Les châteaux forts s'effritent

Que réserve la boîte à surprise du 26 mars?

Québec 2007 - Analyse


Si la tendance se maintient, les élections du 26 mars s'annoncent comme une véritable boîte à surprise. Les résultats des derniers sondages ont remis en question ou fragilisé plusieurs habitudes et notions clés de la politologie québécoise, par exemple «un deuxième mandat automatique» et «un château fort». Au point où il n'y a plus que les ordinateurs à se risquer au sport extrême de la prédiction.
Québec -- Quelques heures avant le débat des chefs, mardi à l'Assemblée nationale, votre humble serviteur, liste des 125 circonscriptions en main, circulait à travers les collègues, recueillant leurs impressions de campagne, tentant de prévoir les résultats comté par comté. «C'est inutile, ce que tu fais. Impossible de faire quelque prédiction que ce soit avec les résultats actuels», m'a lancé un chroniqueur d'expérience (il a couvert «huit élections fédérales, six élections québécoises, trois référendums» et des élections américaines).
Et ça, c'était «avant» le débat. Pis encore, avant le sondage Léger Marketing révélé jeudi soir, qui concède 33 % des intentions de vote au PLQ, 30 % au PQ et 30 % à l'ADQ. Ces chiffres fascinent les politologues. Mais ils les ont aussi refroidis: aucun n'a accepté de faire de prédictions globales au Devoir hier. «Je ne suis plus prêt à gager sur qui que ce soit», a lancé Réjean Pelletier, politologue à l'Université Laval. Reconnu pour sa prudence, M. Pelletier a souligné que le vote libéral est probablement sous-estimé, comme toujours. Les «discrets» de la politique québécoise sont souvent libéraux par pudeur ou tout simplement parce qu'ils sont plus difficiles à joindre (pour des raisons linguistiques, notamment). Malgré tout, «avec les derniers chiffres, c'est libéral minoritaire ou peut-être péquiste ou même adéquiste minoritaire. On ne sait plus».
Dans cet environnement électoral instable, seuls les ordinateurs acceptent de se livrer au sport extrême qu'est devenue la prédiction. Par exemple, la firme de relations publiques HKDP a mis en ligne depuis le début de la campagne électorale un «election predictor». La méthode est simple et parfaitement «cartésienne»: il s'agit d'une «formule mathématique basée sur le concept des transferts proportionnels»... Autrement dit, on prend les résultats d'un sondage, plus précisément les pourcentages de votes recueillis par chacun des partis, et on les entre dans le simulateur, qui les compare aux résultats des dernières élections. Résultat avec le Léger Marketing d'hier? Selon HKDP, c'est le PQ qui obtiendrait la pluralité des sièges et qui formerait donc un gouvernement minoritaire avec 49 sièges (il en avait conservé 45 en 2003). L'ADQ passerait de cinq sièges à 33! Et le Parti libéral, lui, tomberait de 76 sièges en 2003 à 43!
Un autre outil comparable est celui de Greg Morrow, un chercheur ontarien résidant actuellement en Californie et qui anime le formidable site Democratic Space. Hier, il a mis à jour ses «projections» (il rejette le mot «prédictions»), sensiblement différentes de celles de HKDP.
Résultat: 54 sièges au PLQ, 47 au PQ et 24 à l'ADQ. M. Morrow refuse de ne se baser que sur un sondage, comme l'outil de HKDP. Il fait une moyenne pondérée des cinq derniers coups de sonde. Pour raffiner son outil, M. Morrow prend en compte plusieurs variables: les différences régionales, les candidats-vedettes aux dernières élections, etc. «On sait que le vote libéral a toujours été un peu sous-estimé dans les sondages. On en tient compte. Aussi, on tient compte du fait que le PLQ a une bonne machine électorale et est meilleur pour "faire sortir le vote"», a expliqué M. Morrow.
Si les élections avaient eu lieu le 21 février (jour du déclenchement), les Québécois, selon le modèle de M. Morrow, auraient élu un gouvernement minoritaire libéral. Dans les projections suivantes, toutefois, les libéraux étaient tranquillement retournés à des scénarios de gouvernement majoritaire. Mais tout a changé avec l'introduction des données du dernier sondage Léger Marketing, qui révèle d'ailleurs que près de 70 % des Québécois entrevoient un gouvernement minoritaire libéral.
Le scénario évoqué par les modèles mathématiques est presque inédit. La dernière fois que le Québec a connu un gouvernement minoritaire, c'était en 1878. Le lieutenant-gouverneur Luc Letellier de Saint-Just avait dissous la Chambre et, le 8 mars, avait demandé au chef libéral Henri-Gustave Joly de Lotbinière de former le gouvernement. Le lendemain, les conservateurs de Charles-Eugène Boucher de Boucherville, majoritaires en Chambre, renversaient le gouvernement. Joly de Lotbinière devait ensuite annoncer des élections générales pour le 1er mai. Mais à cette date, 32 libéraux et 32 conservateurs ont été élus! Joly de Lotbinière a donc décidé de se maintenir au pouvoir avec l'appui d'indépendants et a réussi à tenir jusqu'à la fin d'octobre 1879.
Revenons à aujourd'hui. Tout peut changer en une semaine. Le chef péquiste André Boisclair comptait d'ailleurs là-dessus jeudi lorsqu'il a souligné que plusieurs électeurs interrogés dans les sondages révélaient que leur choix n'était pas encore fixé. Toutefois, plus on se rapprochera de la date du 26 mars, plus le «ciment prendra».
