Les bas et les bas des PPP

CHUM



Chemise blanche immaculée, boutons de manchette BCBG, cheveux gris plaqués soigneusement sur le crâne. Tête haute, regard direct, un brin arrogant.
Le grand patron de l'Agence des partenariats public-privé, Pierre Lefebvre, nous a reçus, mes collègues et moi, dans une salle perchée au 15e étage d'une tour du centre-ville. La vue sur Montréal et le fleuve était saisissante.

Depuis 14 ans, le gouvernement essaie de construire deux grands hôpitaux universitaires. Coût: près de trois milliards et demi. Stratégie: partenariat avec le privé, les fameux PPP.
Pierre Lefebvre ne jure que par les PPP. Pendant deux heures, il a vanté les mérites de ce joyau sorti tout droit de la cuisse de Jupiter, un talisman contre l'explosion des coûts. Il maîtrise parfaitement le dossier et il répond à toutes les objections en maniant avec adresse les mécanismes complexes des PPP.
Pour bien enfoncer le clou, Pierre Lefebvre parle du public en donnant un exemple où affleure le mépris. «L'autorité publique te dit qu'elle veut acheter des portes, explique-t-il. Elle va te dire quelle sorte de porte elle recherche, le type de poignée, etc. Elle ne va pas te dire: il faut que la porte ouvre ou ferme.»
Son exemple m'a soufflée, comme si le public était trop bête pour demander une porte qui fonctionne correctement.
Le gouvernement s'est tourné vers les PPP parce que plusieurs grands projets avaient dérapé.
«Selon une étude effectuée par le centre de recherche CIRANO, la moitié des projets au Québec ont dépassé leur budget et 59% leurs échéances», précise Pierre Lefebvre.
Il omet de citer le reste du paragraphe. «Toutefois, enchaîne CIRANO, puisque les budgets sont déterminés avant que les programmes fonctionnels et techniques aient été complétés, on peut difficilement parler de dépassement de budget.»
Méchante nuance.
Votre jupon dépasse, M. Lefebvre.
Le principe des PPP est simple. Le privé - un consortium regroupant plusieurs entreprises - construit. Il doit respecter un échéancier et l'enveloppe budgétaire octroyée par le gouvernement. C'est le privé qui assume la plupart des risques. En échange, l'État lui verse un loyer pendant 30 ans.
En 2047, le privé remettra au gouvernement un hôpital en bon état, insiste Pierre Lefebvre. Un truc nickel. C'est écrit dans le contrat qui lie le gouvernement au consortium.
Sauf que le public paie pour l'entretien, ce que M. Lefebvre se garde bien de préciser.
«Quand vous achetez une maison à 100 000$, le prix n'inclut pas l'entretien et les intérêts que vous allez payer pendant 30 ans, explique le vice-recteur de l'Université de Montréal, le Dr Guy Breton. C'est la même chose pour le CHUM. Le privé ne fait pas de cadeau.»
En 2047, le consortium va remettre un hôpital version 2010. Pourtant, au cours des 30 prochaines années, la recherche universitaire va faire des bonds de géant.
Le président de la Fédération des médecins spécialistes, Gaétan Barrette, fulmine contre les PPP. «On ne peut pas construire un hôpital universitaire en PPP, la formule est beaucoup trop rigide. Un pont, oui, une route, oui. On refait l'asphalte tous les cinq ans, point final. Les PPP fixent les choses dans le temps, alors qu'un hôpital bouge. C'est comme le Christ et l'Antéchrist!» lance-t-il avec sa verve habituelle.
Pierre Lefebvre proteste. Si le gouvernement veut modifier des trucs d'ici 2047, il peut le faire, il n'a qu'à le demander. Si le consortium qui a bâti l'hôpital est trop gourmand, le gouvernement pourra se tourner vers une autre entreprise.
«Si c'est le cas, prévient Pierre Hamel, chercheur à l'Institut national de la recherche scientifique, l'hôpital va se transformer en cauchemar ambulant. S'il y a un problème, qui va être responsable, le consortium ou la compagnie qui aura construit l'ajout? Là, on rentre les avocats dans le dossier.»
Continuons dans la veine cauchemar. Le consortium qui va construire le CHUM va-t-il tenir le coup pendant 30 ans? S'il fait faillite ou si un des partenaires s'en va ou fusionne avec une autre compagnie, qui sera responsable du CHUM?
La question n'est pas farfelue. Pierre Hamel donne l'exemple du métro de Londres, qui a confié ses rénovations en PPP. Le consortium a fait faillite et la Ville de Londres a hérité du bébé.
«Plus on regarde le contrat, plus on découvre sa nature folle et diabolique», s'est plaint le directeur du métro de Londres, Tim O'Toole.
«Les PPP, c'est comme un mariage, explique Pierre Hamel. Tu ne peux pas divorcer pendant les 30 ans du contrat, et au bout de 15 ans, tu ne sais même pas avec qui tu vas coucher.»
Et si des imprévus surviennent pendant la construction, qui va payer? Prenons la découverte d'un crâne ancien enfoui dans le sol qui provoquerait l'arrêt des travaux, le temps que tous les anthropologues de la création se penchent sur la chose, qui va payer pour le retard? Et s'il y a une grève générale et que le chantier est paralysé?
M. Lefebvre se fait rassurant. Presque tous ces scénarios ont été prévus dans le contrat. Le crâne? C'est le gouvernement qui paiera, précise-t-il. Une grève générale au Québec? Le gouvernement. Une grève limitée au chantier? Le consortium. La liste fait 65 pages. Un paradis pour les avocats.
«Un contrat est un contrat. C'est plus difficile à changer qu'une loi et même une Constitution», souligne Pierre Hamel.
Mais la pire tuile, c'est la crise économique qui a changé la donne. Le privé a besoin de sommes colossales pour construire. Le crédit se fait rare. Pierre Lefebvre l'admet.
«Les règles ont changé au cours des cinq dernières années. Tout le monde cherche des nouvelles façons de faire.»
Bref, on improvise. Et après on se demande pourquoi le CHUM n'avance pas.
Pour joindre notre chroniqueuse: michele.ouimet@lapresse.ca


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