Les ex-premiers ministres honorés ont été des bagarreurs

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Ordre national du Québec

Comme les lutteurs, surpris à prendre une bière ensemble après leurs farouches combats, tous les anciens premiers ministres du Québec à la retraite se sont retrouvés hier, à l’Assemblée nationale, honorés de l’Ordre national du Québec.

Les regrettés René Lévesque et Robert Bourassa avaient été honorés la veille, comme si on craignait que leur souvenir soit terni par les accrochages de leurs descendants. Mais les échanges sont restés d’une exemplaire courtoisie hier. Pour la photo officielle, Lucien Bouchard, toujours fier, a caché sa canne. Jacques Parizeau, tel Churchill, arborait la sienne comme un sceptre, ou une arme de chasse. Ils firent de même pour la souveraineté.
Mais tous ces voisins de banquette, bien civils au Salon rouge hier après-midi, ne se sont jamais ratés dans leurs échanges sur la place publique. Quatre péquistes pour un seul libéral, Daniel Johnson. Le parti de René Lévesque, il est vrai, change plus souvent de chef. Et Pauline Marois, assise non loin de son éternel rival Bernard Landry, était là pour le prouver. Des cinq présents hier, deux seulement ont remporté des élections générales… Les deux Johnson (Pierre Marc et Daniel) et Bernard Landry n’ont pas eu de mandat de la population, à la différence de MM. Parizeau et Bouchard.
Bien sûr, Lucien Bouchard brûlait probablement de défendre son frère, Gérard, dont le rapport sur les accommodements raisonnables vient d’être stigmatisé par M. Parizeau. L’ancien chef destinerait carrément le document de l’universitaire à « la filière 13 », pour le mauvais procès qu’on y fait aux Canadiens français. Bernard Landry en a remis, jugeant « lamentable dans l’ensemble » le rapport cosigné par Gérard Bouchard.
Les amateurs d’escrime – ils sont nombreux dans les officines politiques – avaient déjà marqué d’une pierre blanche la passe d’armes de l’automne 2006 entre MM. Bouchard et Parizeau. Lucien le «lucide» venait de dire que les Québécois ne travaillaient pas suffisamment – qu’ils n’étaient pas suffisamment productifs en fait –, Jacques Parizeau a repris la balle au bond, près de la statue de M. Bourassa qu’il s’agissait d’inaugurer.
«Encore une fois, nous les Québécois, avons déçu M. Bouchard. C’est dommage» a-t-il laissé tomber.
Avant Lucien Bouchard, Pierre Marc Johnson avait, lui aussi, eu à subir les foudres de « Monsieur », le surnom accolé à Jacques Parizeau à l’époque où il était le numéro deux du parti de René Lévesque. Battu en décembre 1985, il a été fréquemment attaqué par Jacques Parizeau.
De son siège de professeur aux Hautes Études commerciales, M. Parizeau a lacéré les flancs de son voisin de banquette d’hier responsable, selon lui, d’avoir transformé le PQ en « parti de cul-de-jatte » en le privant des deux jambes qui le portaient depuis sa fondation, la souveraineté et la social-démocratie.
Pierre Marc Johnson n’est pas demeuré en reste. Plus patient, il a exprimé, en mai 1997, ce qu’il pensait de la déclaration de Jacques Parizeau le soir du référendum de 1995, quand ce dernier avait soutenu que les fédéralistes l’avaient emporté grâce «au vote ethnique et à l’argent».
M. Parizeau était un homme politique «cynique» dont la sortie a constitué «un geste grave pour le nationalisme»; ce soir-là, il a «confondu le cynisme et le pouvoir autour d’un enjeu fondamental en démocratie», a lancé M. Johnson.
Lucien Bouchard n’a pas non plus épargné Pierre Marc Johnson, quand ce dernier a choisi de ne pas prendre position dans la campagne référendaire de 1995.
«Ce n’est pas normal et c’est surprenant (de la part) du successeur de René Lévesque», a soutenu M. Bouchard, alors encore chef du Bloc québécois.
Rien n’a jamais fonctionné entre Lucien Bouchard et Jacques Parizeau. Mais le premier a longtemps feint de ne pas tenir compte des sorties fréquentes du second, souvent des critiques à peine voilées des orientations de son gouvernement.
«Je ne suis pas en politique pour faire des conflits au sein des souverainistes», lançait-il. Bernard Landry, lui, a été plus musclé, soutenant en 1998 que par ses sorties, son ancien patron (Parizeau) « se fait, volontairement ou non, l’allié objectif de nos adversaires».
Deux ans plus tard, M. Parizeau, incorrigible, rompait encore allègrement des lances avec Lucien Bouchard. Dans un discours marquant devant les militants bloquistes, il a rappelé qu’à l’époque où «le PQ était le fer de lance de la souveraineté», l’incapacité du gouvernement Bouchard de même songer à un référendum en disait long, selon lui, sur la perte de crédibilité d’un gouvernement péquiste qui avait tout subordonné à la guerre au déficit.
Les frictions entre Bernard Landry et Jacques Parizeau n’ont pas manqué. Au début de 1995, le lieutenant souverainiste a ainsi forcé son patron à retarder la campagne référendaire. Refusant de courir à une défaite évidente, il ne voulait pas être «le commandant en second de la Brigade légère» – ce contingent britannique, courageux, mais exterminé, lors de la guerre de Crimée.
Du côté libéral, on était aussi pugnace, mais moins volubile. Toujours affable, Robert Bourassa n’avait pas été très gentil quand, dans la course au leadership de 1983, il avait qualifié ses adversaires Pierre Paradis et Daniel Johnson, de «pygmées intellectuels». Il y avait plus d’ironie que d’acrimonie dans cette sortie, tant il était en avance sur ses deux adversaires.
Les choses se sont corsées toutefois du côté de Daniel Johnson quand ses députés ont commencé à grenouille, au printemps 1998. Quelques semaines avant son départ de la direction du PLQ, il avait prévenu son caucus que ceux qui voyaient Jean Charest comme chef «rêvaient» et que si une course au leadership s’enclenchait, il serait sur les rangs.
C’est pour leurs adversaires que les chefs de partis ont souvent les mots les plus doux. Au moment des départs surtout. Le discours de Daniel Johnson lors du départ de Jacques Parizeau, en décembre 1995, reste un exemple de civilité.
«Je suis convaincu que son énergie intellectuelle, qu’il a toujours démontrée, sera mise à profit d’une façon ou d’une autre et qu’il ne cessera jamais de penser, qu’il ne cessera jamais de souhaiter le meilleurs sort pour tous ses concitoyens ! »
En marge de leurs affrontements sur la scène publique, les «premiers ministres à la retraite», les Pierre Marc et Daniel Johnson, Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Bernard Landry, ont, aussi, incarné un idéal. Ils méritent d’être appelés pour toujours, premiers ministres, a insisté hier Jean Charest. Il est probablement celui qui, hier, a le plus gagné de points politiquement. Il est vrai qu’il doit encore se préoccuper d’être élu.
(Photo Reuters)
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Trêve historique à Québec
Denis Lessard, Malorie Beauchemin et Tommy Chouinard
La Presse 20 juin 2008
Québec
Dans un «moment de grâce», les cinq anciens premiers ministres du Québec toujours vivants avaient mis de côté hier leurs querelles du passé pour recevoir l'Ordre national du Québec.

