La transaction proposée avec le Nouveau-Brunswick vient de redéfinir la stratégie énergétique québécoise en l'amenant à s'ouvrir vers les marchés extérieurs et véritablement devenir ainsi une source de richesse pour l'ensemble de la société québécoise. Photo: Ivanoh Demers, La Presse
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Le projet d'acquisition d'Énergie Nouveau-Brunswick par Hydro-Québec pourrait être l'événement le plus important à survenir dans le monde énergétique québécois depuis la nationalisation de 1963. Sous ses apparences de simple transaction commerciale, le protocole d'entente signé entre les deux gouvernements aura des implications qui touchent les bases même de notre politique énergétique.
Passons vite sur les activités de transport et distribution d'électricité. Le fait que Énergie Nouveau-Brunswick devienne une filiale d'Hydro-Québec ne changera essentiellement rien à cet égard. Ces activités de transport et de distribution sont des activités qui continueront d'être réglementées par la Commission de l'énergie et des services publics du Nouveau-Brunswick, comme elles le sont au Québec par la Régie de l'énergie. Cette réglementation se fait sur la base des coûts avec un taux de rendement prédéfini. Donc, rien de neuf à envisager dans ce secteur.
Ce qui importe fondamentalement dans cette transaction, c'est plutôt la fourniture d'électricité. À cet égard, les souhaits des deux parties sont parfaitement complémentaires. Le Nouveau-Brunswick veut un approvisionnement électrique à un prix acceptable et surtout stable à long terme. Quant au Québec, il désire vendre de l'électricité à bon prix sur des marchés d'exportation. Au Nouveau-Brunswick, l'électricité est surtout produite dans des centrales au pétrole et au charbon dont les coûts sont sans cesse grandissants. L'électricité vendue au Nouveau-Brunswick coûte actuellement 11 ¢/kWh, incluant les frais de transport et de distribution et tous s'attendent à de fortes augmentations pour l'avenir.
Dans le protocole d'entente conclu le 29 octobre, Hydro-Québec s'engage à geler les tarifs résidentiels à 11 ¢/kWh pendant cinq ans et à limiter par la suite les hausses au taux d'inflation. Quant aux tarifs industriels, ils seront ramenés au niveau de ceux du Québec et augmenteront ensuite au même rythme. Il est très important de noter que ces nouveaux tarifs ne s'appliqueront qu'à la consommation actuelle, cette quantité d'énergie devenant en quelque sorte un bloc patrimonial semblable à celui du Québec. Toute consommation additionnelle sera ensuite vendue au prix du marché.
Face à un tel prix déjà défini, la stratégie d'Hydro-Québec consistera nécessairement à remplacer la production thermique trop coûteuse par de l'hydroélectricité produite au Québec à bien meilleur coût. Les principales centrales thermiques du Nouveau-Brunswick ne font d'ailleurs même pas partie de la transaction. Les autres peuvent être fermées avec un an de préavis. Ce qu'à obtenu Hydro-Québec, c'est la possibilité de vendre à long terme son hydroélectricité au prix beaucoup plus élevé de la production thermique. Ajoutons la possibilité d'atteindre le marché américain par de nouvelles interconnexions déjà en place et celle d'acquérir la centrale nucléaire de Pointe Lepreau après qu'elle aura été complètement remise à neuf et on commence à accumuler les éléments d'une très bonne affaire.
Ce qui devient très intéressant, c'est qu'on peut faire exactement le même raisonnement à propos du marché électrique ontarien. Il ne semble évidemment pas question d'acheter les entreprises ontariennes d'électricité. Hydro-Québec peut se contenter de leur vendre son hydroélectricité. Les dirigeants ontariens s'engagent depuis des années à fermer leurs centrales thermiques au charbon et les prix du dernier appel d'offre lancés pour la construction de deux centrales nucléaires ont été jugés inacceptables. Tout comme le Nouveau-Brunswick, l'Ontario fait face à une pénurie éventuelle d'électricité et à des tarifs très élevés qui menacent d'exploser dès le début de la reprise économique. Les Ontariens rêverait d'un contrat de fourniture d'électricité à une dizaine de cents le kilowattheure; et c'est exactement ce que le peut leur offrir le Québec.
Mais la possibilité pour Hydro-Québec de vendre sa fourniture de façon presque illimité à des prix relativement élevés amène d'importantes remises en question ici même au Québec. Comment peut-on justifier les bas tarifs consentis aux alumineries jusqu'en 2040 si on peut vendre à bien meilleur prix à l'extérieur et générer ainsi d'importants profits pour l'ensemble de la société québécoise. Même raisonnement pour les tarifs résidentiels qui pourrait augmenter lentement et favoriser des programmes d'efficacité énergétique beaucoup plus rentable puisque l'électricité économisée serait vendue à l'extérieur du Québec à des prix beaucoup plus élevés.
En fait, la transaction proposée avec le Nouveau-Brunswick vient de redéfinir la stratégie énergétique québécoise en l'amenant à s'ouvrir vers les marchés extérieurs et véritablement devenir ainsi une source de richesse pour l'ensemble de la société québécoise.
En prime au passage, le protocole d'entente proposé au Nouveau-Brunswick lève le voile sur les intentions futures du gouvernement Charest en matière de tarification de l'électricité au Québec. Le protocole indique effectivement que la tarification appliquée au Nouveau-Brunswick suivra le modèle québécois. Pour ce qui est du bloc patrimonial, on envisage deux blocs patrimoniaux différents pour les secteurs résidentiel et industriel avec deux rythmes d'augmentation différents. C'est probablement ce que le gouvernement envisage aussi pour le Québec une fois qu'il aura décidé de hausser le prix du bloc patrimonial : des hausses différentes pour les secteurs industriels et résidentiels.
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Jean-Marc Carpentier
L'auteur est vulgarisateur scientifique et analyste en énergie.
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