Notre passé catholique

Les racines spirituelles

Échange vigilien entre MM. Pelchat et Labelle.

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Tribune libre

Le 7 octobre 2018


Monsieur Labelle,



Je souscris assez généralement à vos observations, avec le bémol suivant : vous (le spécialiste de l’étude des religions), j’aimerais savoir de vous si une première erreur majeure de notre combat depuis 1957 (et j’en étais) a été de renier dans le premier parti politique du temps, le RIN, la religion de nos ancêtres, contrairement à ce que voulait le premier théoricien de l’indépendance Raymond Barbeau.  Nous de l’Alliance laurentienne n’avons pas réussi à convaincre ces amis indépendantistes de ne pas renier une des principales racines qui a permis la croissance de cette petite colonie française : la religion catholique.



Que de palabres n’avons-nous pas eues avec ces rinistes qui étaient plus anticatholiques qu’indépendantistes.  Aujourd’hui, on les retrouve avec leurs rejetons dans Québec solidaire ; tout aussi entêtés et faux que les rinistes de l’époque.


Une petite réponse de vous me plairait.  Je n’écris plus beaucoup avec l’âge.


Cécilien Pelchat

Lac-Mégantic


* * *


Le 30 décembre 2018


Monsieur Pelchat,


Je vous prie de recevoir avec indulgence ma réponse tardive, d’autant que le temps des Fêtes est un moment d’apaisement propice pour une réflexion d’ordre existentiel, particulièrement lorsqu’elle concerne le temps long qu’est la destinée du peuple français de l’Amérique du Nord.  Votre questionnement sur l’abandon de la religion catholique, celle de nos ancêtres, est primordial.  Sachez qu’il me rejoint profondément, étant comme vous issu de ce monde disparu qui s’appelait le Canada français.


À mon avis, le cadre clérical généré par la religion catholique était devenu trop étroit dans les années 1960.  Il fut rejeté, plutôt pacifiquement, après un règne de quelque 120 ans (à partir du Canada-Uni en 1840, conséquence de l’échec de la révolte des patriotes), au cours duquel le pouvoir religieux avait, tant bien que mal, suppléé au pouvoir politique qui nous échappait en fait depuis la Cession de 1763.


Une transformation était devenue inévitable, mais la Révolution tranquille a laissé échapper la meilleure partie de la spiritualité : le sens de la transcendance.  Certes, le dogmatisme des religions en général est devenu insupportable, mais on n’a pas redéployé la quête spirituelle adéquatement, car celle-ci dépasse la perspective matérialiste de la vie humaine.


En effet, la tentation de la table rase qui peut conduire au nihilisme dévastateur habite maintenant les qsistes.  Une mutation féconde évitera les extrêmes que sont la dissolution ou la rigidité.     


J’utilise une métaphore pour illustrer où je veux en venir.  Le Ciel chrétien est comparable sur le plan matériel au pays de Cathay (la Chine) que les premiers explorateurs cherchaient à atteindre selon la direction est-ouest.  Non seulement la Chine n’était pas située à la distance présumée, mais les Cartier, Champlain, La Vérendrye, etc., découvrent à la place tout un continent.  Les Français en font une immense aire d’échanges avec les Amérindiens, nos partenaires et amis, sauf exception.


Semblablement, au lieu d’atteindre le Ciel chrétien, le cheminement spirituel des Français d’Amérique maintenant concentrés sur le territoire du Québec les a conduits ailleurs sur le plan psychique.  Aux Québécois d’explorer, de découvrir et de créer une spiritualité ouverte sur l’inconnu, la terra incognita qui demeurera éternellement vierge en ce sens qu’elle possède des virtualités illimitées.


Cette spiritualité, tout en ne niant pas son parcours chrétien antérieur, notamment le sens de la transmission générationnelle par la célébration de la naissance mythique du divin enfant — qui illustre la valeur de l’espérance —, ne peut que s’affranchir du dogmatisme devenu suicidaire du christianisme ainsi que de toutes les autres religions établies.  J’estime qu’il faut renouer avec notre passé catholique, non par nostalgie, mais parce qu’il est digne d’enseignements.  Faire la paix avec le passé ne consiste donc pas à chercher à y retourner de manière illusoire, mais à aller résolument de l’avant conforté par notre héritage, malgré les incertitudes qui accompagnent toute quête identitaire.  La mission de transformer intelligemment l’héritage reçu revient aux générations successives.  On élague pas l’arbre de la connaissance de soi en coupant les racines.


Si les aléas de l’histoire ont concentré le peuple français de ce continent sur le territoire du Québec, les immenses moyens de la modernité permettent toutefois d’en tirer non seulement une vie matérielle plus que décente, mais de se livrer aux délectations d’une spiritualité ou d’une vie de l’esprit découlant d’une communication affranchie et enrichie avec l’ensemble de l’humanité.


