Les nouvelles solitudes

La Commission «sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles» sera donc surtout une commission sur l'insécurité identitaire.

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor


«Votre boîte vocale est pleine», disait hier matin la voix féminine de ma messagerie. J'appuie sur le 1 pour entendre le trop-plein du jour. Un lecteur me laisse savoir, sur un ton agressif, qu'on parle trop des problèmes des immigrés mais jamais de ceux qui accablent les «bons» Québécois.



Un autre, confondant ma boîte vocale avec une salle d'audience de la commission Bouchard-Taylor, m'a laissé cinq messages-fleuves exprimant son inquiétude face à ces femmes voilées qu'il croise le matin en allant au travail et à ces gens qui veulent «placer la religion au-dessus des lois civiles» et nous «imposer leur religion». «Si ça continue, est-ce qu'on va entendre le chant du muezzin cinq fois par jour?» demande-t-il. Bon. On va passer au prochain appel...
Pour répondre à votre question, le chant du muezzin cinq fois par jour, ce n'est pas pour demain, je crois. Mais si ça continue, ce qu'on risque surtout d'entendre plusieurs fois par jours ad nauseam, pendant les audiences de la commission Bouchard-Taylor sur les pratiques d'accommodement, c'est justement ce genre de réflexions, parfois fondées, parfois exagérées, parfois aussi teintées d'une xénophobie qui ne dit pas son nom.
Grands sages devant l'Éternel, tant Gérard Bouchard que Charles Taylor estiment qu'il faut, plus que jamais, que l'on tende l'oreille à ces préoccupations émanant de la majorité canadienne-française. Les élites se sont beaucoup souciées des droits des minorités, et avec raison, notait hier M. Bouchard, de passage à La Presse. Mais, ce faisant, elles ont négligé la majorité, croit-il. Elles ont oublié de s'intéresser à la «préoccupation considérable» parmi la population canadienne-française concernant la place et l'avenir de cette culture qui existe depuis quatre siècles et qui a lutté pour sa survie.
Même si cette insécurité s'est en grande partie nourrie, ces derniers temps, d'une médiatisation alarmiste des histoires d'accommodements, elle n'en demeure pas moins réelle. En ce sens, Gérard Bouchard et Charles Taylor ont raison de s'y attarder. Le malaise identitaire se fout bien des données empiriques. Il est là et il faut le traiter. Sinon, à long terme, il peut être aussi explosif qu'un taux de chômage de 25% dans certaines communautés.
«C'est sûr que, d'un côté, il faut dénoncer les éléments de discrimination et les problèmes que vivent les immigrés, observe M. Bouchard. Mais tant qu'on n'aura pas réglé le problème d'insécurité des Québécois canadiens-français, on ne pourra pas les rendre sensibles aux problèmes des immigrés.»
La priorité, donc, aux yeux de MM. Bouchard et Taylor, c'est de s'occuper de ce sentiment d'insécurité. De donner des repères à la population. De comprendre comment on en est arrivé là. D'aller savoir pourquoi, au moment de la Révolution tranquille, tout semblait possible, alors que 30 ans plus tard, on doute autant. De réfléchir aux repères identitaires que cette révolution a défaits sans les remplacer, laissant la population avec un sentiment de vide culturel, exacerbé par le fait de côtoyer des minorités aux cultures et aux religions plus affirmées.
La Commission «sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles» sera donc surtout une commission sur l'insécurité identitaire. Et pour soigner cette insécurité, M. Bouchard croit - de manière quelque peu utopique, à mon sens - que les intellectuels devraient aussi de façon prioritaire s'affairer davantage à démontrer, études à l'appui, que la diversité n'est pas juste une source de problèmes pour la société. Dans les colloques, on passe notre temps à dire que la diversité est une source d'enrichissement, mais on ne le démontre jamais, déplore-t-il.
Personnellement, je suis convaincue que l'immigration, si on exclut sa frange ultraminoritaire intégriste, est enrichissante pour le Québec, même si elle traîne avec elle son lot de défis. Mais cette conviction n'est pas basée sur de savantes études universitaires. Elle est fondée sur des expériences très concrètes du quotidien, sur des rapports humains qui transcendent l'origine et la religion des gens. En quoi le fait de brandir des études universitaires qui prouvent les bienfaits de la diversité changera-t-il la perception de ceux qui croient le contraire? En rien, à mon humble avis.
M. Bouchard s'inquiète par ailleurs du fossé qui s'est creusé ces dernières années entre les élites et la population en général. «Nous avons fait un consensus entre nous sur le multiculturalisme, sur le pluralisme, et je pense que ces orientations étaient bonnes, dit-il. Mais nous avons raté une marche. Je pense qu'il aurait fallu associer davantage le grand public.»
Il disait ça avec au cou un ruban de Harvard retenant une clé USB, dans un discours empreint de mille nuances. À ses côtés, le philosophe Charles Taylor, qui replaçait l'insécurité québécoise dans un contexte de «malaise de la civilisation occidentale» et plaidait pour un dialogue entre les deux nouvelles «solitudes», qui ne sont plus celles dont on parlait autrefois...
Deux brillants intellectuels. Un fossé immense devant eux. Une population à convaincre. Deux nouvelles solitudes à réconcilier...
En leur serrant la main, à la fin de la rencontre, je n'ai pu m'empêcher de leur souhaiter bonne chance.
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Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca


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