Le Taï Chi en politique

Chronique d'André Savard


Vous avez sûrement entendu Jean-Pierre Charbonneau dire qu’il était professeur de taï chi. Dans une des publicités moussant le Club des Ex, il expliquait même le parallèle entre le taï chi et la politique. Le taï chi, ancien art martial consiste à prendre le mouvement de l’adversaire et à en incorporer l’élan et la force. Il ajoutait qu’en politique aussi il faut s’accaparer la force du mouvement adverse plutôt que de tenter de le bloquer bêtement.
Professeur de taï chi ou pas, plusieurs d’entre nous poursuivent des méditations qui suivent ce principe. Comment tirer parti des réserves d’influence que recèle la situation et les orienter dans la direction voulue? Selon plusieurs arts martiaux, on utilise peu sa propre force contre l’adversaire. On exploite les effets de levier, le moment d’une force et l’inertie. La reconnaissance si factice soit-elle de la nation québécoise et la montée de l’Action Démocratique sont comme deux gestes nouveaux dont nous pourrons assumer l’énergie si nous utilisons un thème comme celui-ci: participer en tant que nation.
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La chronique précédente intitulée [La nation québécoise et ses obligations->9206] a inspiré des commentaires fort pertinents de la part des lecteurs. Une objection surgit toujours quand il s’agit de faire des demandes au Canada. On évoque l’antécédent du “beau risque”.
Souvent nous entendons dire que des demandes pour que le Québec participe en tant que nation plutôt qu’en tant que province risquent d’amener à des modifications, des accommodements qui endormiront l’opinion publique québécoise. On cite en exemple la loi 101 qui, en améliorant temporairement le statut de la langue française au Québec, a fait perdre à la cause indépendantiste son urgence.
Dans les faits, sans la loi 101, la ville de Montéal serait passablement plus anglicisée. Dans tous les journaux aussi bien francos qu’anglos, des écoles anglaises annonceraient des projets pédagogiques imbattables, des droits d’inscription à des clubs sportifs, pour les parents intéressés. Le message serait depuis longtemps passé que la langue anglaise est la langue des grands acteurs sociaux en devenir.
Le journal La Presse publierait toujours en français mais il joindrait un supplément en anglais mensuel à la demande de ses nombreux lecteurs. L’influence anglo-saxonne aurait pris l’ascendant sur le pouvoir français. Il est risqué de présumer que cela s’accompagnerait d’une révolte supplémentaire de notre part. Quand une situation globale s’installe, réactions, contre-réactions, jeux au deuxième et troisième degré, suivent et s’adaptent. Les citoyens manquent trop de temps pour soutenir une révolte durable. Quand une donnée politique fait bien partie de l’environnement social, elle entraîne des automatismes. On s’exécute sans avoir à y penser et il n’y a plus que les hypersensibles pour persister à éprouver toute l’influence de la domination politique.
Comme nous avons tenté de le faire au mieux avec la langue française, nous devons faire transparaître la nation québécoise dans l’environnement social, permettant ainsi que le peuple québécois puisse y associer des différentiels qu’il aura à cœur de défendre. On est plus inclin à donner de la valeur à ce qui est déjà érigé. En posant les balises d’une structure nationale québécoise comme politique officielle et stratégie d’engagement de l’État québécois, nous ferions ressortir en réactions tous les comportements préenregistrés, les déclencheurs automatiques qu’implique la soi-disant égalité des provinces.
La question pour les indépendantistes est de maintenir la bataille sur le terrain voulu. Comme les lecteurs de Vigile le savent très bien, les indépendantistes sont identifiés par leurs adversaires comme ceux qui veulent “briser le pays”. On se fait dire qu’il est plus important de construire que de détruire. On veut nous cantonner sur un terrain symbolique : celui de ceux qui veulent détruire et qui pratiquent la politique de la main vide.
