ESPIONNAGE

Les mots trompeurs

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Big Brother is alive and well

La panoplie de systèmes de surveillance auxquels nous sommes désormais tous soumis semble décidément sans limites. Même un passage à l’aéroport suffit pour pouvoir être suivi pendant des jours. À cette invasion abusive s’ajoute une indécence : l’affirmation répétée des gouvernants et des agences de renseignement selon laquelle la loi est respectée. On nous trompe en jouant sur les mots.
Il faudra finir par ériger un monument à Edward Snowden, l’homme qui nous permet d’ouvrir les yeux sur la tentaculaire surveillance par les services de renseignement des moindres faits et gestes de tous. Il n’y a plus de citoyens, que des suspects.

Depuis juin, les révélations de M. Snowden se suivent à un tel rythme qu’il est étourdissant d’en mesurer l’ampleur. Appels téléphoniques, moteurs de recherche, réseaux mobiles, applications, jeux en ligne, courrier postal et courriels, rien n’échappe aux spécialistes anglo-saxons de l’espionnage (États-Unis, Royaume-Uni, Australie, Canada et Nouvelle-Zélande) qui collaborent avec zèle.

La dernière révélation concerne spécifiquement le Canada. Le réseau anglais de Radio-Canada divulguait jeudi un document émanant de M. Snowden et qui indiquait qu’une nouvelle technologie d’espionnage, mise au point par l’organisme de surveillance américain National Security Agency (NSA) et le Centre de la sécurité des télécommunications du Canada (CSTC), avait été testée en 2012 dans un aéroport canadien.

Il s’agissait d’intercepter les signaux des téléphones intelligents et des portables de tous les voyageurs qui sont passés par cet aéroport (non identifié) pendant deux semaines. De là, le CSTC a pu suivre les voyageurs à la trace pendant des jours grâce au réseau wi-fi disponible partout au pays. « Comme si chacun avait porté un bracelet électronique », illustrait le journaliste de Radio-Canada. L’opération fut un succès.

Vendredi, la réponse attendue du ministre de la Défense, Rob Nicholson, fut à la hauteur de toutes les réactions officielles, quel que soit le pays où elles survinrent, qui ont suivi chaque révélation de M. Snowden : à la limite de l’honnêteté intellectuelle.

Le ministre a dit que les communications canadiennes n’avaient été ni « ciblées » ni « colligées », qu’aucun Canadien « n’a fait l’objet d’une filature », que le CSTC ne travaille qu’avec des métadonnées et que celles-ci sont « des informations techniques », dont l’obtention est légale, et non pas du contenu, qu’il serait illégal pour le CSTC de recueillir ainsi.

C’est le diable qui se cache derrière tant de précisions ! Puisqu’il s’agit de surveillance de masse, il est clair qu’il n’y a personne de ciblé ; avec un projet-pilote, on comprend que rien n’ait été colligé ; et si on suit des signaux, on peut dire que nul n’a été filé. Quant aux métadonnées, c’est le vaste paravent derrière lequel se cachent toutes les agences de renseignement.

Les métadonnées permettent de savoir qui a parlé à qui, à partir d’où, pendant combien de temps, selon quels déplacements. Elles donnent accès à des numéros de cartes de crédit, à toute la gamme des renseignements personnels, aux liens familiaux, aux réseaux d’amis. De fait, ne manque que le contenu. Mais l’information tirée des métadonnées est si précise et s’obtient si rapidement que, dans le milieu de l’espionnage, la bonne vieille écoute de contenu qui prend des heures est quasi dépassée.

Nos lois de protection de la vie privée ne se sont pas adaptées à cette nouvelle réalité, et les gouvernements ne font surtout rien pour y changer quoi que ce soit. Les conservateurs, à cet égard, ne font pas pire qu’ailleurs. Et pourtant, si la vie privée a encore un sens, il faut mettre de nouvelles balises à ces intrusions, dérives de la démesure sécuritaire, abus de l’ignorance des citoyens. C’est la bataille démocratique du XXIe siècle.


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