Les temps sont durs pour l’unité canadienne. Alors qu’un fort mouvement sécessionniste décolle dans l’Ouest, à l’Est, les souverainistes québécois ne désespèrent pas. Le Bloc québécois, parti souverainiste, n’entend toutefois pas aider les séparatistes albertains, se tournant plutôt vers les Catalans... Une position paradoxale? Analyse.
Le Canada traverse une nouvelle crise d’unité nationale. Après les deux référendums remportés par le NON sur la souveraineté du Québec (1980 et 1995), voilà que l’Ouest canadien fait entendre une voix dissidente dans la fédération.
Même sans majorité parlementaire, la réélection de Trudeau est très mal reçue par des milliers d’habitants de l’Alberta et de la Saskatchewan réclamant maintenant leur indépendance. Au cœur du litige: l’industrie pétrolière, à laquelle l’État fédéral est accusé de nuire, et la péréquation à laquelle l’Alberta contribue à l’avantage d’autres provinces.
«Je suis mariée depuis 21 ans et j’adore mon mari, mais je sais que de temps en temps, on doit travailler notre mariage. [...] Il y a des moments où on doit faire plus attention au partenariat. Peut-être que c’est ce que l’on doit faire pour notre famille, notre grand mariage national», déclarait le nouveau vice-Premier ministre et ministre des Affaires intergouvernementales, Mme Chrystia Freeland, le 22 novembre dernier.
Fort de sa remontée spectaculaire à la dernière élection fédérale –de 10 à 32 députés à Ottawa– le Bloc québécois a toutefois choisi de ne pas venir en aide au mouvement sécessionniste de l’Ouest. Le chef de cette formation fédérale, Yves-François Blanchet, entretient une relation plutôt tendue avec le Premier ministre conservateur de l’Alberta, Jason Kenney. Écologiste convaincu, M. Blanchet a plusieurs fois critiqué l’industrie pétrolière albertaine, qu’il considère comme productrice d’«énergie sale». Les interventions du chef bloquiste suscitent l’ire de l’Ouest canadien et contribuent à nourrir le mouvement du «Wexit».
Jason Kenney ne prône pas l’indépendance de l’Alberta, mais représente tout de même une tendance autonomiste en croissance, tendance qui nourrit la frange plus «radicale» du mouvement qui, elle, est sécessionniste.
Le Québec et l’Alberta, deux États autonomistes à couteaux tirés
Le 27 novembre, tournant le dos au mouvement du «Wexit», Yves-François Blanchet est allé rencontrer à Waterloo, en Belgique, Carles Puigdemont, le leader sécessionniste catalan, où il s’est exilé. Rappelons que M. Puigdemont est toujours accusé de sédition et de détournement de fonds publics par la justice espagnole. L’ex-président catalan ne peut d’ailleurs toujours pas séjourner au Canada, les autorités canadiennes refusant de lui accorder son visa électronique.
Très honoré d'acueillir, hier à la Casa de la República, @yfblanchet, chef du @BlocQuebecois. J'ai eu l'oportunité de remercier à travers de lui le soutien et l'amitié que la Catalogne reçoit de la part du Quebec. pic.twitter.com/WTXerss7RW
— Carles Puigdemont (@KRLS) 27 novembre 2019
Blanchet et Puigdemont ont notamment évoqué une prochaine «collaboration soutenue» entre mouvements indépendantistes dans le monde –mouvements qui excluent celui du Wexit. En entrevue avec la chaîne Radio-Canada, M. Blanchet a évoqué l’importance de voir collaborer «des nations qui ne sont pas des pays, comme la Catalogne, comme le Québec, comme l’Écosse, mais aussi comme le Kurdistan ou, à la limite, le Xinjiang –les Ouïgours– ou le Tibet».
«Il y a des mouvements souverainistes forts, démocratiques, pacifiques, qui s’expriment et qui peuvent exercer un grand leadership à l’échelle internationale», a aussi souligné M. Blanchet dans cette entrevue.
Au Québec, des observateurs considèrent que le chef du Bloc devrait plutôt faire fi de l’animosité entre la Belle Province et l’Alberta pour faire avancer leurs intérêts communs. C’est aussi le point de vue de nombreux Québécois, si l’on en croit certains textes d’opinion. De fait, si la Belle Province et l’Alberta faisaient front commun, leurs chances d’accroître leur autonomie dans la fédération seraient probablement meilleures. Cette éventuelle collaboration risque fort peu de se mettre en place dans le contexte actuel. À au moins deux reprises, Jason Kenney a pourtant essayé de se rapprocher du Québec du Premier ministre François Legault.
«Ce n’est pas dans l’intérêt du Québec d’adopter une attitude condescendante face au mouvement sécessionniste ou autonomiste des provinces de l’Ouest. Les souverainistes québécois devraient avoir un minimum de sympathie envers les problèmes des autres provinces qui réclament aussi plus d’autonomie», déclarait récemment au micro de Sputnik le politologue Christian Dufour.
En octobre dernier, la cause des indépendantistes catalans s’invitait dans la campagne fédérale après la condamnation par la Cour suprême espagnole de neuf de ses leaders à des peines de prison de 9 à 13 ans. L’annonce de la sentence avait créé une véritable onde de choc au Québec. Le chef bloquiste s’était insurgé contre la décision de la Cour suprême espagnole et «le refus de Justin Trudeau de défendre la démocratie», pour qui il s’agissait uniquement d’une «affaire interne espagnole». Québec avait également exprimé sa réprobation par communiqué.