Les colonnes du temple néolibéral ébranlées

Crise mondiale — crise financière



Les médias rappellent que la crise financière qui secoue les États-Unis est la plus importante depuis le choc causé par la Grande Dépression des années 30. Dans les deux cas, l'État est en effet appelé à la rescousse pour remettre à flot un système économique qui bat de l'aile. Et comme dans les années 30, la crise touche actuellement les institutions bancaires qui sont au coeur du système économique états-unien.
Et voilà que l'État, dont l'administration Bush voulait marginaliser le rôle, se voit obligé d'injecter des sommes gigantesques à même les taxes et les impôts des citoyens, dont la grande majorité n'ont pas profité de la bulle financière et de la croissance économique depuis plus de trente ans. La loi du marché, qui voudrait que les institutions fautives paient pour les pots cassés, ne peut plus s'appliquer compte tenu du gigantisme de ces firmes et des répercussions économiques considérables qu'entraînerait leur faillite. Et s'applique donc plus que jamais l'adage voulant que les entreprises privées récoltent les profits et que les pouvoirs publics se débrouillent avec les pots cassés.
Faiblesse de la demande
Le parallèle le plus intéressant de cette crise avec celle des années 30 vient de ce que le gouvernement américain, depuis l'administration de Ronald Reagan au début des années 80, a voulu rompre avec les politiques économiques mises en place dans le sillage du New Deal. À partir de 1933, l'administration du président Franklin D. Roosevelt a adopté des lois régulant sévèrement le fonctionnement des institutions bancaires et monétaires. Le sentiment populaire rendait largement responsables les trusts et les monopoles de la crise économique.
D'autre part, cette administration avait diagnostiqué que la crise résultait de la faiblesse de la demande de biens et qu'il fallait relancer la consommation en redonnant du travail aux chômeurs grâce à des mesures d'assistance sociale et en facilitant la syndicalisation des travailleurs. La négociation collective permettrait de renforcer la capacité des salariés d'obtenir des hausses de salaire et une diminution de leurs heures de travail. On pensait ainsi redonner du pouvoir d'achat aux consommateurs qui seraient mieux en mesure de jouir des fruits de la production industrielle. C'est un revirement majeur des politiques économiques du gouvernement qui estimait, jusque-là, que les lois du marché, même en situation de crise, rétabliraient l'équilibre économique.
Libre jeu du marché
La mise en place des politiques tracées par le New Deal a permis aux États-Unis de sortir de la récession et de connaître une prospérité inégalée au cours des 40 années qui ont suivi. Les salaires réels moyens des travailleurs viennent bien près de doubler, leurs heures de travail se replient, les avantages sociaux se font plus généreux et un filet de protection sociale commence à être mis en place. Les salariés peuvent ainsi profiter de la croissance de l'économie et participer à la société de consommation (auto, maison, appareils électriques).
Mais ces années glorieuses pour les salariés vont prendre fin au début des années 1980, avec la «révolution capitaliste» de Ronald Reagan qui, pour mettre fin à l'inflation qui fait rage, tourne la page au New Deal pour effectuer un retour au libéralisme classique d'antan. Ce courant de pensée, qui est porté par le patronat, mise, largement pour réguler le développement économique, sur le libre jeu des forces du marché et repousse l'interventionnisme étatique. Comme le disait Reagan, «l'État n'est pas la solution à nos problèmes, en fait l'État est le problème».
Favoriser les entreprises
Quatre principes cardinaux animent ce néolibéralisme: la déréglementation, la privatisation, la libéralisation des marchés et l'allégement de la fiscalité. Pour assurer la croissance, l'objectif de l'État n'est plus de stimuler la demande, comme on le faisait depuis les années 30, mais de soutenir l'offre de biens en privilégiant des politiques favorables aux entrepreneurs, aux entreprises et aux détenteurs de capitaux. Et les administrations qui vont suivre aux États-Unis s'appliqueront à appliquer ces principes.
Au chapitre de la déréglementation, elles ont éliminé des lois importantes touchant le secteur financier, refusé de les moderniser ou simplement négligé d'agir. [...] Et il est d'autres conséquences de la déréglementation et du laxisme à appliquer les lois du travail, dont on ne fait pas état, mais qui pèsent lourdement sur les épaules de la majorité de la population, celle-là même qui tire son revenu d'un salaire. Elle explique sa grogne actuelle envers le sauvetage d'institutions dirigées par des financiers qui ont encaissé des revenus faramineux.
Pouvoir d'achat qui stagne
Malgré une hausse de la productivité et de la richesse de la société états-unienne, les travailleurs salariés n'en ont pas vu la couleur depuis plus de trente ans. En effet, quand on tient compte de l'inflation, leur salaire hebdomadaire réel moyen n'a pas augmenté depuis la fin des années 70. Pour joindre les deux bouts, il leur a fallu de plus en plus deux revenus par ménage et un allongement de la semaine de travail, qui est passée de 38,8 heures en 1978 à 39,6 en 2004.
Depuis qu'on détient des statistiques, il n'y a jamais eu une aussi longue période où le pouvoir d'achat des salariés soit demeuré stagnant. Il en a résulté une inégalité des revenus supérieure aux États-Unis à celle de tous les pays industrialisés, écart qui s'est particulièrement accentué depuis les années 80. [...]
Ratés de la croissance économique
Même si leur salaire demeure stagnant, de nombreux travailleurs ont continué à consommer, mais en s'endettant de plus en plus pour maintenir leur niveau de vie. Ils sont vivement sollicités de mille façons par les institutions financières, les commerces et la publicité, qui invitent à acheter maintenant et à payer plus tard. Le maintien de très bas taux d'intérêt a facilité l'endettement des ménages, qui a doublé depuis 30 ans; il atteignait 127 % de leur revenu disponible en 2005 (Monthly Review, mai 2006).
Beaucoup de ces ménages ne peuvent joindre les deux bouts lorsque les taux d'intérêt sont à la hausse. C'est ce qui est arrivé pour les prêts hypothécaires, premier poste d'endettement des ménages, engendrant la crise financière que nous connaissons. Mais il est d'autres sources d'endettement, prêt auto et cartes de crédit, où les institutions financières n'ont pas montré plus de prudence. La hausse des taux d'intérêt annoncée risque encore une fois de mettre à mal les ménages et les institutions financières.
La crise met à nu les ratés d'une croissance économique basée sur les principes néolibéraux. En effet, la déréglementation et la libéralisation des marchés n'ont pas eu seulement pour effet de révéler le dysfonctionnement des institutions financières. Elles illustrent aussi les conséquences d'une croissance de la consommation résultant plus de l'endettement des ménages que d'une hausse de leur revenu réel. Le candidat à la présidence Barak Obama a bien raison de dire que le système n'a pas fonctionné et que «l'essentiel en économie doit se mesurer à savoir si la classe moyenne a tiré oui ou non une juste part de la croissance économique». Et manifestement, la classe moyenne n'a pas tiré profit de la prospérité des dernières décennies.
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Jacques Rouillard, Professeur au Département d'histoire de l'Université de Montréal


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