Les intérêts du Bloc

Élections fédérales - 2011 - le BQ et le Québec



En juin 2009, le sondeur Nik Nanos prédisait que la lassitude des Canadiens envers les gouvernements minoritaires pourrait devenir l'enjeu sous-jacent de la prochaine élection. Mais une majorité, pour quoi faire? Aucun sondage ne posait la question, ni ne la pose encore. Elle est pourtant fondamentale, car notre système parlementaire fait en sorte qu'un gouvernement majoritaire a un pouvoir quasi absolu.
Pour les partisans conservateurs, cela ne pose aucun problème et le choix est simple. Il suffit de voter pour Stephen Harper. Pour les électeurs qui se soucient peu des actions du gouvernement et qui veulent seulement qu'on leur fiche la paix, le même choix s'impose facilement. Pour les autres, c'est plus compliqué puisque aucun des autres partis n'est en position d'arracher une majorité. Ces électeurs savent qu'ils veulent défaire les conservateurs. Mais comment?
Au Québec, le casse-tête est unique. Le niveau d'appuis pour Stephen Harper est beaucoup plus bas que partout ailleurs au pays. Mais c'est aussi au Québec qu'on retrouve le seul parti qui ne pourra jamais gouverner, qui ne veut pas être partie prenante d'une coalition et que personne dans le reste du pays ne voudrait voir là. Un parti qui occupe l'essentiel de l'espace politique. Comment faire bouger les choses dans ce contexte?
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Poser la question ne revient pas à mettre en doute la légitimité du Bloc québécois ni sa raison d'être, mais lui rappeler sa vraie mission. Le but du Bloc est la souveraineté et son rôle fondamental est d'en surveiller la réalisation, le jour venu, au Parlement. Ce que le mouvement souverainiste veut éviter depuis le début en gardant des députés à Ottawa est de se retrouver dans ce conflit de légitimité qui a marqué le rapatriement de la Constitution en 1982. Pendant que la quasi-totalité des députés québécois à Ottawa votait en sa faveur, ceux de l'Assemblée nationale se prononçaient contre. Pour ne plus revivre cela, les souverainistes ne laisseront jamais le Bloc céder la place aux autres partis.
En attendant, il se fait le champion des intérêts du Québec. Depuis 1993, il réussit à convaincre les Québécois qu'il est le seul à pouvoir jouer ce rôle. Les circonstances particulières de chaque scrutin et le professionnalisme de la majorité de sa députation et de son chef ont contribué à son succès, qui a toujours dépassé celui de sa cause.
Mais la donne a changé avec l'élection à répétition de gouvernements minoritaires. Cette année, sans controverse pour fouetter les troupes, le chef Gilles Duceppe en est réduit à remâcher un discours sur la défense des intérêts du Québec dont on perçoit mieux les limites.
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Quand il se présente comme le seul capable de défendre les intérêts du Québec, il met indirectement en doute la loyauté des autres députés québécois fédéralistes à l'endroit de leurs commettants. Son argument est que les députés des autres partis doivent faire des compromis et «ils agissent pour leur pays, ils agissent en priorité pour une majorité "canadian"», a-t-il répété dimanche.
Cette façon de présenter les choses est réductrice et caricaturale. Le Québec et le Canada ne forment pas des blocs homogènes et nécessairement opposés. Ils ont beaucoup de valeurs en commun. À preuve, les députés du Bloc ont souvent voté dans le même sens que libéraux ou néodémocrates lorsqu'il était question de lutte contre la pauvreté, de changements climatiques, d'assurance-emploi, de justice et ainsi de suite. Et les intérêts du Québec peuvent être perçus de différentes façons. Celle du Bloc n'est pas nécessairement la seule.
Le message du Bloc occulte le fait que le Canada anglais est beaucoup moins homogène que le Québec. Il fait front commun pour défendre l'unité du pays, mais pour le reste, il est divisé le long de lignes régionales et idéologiques souvent bien marquées. On n'y voit pratiquement jamais l'équivalent de ces décisions unanimes de l'Assemblée nationale.
Bien des Québécois, même souverainistes, voudraient être partie prenante des choix politiques qui se feront après cette campagne et se demandent, bien légitimement, si l'auto-exclusion de certains lieux de pouvoir fédéraux sert bien, à ce moment précis, les intérêts du Québec. D'où le flirt avec le NPD.
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Que Pauline Marois et Jacques Parizeau offrent des renforts n'a rien de surprenant. Il en va de l'avenir de leur cause et, espèrent-ils un jour, de sa réalisation ordonnée. Les raisons stratégiques de l'existence du Bloc demeurent et les souverainistes qui boudaient les urnes par le passé y tiennent. Pour ces raisons, le Bloc ne disparaîtra pas.
Mais malheureusement pour lui, le paradoxe qui a nourri sa force ne peut durer éternellement. Il était inévitable qu'un jour, les nationalistes fédéralistes l'abandonnent pour tenter de résoudre autrement les enjeux qui les préoccupent. Ce processus vient peut-être de commencer.
Ce qui leur facilite les choses est le fait que la fracture idéologique gauche-droite ait pris le pas sur la vieille dichotomie fédéraliste-souverainiste. De plus, au moins deux des partis sont maintenant dirigés par des chefs qui n'ont pas été mêlés aux vieilles guerres constitutionnelles et qui n'ont pas de rapport antagoniste avec le nationalisme québécois. Pour les fédéralistes en particulier, regarder ailleurs devient une option acceptable et le NPD offre un refuge attirant.
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mcornellier@ledevoir.com


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