Pierre Marc et Daniel Johnson, Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Bernard Landry ont été faits grands officiers de l'Ordre du Québec, la plus haute distinction accordée par le gouvernement québécois.
«Ce qui nous unit est infiniment plus grand que ce qui a pu nous diviser», a soutenu le premier ministre Jean Charest à l'issue de la cérémonie solennelle au Salon rouge. Selon lui, la classe politique a pu vivre «une journée de grâce, de rassemblement», au-dessus de tout esprit partisan. Il a suggéré que les cinq hommes soient désormais toujours désignés comme «premiers ministres», comme c'est la tradition pour les anciens présidents américains.
Devant 300 personnes, les cinq anciens guerriers avaient clairement remisé leurs armes. En relatant le parcours politique de Lucien Bouchard, le premier ministre Charest a soigneusement contourné sa rupture déchirante avec le premier ministre conservateur Brian Mulroney. M. Charest n'a d'ailleurs pas abordé les divisions provoquées par le référendum de 1995 autrement qu'en évoquant «un moment charnière» de l'histoire du Québec. Il a dépeint Jacques Parizeau comme «un des principaux architectes de notre État moderne».
En réponse à l'hommage, Jacques Parizeau et Bernard Landry y sont allés d'un appel bien senti à la souveraineté. «La nation sera le genre humain», a conclu Bernard Landry en paraphrasant L'Internationale. Les pays sont une référence de plus en plus incontournable en dépit de la mondialisation, a-t-il insisté.
Plus tard, il n'a pas voulu commenter le fait que ni Lucien Bouchard ni Pierre Marc Johnson, ex-chefs péquistes, n'aient profité de cette tribune pour affirmer leur foi souverainiste.
Lucien Bouchard a fait une intervention plus personnelle, rappelant que, jeune, il rêvait de devenir un second Maurice Richard ou un émule de Louis Pasteur, mais qu'il n'avait jamais osé espérer devenir premier ministre, lui, le fils «d'un camionneur et d'une organiste» né à Jonquière.
Plus tard, devant les journalistes, il a refusé de s'engager dans les voies de traverse. Quand on lui rappelle le credo indépendantiste de Jacques Parizeau, il réplique: «Je n'ai pas l'intention de traiter ici de ces questions qui sont importantes.» Pas de commentaires non plus sur le rapport Bouchard-Taylor, esquinté par MM. Landry et Parizeau. «Mon frère peut se défendre tout seul, son rapport aussi», a-t-il conclu sans appel.
Daniel Johnson, étonnamment, était de loin le plus ému. «J'ai toujours eu beaucoup de respect pour les institutions, je suis enraciné dans la permanence que cela signifie. Avoir une reconnaissance, un témoignage que le travail qu'on a réalisé a fait avancer les choses cela m'a touché» a-t-il expliqué.
Jacques Parizeau s'est animé quand on lui a demandé si l'indépendance était un rêve: «L'indépendance j'y travaille», a-t-il répliqué. Quand on lui rappelle qu'il a fait l'apologie de Jean Lesage et de Daniel Johnson père sans mentionner René Lévesque, il nuance: «J'ai parlé de mes mentors. Avec René Lévesque, c'est tout à fait autre chose. J'ai travaillé pour lui et avec lui pendant 22 ans. C'est d'un tout autre genre.»
Pas un mot sur le référendum de 1995? ««Dans ce genre de cérémonie, tu ne soulèves pas des choses comme ça. Certains étaient d'un côté, certains étaient de l'autre. Tout le monde sait cela.»
Jean Charest a résumé ainsi les interventions de ses cinq prédécesseurs en fin de journée: «Ils se sont présentés sous un jour nouveau, libérés de leur contraintes partisanes, mais ils sont toujours aussi engagés.»
Source: http://www.cyberpresse.ca/article/20080620/CPACTUALITES/806200892/1026/CPACTUALITES


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