Il reste cependant un moment fort dans cette campagne: le budget Harper-Flaherty de lundi. Comme plusieurs, M. Morrow se demandait hier comment celui-ci pourrait influer sur le vote. Comment les Québécois interpréteront-ils le règlement du déséquilibre fiscal total ou partiel qu'il pourrait contenir?
Selon Christian Bourque, de Léger-Marketing, et Jack Jedwab, directeur de l'Association d'études canadiennes, le budget profitera sans doute à M. Charest. D'autres, dans l'entourage du chef péquiste, racontent que l'opération budgétaire donnera aux Québécois «la ridicule impression» de jouer au jeu «Le Banquier» (métaphore évoquée aussi par l'ancienne ministre Lise Payette dans une chronique du Journal de Montréal). Accepteront-ils ou refuseront-ils l'offre du banquier Stephen Harper? En lieu et place de Julie Snyder, le chef libéral Jean Charest, qui incite les Québécois à choisir... D'autres, comme Jack Jedwab, soulignent que l'offre du banquier Harper pourrait aussi bien aider Mario Dumont, qui en profitera à ce moment pour révéler son «cadre financier» tant attendu et qui pourrait alors gagner en crédibilité.
Michel Fréchette, communicateur-conseil chez Girard & Fréchette, estime que le budget fédéral, le travail de comté des libéraux, leur «prime à l'urne» historique ainsi que les considérations stratégiques pourraient bien faire décroître le vote adéquiste la semaine prochaine. Il n'est pas impossible que les libéraux se retrouvent avec la «majorité pile» en Chambre, soit 63 députés. Suprême ironie: c'est alors Pierre Paradis qui détiendrait «le sort du gouvernement entre ses mains. Un nouveau rapport s'établirait alors avec son chef».
Du reste, selon M. Fréchette, le vote par anticipation qui se déroulera dimanche et lundi devrait donner des indications quant à la capacité des machines électorales à inciter les électeurs à aller voter. Le PLQ et le PQ ont des ressources que l'ADQ n'a pas.
Christian Bourque, de Léger Marketing, évoquait à LCN hier un «réveil» possible de plusieurs électeurs à la suite du sondage de jeudi. Voulaient-ils vraiment un gouvernement adéquiste ou souhaitaient-ils simplement protester?
La perspective d'un résultat serré a toujours une influence sur la participation électorale. Il se pourrait donc que le Québec renoue avec les taux des années 70 et 80, qui tournaient autour de 80 %, alors que les derniers avoisinaient plutôt les 70 %. Cela rend les résultats encore plus difficiles à prévoir, a noté M. Bourque.
Avec de tels chiffres, la notion de «château fort» devra sans doute être relativisée. Certes, le Parti libéral peut compter sur l'ouest de l'île de Montréal. Des maires de villes défusionnées se sont déclarés en faveur de Mario Dumont pour protester contre les défusions partielles et la création des «monstres» nommés «conseils d'agglomération». Mais le PLQ, selon les observateurs, n'a rien à craindre avec des majorités de quelque 30 000 voix, comme celle de Geoffrey Kelley dans Jacques-Cartier. Réjean Pelletier souligne aussi qu'une partie de l'Outaouais restera un bastion du PLQ. Un autre politologue, Richard Nadeau, de l'Université de Montréal, affirme que cela confère au parti de Jean Charest une sorte de «plancher» de quelque 45 sièges.
Des châteaux forts à la Jacques-Cartier, le PQ, lui, n'en a plus vraiment. Il y a l'est de l'île, mais certains prétendent que Rosemont n'est plus acquis au PQ. L'autre qui nous venait spontanément à l'esprit, la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, pourrait même livrer au PLQ ses seuls gains le 26 mars. Réjean Pelletier fait remarquer que lors des dernières élections fédérales, le Bloc avait perdu plusieurs voix dans cette région. Pour le reste, la montée de l'ADQ menace plusieurs sièges péquistes traditionnels dans les régions du 450. M. Pelletier fait remarquer que les appuis de Québec solidaire semblent décliner, même si les chiffrent sont dans la marge d'erreur. Cela pourrait signifier selon lui que certains souverainistes de gauche songeraient à rentrer au bercail.
On a beau faire des sondages, tout se joue dans les circonscriptions. Jack Jedwab estime que les libéraux ont encore au moins 40 sièges garantis. Avant le dernier sondage Léger Marketing, une étude comté par comté l'avait mené à la conclusion suivante: les libéraux avaient 41 sièges acquis et six comtés où ils menaient. Le PQ pouvait compter sur 27 sièges acquis et 12 comtés où il se trouvait «en avance». Quant à l'ADQ, elle en avait selon lui 11 d'acquis et 12 où elle menait. Le reste? Imprévisible.
Le Léger de jeudi a sans doute changé la donne. Avec sa mise à jour d'hier, Democratic Space «accorde» désormais Chambly, La Prairie et Matane au PQ. L'ADQ ravirait au PQ les circonscriptions suivantes: Champlain, Drummond, Iberville, Nicolet-Yamaska et Saint-Hyacinthe. Au PLQ, la formation de Mario Dumont enlèverait les Jean-Lesage (siège du ministre Després), Kamouraska-Témiscouata (siège du ministre Béchard!) et Maskinongé.
Le Devoir
Avec la collaboration de Kathleen Lévesque


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