Dans la mesure où nous ne demandons plus rien en attendant le grand soir, nous allons nous enfoncer dans cette case. L’Action Démocratique va supplanter le parti Québécois (ou toute autre formation indépendantiste) dans le coeur des Québécois comme étant le seul parti ayant des choses à demander au pays légal.
Les fédéralistes répètent aux Québécois que le pouvoir dévolu à une province permet aux politiciens québécois de gagner en influence et que l’influence est souvent plus importante que le pouvoir. Jean Charest dans son syndicat des provinces redit sans relâche que notre état provincial est la meilleure façon de maîtriser les jeux subtils de l’influence. Et nous, nous parlons entre nous des manières d’induire au sein de la population des conditions de réceptivité idéale qui pourront nous faire atteindre le grand soir. Le pire qui pourrait arriver aux indépendantistes serait de paraître commander aux étoiles, coincés entre des fédéralistes qui rêvent d’influence provinciale et des autonomistes qui se promettent éventuellement de demander quelque chose.
Pour reprendre les termes de l’anthropologue Marcel Mauss, on doit fixer « l’obligation de donner, l’obligation de recevoir, et l’obligation de rendre » en dehors de la règle de réciprocité des provinces. Sans la technique du pied dans la porte, le Canada, par la seule force d’entraînement du cadre structurel présent, continuera de se présenter comme un pays en soi qui fonctionne automatiquement.
Certains répliqueront : « Encore cette idée de relations binaires entre nations qui permet juste au Fédéral de se poser comme l’autorité modèle ». Alors revenons un instant aux finesses du taï chi. L’influence de la situation actuelle nous permet, au-delà du clivage entre indépendantistes et fédéralistes, de poser un objectif : la nation québécoise doit être traçable, maîtresse dans ses relations internationales et non plus diffuse, insaisissable, ayant renoncé au pouvoir direct pour jouir des supposés privilèges de l’influence, comme les fédéralistes nous l’ont tant répété.
En tant qu’indépendantistes, nous devons toujours nous récolter des appuis en gardant à vue ce qui est réalisable présentement. L’idée des requêtes au nom de la nation peut nous déplaire à prime abord. Laissés entre nous, nous avons tendance à souhaiter dans nos conversations une mutation de l’opinion publique, une révolution des esprits par l’éducation. Nous disant que nous avons été colonisés, nous déduisons que seule la formation systématique des esprits nous permettra de transcender les conditionnements.
Lors de la course qui devait mener à l’élection d’André Boisclair, Pierre Dubuc, bien que candidat malheureux à la chefferie, recevait des applaudissements nourris avec un de ses projets. Son plan était de grossir considérablement le budget de Radio-Québec pour en faire un organe de conscientisation nationale.
Il y avait pourtant un hic; peu de gens sont durablement actifs dans leur apprentissage, et l’objectif d’atteindre la pleine conscience politique chez le plus grand nombre de citoyens avant la parousie du rêve indépendantiste correspondait à un schéma désincarné. L’idée que la population dans toutes ses couches sociales se constituera comme un auditoire rempli de curiosité, séduit par la magie de la télévision, se situait en plein pays des merveilles.
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Il faut un combat politique qui mette des éléments tangibles ensemble, qui identifie la cause nationale québécoise et qui la mène plus loin. Le premier objectif atteignable pour les indépendantistes est de d'évaluer le fédéralisme comme pôle d’identification des voteurs francophones. Tant que les fédéralistes réussissaient à cadrer le débat et à le définir comme un duel entre ceux qui « veulent briser le pays » et les fédéralistes, les seuls à avoir la force d’un pays légal derrière eux, ils réussissaient à s’accaparer un segment de cet électorat.
