu'elle assignerait à Bruxelles. Restée la capitale de la Flandre et, "s'ils le désirent" des Wallons, celle-ci pourrait devenir un district, voire un Etat autonome et cogéré, pense M. Vermeiren.
L'ancien premier ministre chrétien démocrate flamand Mark Eyskens rejette ces idées et agite plutôt la menace d'une "terrible amputation" pour une Flandre devenue indépendante alors qu'une "petite Belgique" continuerait, avec Bruxelles, sa périphérie et la Wallonie.
Rudy Aernoudt, économiste et haut fonctionnaire flamand, a quant à lui écrit un contre-manifeste intitulé "Je t'aime moi non plus" pour démonter l'argumentation d'In de Warande et souligner les liens qui unissent les économies flamande et wallonne, chacune des régions étant la première cliente de l'autre.
Yves Leterme, toujours cité comme potentiel premier ministre fédéral, a qualifié, à l'époque, de "fait politique" la parution du manifeste. Plus tard, il n'a pas hésité à comparer la Wallonie à "un sac de cailloux" qui risquait d'entraver la marche de la Flandre prospère.
Jean-Pierre Stroobants


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