Nos ancêtres de la Nouvelle-France ont su s’adapter au continent imprévu plutôt qu’au pays prévu.  Le monde actuel offre des possibilités infinies, pour peu que l’on s’inspire de l’audace et de la volonté de ces pionniers.


Cordialement,


Marc Labelle

Gatineau


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Marc Labelle57 articles

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  Se voulant agent de transformation, Marc Labelle présente sur les valeurs et les enjeux fondamentaux du Québec des réflexions stratégiques, car une démarche critique efficace incite à l’action salutaire. Ses études supérieures en sciences des religions soutiennent son optique de penseur libre.





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2 commentaires

  • Michel Matte Répondre

    4 janvier 2019


    Et pourtant,

    «Il n’était guère possible d’édifier dans la province de Québec une économie de type catholique si le reste de l’Amérique du Nord restait capitaliste. Mais la doctrine sociale de l’Église faisait néanmoins consensus dans la société québécoise de ce temps, du moins dans le discours. (Le siècle de Mgr Bourget, p. 56)»

    Plusieurs intellectuels défendaient le rôle de l’Église. Voici ce que dit l’économiste François-Albert Angers au sujet de la réforme Parent en 1967 (p. 446):

    «Angers souligne que le rapport Parent tient compte des convictions religieuses des individus, mais qu’il ne tient pas compte de l’Église en tant qu’institution, et que c’est là son vice fondamental. Il affirme que les ennemis de l’Église tendent un piège aux catholiques en les invitant à construire une chrétienté sans institutions sociales :

    « Une idée qui n’a pas d’institution est une idée qui ne peut pas vivre. (...) C’est le genre de confessionnalité qu’on est en train de nous donner. (...) Quand on désorganise une idée, quelles que soient les convictions des gens, l’idée meurt. Et celle qui prend la place, c’est celle qui est organisée. À l’heure actuelle, celle que l’on organise, c’est celle de la non-confessionnalité. (...) La situation devient telle que les parents, quelles que soient leurs convictions, sont menés par un petit groupe de gens mieux organisés. Et la minorité va imposer ses vues à la majorité. Et la majorité ne compte plus pour rien, la majorité finira par laisser faire par lassitude... car on la convainc d’accepter l’uniformité. Non, cet argument est ridicule. N’acceptez pas cet argument! Il faut des institutions. »»

    C’est ainsi que le libéralisme agit comme un bain d’acide qui dissout toutes les institutions de la société.
    Les intellectuels de l’époque étaient conscients du rôle de l’Église dans la défense de notre identité contre le libéralisme anglo-saxon. Ce rôle aurait pu s’accorder avec la liberté de conscience (op. cit. pp. 83-84). Mais certains ont préféré l’ignorer.
    L’Église a joué un rôle important dans son propre déclin comme expliqué dans le livre et dans l’article suivant qui remonte encore plus loin :
    http://lesakerfrancophone.fr/les-tres-vieilles-racines-spirituelles-de-la-russophobie
    Références :

    Jean-Claude Dupuis, Ph.D., Le siècle de Mgr Bourget, Recueil d’essais sur l’histoire politico-religieuse du Québec, Fondation littéraire Fleur de Lys, Lévis, Québec, 2016, 492 pages.


    Version PDF gratuite



    https://vigile.quebec/articles/en-hommage-aux-ancetres

    • Éric F. Bouchard Répondre

      6 janvier 2019

      Vous touchez là un point essentiel. La nation canadienne-française se meure d’avoir perdu ses institutions nationales. Elle les a perdues du fait du progressisme libéral qui a contaminé, durant l’après-guerre, l’ensemble de ses élites montantes, laïques ou religieuses; un progressisme s’incarnant par la suite, par les législations et réformes phares fondant de la québécitude et par une interprétation radicale des modernisations voulues par Vatican II. Résultat, nous nous retrouvons, 50 ans plus tard, dépossédés de toutes les institutions qui structuraient notre vie nationale : législature provinciale, institutions judiciaires, paroisses et municipalités de paroisse, commissions scolaires, communautés religieuses, collèges et écoles supérieures, établissements de santé, caisses populaires, coopératives, associations professionnelles, sociétés savantes et sociétés nationales. Nous en sommes dépossédés, car bien que beaucoup de ces institutions existent toujours, elles sont toutes détournées soit au service d’un peuple post-national, civique et pluriculturel, soit au service d’une Église d’esprit œcuménique et mondialisant.
      Que faire alors? Suivre le raisonnement de François-Albert Angers et refonder une institution nationale. Faire ce que les SSJB faisaient autrefois, faire ce que l’Action nationale faisait autrefois : rassembler, animer et défendre la nation canadienne-française.