La vente de Bear Stearns, organisée d'urgence, dimanche 16 mars, par la Réserve fédérale américaine (Fed), pose plus de questions qu'elle n'en résoud. La 5e banque d'affaires des Etats-Unis a été cédée à un établissement aux reins apparemment plus solides, JP Morgan, pour éviter qu'une crise systémique n'embrase tout le système bancaire.
Mais la vente, pour une bouchée de pain, de cet établissement de 14 000 salariés, vieux de quatre-vingt-cinq ans (236 millions de dollars, quinze fois moins que sa valeur boursière), a pour effet de déprécier, d'un coup, la valeur de toutes les banques. Que valent-elles, en ces temps de crise financière ? Rien, répond "le marché", dès lors qu'elles ont commis des investissements hasardeux dans des produits contenant des subprimes, ces crédits immobiliers américains compromis, et suscitent la défiance des investisseurs.
Dans ce marché aux abois, les banques "immatérielles" – axées sur les activités de marchés, et dont les équipes de traders et de banquiers conseils sont susceptibles de partir du jour au lendemain à la concurrence –, sont plus exposées que les banques à réseau, assises sur des actifs pérennes (agences, clients particuliers, etc.).
Lundi 17 mars, une autre institution de référence à Wall Street, la banque d'investissement Lehman Brothers, alimentait les spéculations, à la veille de la publication de ses résultats. Lehman, réputée pour sa gestion avisée des risques de marché et de crédit, serait-elle le prochain domino à tomber ?
Rien ne semblait de nature à rassurer les marchés, ni les dénégations de la banque sur l'annonce de dépréciations d'actifs massives, ni la montée au créneau de l'agence de notation Moody's, estimant que Lehman avait "plutôt bien navigué ces dernières semaines, malgré des marchés très volatils et difficiles".
En fait, les messages censés rassurer inquiètent encore plus. En annonçant, le 13 mars, que les institutions financières mondiales avaient déjà dévoilé "plus de la moitié des dépréciations d'actifs liées à la crise des subprimes", et que les pertes finales pourraient s'élever à 285 milliards de dollars, Standard & Poor's a involontairement remis de l'huile sur le feu : chez qui se cachent encore ces crédits compromis, se sont demandés les investisseurs, réalisant qu'il y avait encore des dizaines milliards de dollars de dépréciations "à trouver" ?
Les géants financiers américains ont déjà annoncé d'impressionnantes factures (21 milliards de dollars pour Citigroup, 19 milliards pour Merrill Lynch etc.) !
Le scénario qui se joue désormais à Wall Street est celui d'une crise systémique contraignant la banque centrale américaine à jouer son rôle de prêteur en dernier ressort. Jusqu'où le pourra-t-elle, alors que la moitié de son bilan a déjà été engagée dans des actions destinées à restaurer la liquidité de marché, sous la forme de prêts aux banques peinant à se refinancer ? Si la Fed devait enregistrer des pertes, comment seraient-elles prises en charge ? Quel serait alors le rôle du Trésor américain ?
Les modalités d'intervention des banques centrales pour sauver les banques au bord du gouffre posent aussi question. Seront-elles vendues "à la casse", payant ainsi le prix de leurs errements comme Bear Stearns ? Ou verra-t-on des nationalisations provisoires, comme celle de Northern Rock en Grande-Bretagne, une solution critiquée parce qu'elle revient à "privatiser les profits" et à "socialiser les pertes" mais qui permet aussi d'attendre le retour à meilleure fortune ? Les choix seront affaire de doctrine et d'opportunité politique.
Anne Michel
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