De sondage en sondage, on constatait en toile de fond une segmentation décrite par Claude Morin dans son livre Les Prophètes Désarmés en ces termes:
- celle qui, d’emblée, s’oppose à la souveraineté vue par elle comme « séparation » (environ 35 % de l’électorat, comprenant la plupart des anglophones, des allophones et des autochtones, ainsi qu’une fraction appréciable de francophones sincèrement « Canadiens d’abord » ou plus anxieux, etc);
- celle qui, par conviction innée ou acquise, est fermement favorable à la souveraineté vue par elle comme indépendance (autour de 30 %, en immense majorité des francophones);
- celle (35 % à peu près) qui peut osciller de l’une à l’autre option au gré de l’actualité, ou selon l’importance accordée au partenariat par les porte-parole du Oui, ou encore qui est influencée par la séquence et la formulation des questions lors des sondages, mais qui, dans le doute, rejoindra en majorité la première catégorie (à noter que presque la moitié de ce segment est formée de citoyens qui, souvent ne vont pas voter aux élections générales bien qu’ils soient plus assidus pour les référendums).
Avant, si le déterminant de l’action politique avait été la nation québécoise et son gouvernement national efficace versus le Fédéral, le segment mou de la population, dans une réaction automatique, y aurait vu le duel entre « ceux qui veulent briser le pays » et les fédéralistes. Il y a possibilité désormais de dépasser ce stade. Peu d’entre nous ne souhaitaient l’émergence de l’Action Démocratique mais le repositionnement du vote francophone pourra induire ce dernier à envisager d’autres explications.
Le Parti Québécois sous la gouverne de Pauline Marois peut créer une dynamique entre l’autonomie de l’Action Démocratique apportée par les rois mages et son vrai programme de gouvernance nationale, lequel serait assorti d’exigences claires. Nous sommes souverainistes, pourrions-nous dire, mais comptez sur nous pour défendre les droits nationaux des Québécois.
Quand le parti Libéral avait la mainmise sur le segment mou de l’électorat, son identité corporatiste définissait dans ce segment les sentiments de l’individu vis-à-vis de l’engagement et de l’action positive. Il faut penser aux brèches dans les convictions politiques qu’il sera possible de faire apparaître maintenant qu’il ne s’agira plus bêtement pour un francophone d’être fédéraliste pour « sauver le pays ».
Ils seront peut-être moins réfractaires à voir fixer des objectifs en faveur de la nation québécoise. Rappelons-nous la règle de psychologie sociale énoncée la semaine dernière : quand un individu prend une position, il ressent ensuite le besoin de conserver cette position dans le but de paraître comme un individu cohérent. En promulguant la loi 101, nous sortions du tout cohérent qui stipulait l’égalité formelle des langues officielles au Canada. Beaucoup de ceux qui ne se rangent pas dans le camp souverainiste bénissent quand même la capacité d’interpellation de cette loi. Le français fait désormais partie du tableau cohérent qu’ils se font de leur société et ils sont prêts à le défendre.
Nous devrions de la même façon utiliser la prétendue reconnaissance de la nation québécoise et articuler un positionnement qui ne se range plus dans le tout cohérent qui stipule l’égalité formelle des provinces. En somme, dotons cette prétendue reconnaissance d’une capacité d’interpellation. La population doit découvrir des règles de cohérence induites directement du principe de notre existence nationale. Peu à peu, elle se sentira capable d’appuyer des engagements ultérieurs tracés dans la ligne de cette nouvelle cohérence.
Mario Dumont voulait une plateforme constitutionnelle cosmétique et Stephen Harper voulait une reconnaissance bidon de la nation québécoise. Présentons-les désormais comme les adeptes du faux jour, les politiciens du secret et des mystères, ceux qui sont perdus dans les labyrinthes.
Comme un expert des arts martiaux, cramponnons-nous aux élans de l’adversaire qui veut juste tromper et entraînons-le vers les conséquences concrètes qui découlent de ses propres gestes. Prenons même l’élan de l’électorat réfractaire qui déclare ne plus vouloir écouter machinalement l’orchestre des indépendantistes versus les fédéralistes. Disons-leur que, dans un premier temps, il faudra donner une épine dorsale à cette nation québécoise que l’on dit reconnue.
André Savard


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