Le vieux clocher

{{Le Québec perdu entre l'ÊTRE et l'AVOIR}}

À l’étranger, presque personne n’a parlé de cette élection. À chaque élection québécoise, on avait pourtant l’habitude de voir dans la presse française de longs reportages, des portraits et des entrevues. Cette fois, à l’exception de quelques rares articles sur notre débat sur la laïcité, on s’est contenté du service minimum. Comme si les Français, et à plus forte raison les Européens, avaient senti le besoin d’une certaine pudeur et abandonné l’espoir, pour l’instant du moins, d’y comprendre quelque chose.

S’il fallait choisir une image qui symbolise cette élection, ce serait celle de la page A 8 de notre édition de lundi. On y voyait un grand arbre décharné en cette fin d’hiver derrière lequel s’étalaient les ruines de l’église Notre-Dame-de-Fatima à Mégantic. Les bulldozers étaient déjà à l’oeuvre. Partout ailleurs, on aurait conservé un mur, une croix et ce joli clocher simple et noble en pierre grise du pays. Après la guerre, les Munichois n’ont-ils pas reconstruit à l’identique toute leur ville pierre par pierre ? Ici, rien ne survivra. Pas une seule dalle. La pancarte annonce déjà : « Votre futur Métro Plus ici ! » Les marchands du Temple ont tout emporté.

Je reviens sur Mégantic, car cette ville symbolise mieux que tout le drame historique qui est le nôtre. Voilà une ville qui a souffert l’enfer par la faute d’un gouvernement fédéral qui a tout déréglementé et tout vendu au privé. Or, on n’y a pas vu l’ombre d’une révolte ou d’une colère. Pas même un poing levé. Seulement la sourde résignation, bien sûr dans la dignité, mais la résignation quand même. Certes, la mairesse de la ville a miraculeusement réussi à sauver le centre-ville que les marchands voulaient déménager à côté du centre commercial, mais pour le reste, on s’est dépêché d’oublier. Un temple de la consommation remplacera la belle église.

Mégantic illustre bien cette époque dans laquelle nous n’avons pas choisi de faire de la politique. En 1837-1838, les Patriotes n’ont pas perdu la partie seulement par manque de soutien dans la population et à cause d’un clergé scélérat. Sans un appui minimum de la France et des États-Unis, les idées républicaines ne pouvaient pas l’emporter au Canada face à la première puissance économique et militaire du monde, l’Empire britannique. Or, nous vivons encore au coeur de la bête, à cinq heures de route de New York, capitale mondiale de la mondialisation. Une mondialisation qui a déclenché à la faveur des techniques nouvelles un vent d’individualisme sans précédent qui ébranle jusqu’aux vieux patriotismes européens. Ce n’est pas dans les publicités d’Apple et les clips de YouTube qu’on apprend les idéaux collectifs surtout quand, depuis vingt ans, on a livré sa jeunesse pieds et poings liés au marché.

Faut-il pour autant sombrer dans une nostalgie mortifère ? Les tempêtes passent, mais les peuples restent. N’avons-nous pas l’habitude des pires tempêtes de neige ? Ces jugements définitifs, on les a entendus en 1980 et 1995. Les voilà de retour. Pendant la campagne électorale, nos élites humoristico-médiatiques nous ont inondés de messages du genre « bonnets blancs, blancs bonnets » ou « tous pourris ». Savaient-elles qu’elles reprenaient mot pour mot les slogans du Front national en France et sa célèbre « UMPS »* ? Les mêmes nous annoncent aujourd’hui la fin de l’histoire. Suivront bientôt les actes de décès et les avis mortuaires. Mais les peuples ont la vie plus dure que ces décrets péremptoires qui prétendent connaître en détail ce que l’histoire nous réserve.

Prenons un exemple. Si les Catalans avaient écouté leurs oiseaux de malheur, ils auraient depuis longtemps liquidé leur seul grand parti indépendantiste et républicain, Esquerra Republicana. Né en 1931 au moment de la seconde République espagnole, le parti a traversé 41 ans de répression franquiste. Ses militants ont été emprisonnés, torturés et parfois fusillés. Avec le retour de la démocratie, ERC a participé à toutes les coalitions imaginables jusqu’à faire adopter, 83 ans après sa naissance et à la face de Madrid, son projet de référendum sur l’indépendance au Parlement catalan. Rien n’est encore écrit bien sûr, ce référendum n’aura peut-être pas lieu, il ne sera peut-être pas victorieux, mais qui pourrait avoir la malhonnêteté de dire que ce parti qui a traversé le siècle n’avait pas de raison d’être, et ne l’a pas encore ?

Il arrive souvent que les oiseaux de malheur, les yeux rivés sur les dépouilles d’hier, soient en retard d’un temps. Avez-vous remarqué que la mondialisation n’est plus tout à fait aussi jovialiste et triomphante qu’elle l’a déjà été ? Aux prochaines élections européennes, les partis antimondialisation risquent d’arriver en tête dans nombre de pays. À Paris, on ne compte plus le nombre de livres qui annoncent le retour des nations dans l’arène politique. Après les délires mondialistes et l’individualisme mégalomane, les peuples sentiraient-ils le besoin de retrouver quelques valeurs communes ? Comme la nostalgie d’un vieux clocher qu’il faudra bien reconstruire un jour.
* «UMPS » (amalgame des acronymes UMP et PS) est un néologisme utilisé pour railler le supposé caractère interchangeable des deux partis dominants français.


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