La nation québécoise et ses obligations

Chronique d'André Savard


Sans le Bloc Québécois, jamais une motion sur l’existence de la nation québécoise n’eût été présentée. Les partis fédéralistes l’appuyèrent pour ne pas trop avoir l’air de nier l’évidence, probablement après s’être dit, sans quelque système du compte rendu et du contrôle, on pouvait admettre généreusement un principe sans ne s’engager à rien. À présent, on voit des politiciens fédéralistes que se promènent la main sur le cœur en rappelant qu’ils ont adopté une motion de reconnaissance de la nation québécoise.
Demandez-leur des détails. Ils vous diront que c’est un pas dans la bonne direction. La reconnaissance de la nation québécoise ne doit pourtant pas être une carte sans point, comme le fédéralisme renouvelé le fut. Jean Charest évoque des activités de gestion, des transferts fédéraux, comme s’il s’agissait de grande victoire constitutionnelle. Si la reconnaissance de la nation québécoise n’est qu’une bulle de savon, une forme vide qui correspond hypothétiquement à des dossiers invisibles et parfois visibles, Jean Charest sera content.
Il dira trouver des preuves de l’efficacité de cette reconnaissance là où il n’y en a pas. Il suffit d’une bonne photo entre un premier ministre et son vis-à-vis, chacun parlant tous ensemble pour soi-même, pour y voir une preuve immense de respect mutuel et de réciprocité. Cette « reconnaissance » sans positions claires à défendre ne vaut rien. La reconnaissance de la nation québécoise doit guider le partage des pouvoirs entre Ottawa et Québec. Sinon, nous ne pourrons pas faire subir à la prétendue générosité canadienne une sérieuse radiographie.
Tant que cette reconnaissance n’érigera aucun cadre nouveau, seulement de la bonne ambiance et de la bonne volonté, la seule position claire qui demeure est la suivante: la nation québécoise ne doit rien produire qui soit jugé comme une anomalie dans la société canadienne. Le fait que la nation québécoise soit soumise au Canada uni en est l’expression et le fruit légitime. Tant que la reconnaissance ne sera qu’une promesse en l’air, dans l’hypothèse exagérément optimiste que ça promette quelque chose d’autre que les bonnes vieilles règles du Canada uni, l’opinion publique ne saura pas trop à quoi se rapporter pour juger.
[->archives/01-4/cornellier-morin.html]Si la nation québécoise est reconnue, nous devons réclamer des substrats à cette reconnaissance. [Un livre de Claude Morin écrit en 2001 et intitulé Les Prophètes désarmés énumérait les pouvoirs et les engagements nécessaires->2519] pour que cette reconnaissance puisse prétendre à quelque efficience. Il vaut mieux se référer au livre pour en découvrir la liste exhaustive. Une simple citation montrera toutefois combien nous sommes loin du compte :
- rappeler que le Québec est le maître de ses affaires dans les domaines qui sont déjà les siens en vertu de la présente Constitution (cela va sans dire mais ira mieux en le disant) ;
- stipuler que cette maîtrise s’étend au domaine de la langue (où les compétences du Québec ont été unilatéralement réduites par le gouvernement fédéral et les autres provinces en 1982);
- préciser qu’il reviendrait au Québec de définir, au vu des circonstances et des problèmes à résoudre, les modalités chez lui du pouvoir fédéral de dépenser dans les domaines provinciaux;
- conférer au Québec, pour les domaines de sa compétence actuelle et future, et dans le respect de la politique étrangère et de la politique de défense du Canada, le droit de se représenter lui-même à l’étranger, ainsi que celui de parler et de s’engager en son nom dans certains forums internationaux;
- prévoir la participation du Québec à la désignation des membres québécois de la Cour suprême et du Sénat, et;
- garantir que, une fois inscrites dans la Constitution, les nouvelles dispositions ne seraient modifiables qu’avec l’assentiment de l’Assemblée nationale.
Comme indépendantistes, on serait porté à se demander pourquoi pousser les fédéralistes à des objectifs clairs de réforme. D’abord parce qu’en attendant l’indépendance du Québec, la seule réforme à l’œuvre, c’est la minorisation du Québec, son tassement dans l’ordre provincial. En donnant des balises pour définir ce qui doit être érigé pour respecter le droit de la nation québécoise à fonctionner par l’entremise d’instances nationales qui lui soient propres, on dispose l’opinion publique québécoise à juger selon de meilleurs critères.
En ce moment, tous les politiciens fédéralistes professent leur attachement à la nation québécoise. C’est un véritable opéra ambulant. Acculés à prendre des engagements plus précis, ils répondront en évoquant la régulation sectorielles entre les provinces, l’état de la vox populi au Canada, le pouvoir dévolu aux juges par la Constitution de 1982. En les voyant se dérober, nous pourrons désormais demander publiquement s’ils sont au service de la nation québécoise ou les servants d’un appareil juridique qui assure la prépondérance de la nation canadienne sur le Québec.
***
Le Bloc québécois est le seul à pouvoir le faire aux Communes. Les partis fédéralistes essaient de recruter au Québec les individus les plus sociaux, le restaurateur, le maire, le fondateur de la ligue de bienfaisance ou de la radio poubelle locale. Une fois élus, comme ils n’ont que le programme de leur parti fédéraliste à défendre, ils se transforment en arrivistes ordinaires. Or, tout député québécois qui n’adhère pas à l’idée, primo, que le Québec forme une nation qui exerce ses droits par l’entremise d’un Etat national, et, secundo, devant être le seul à incarner ses pouvoirs légitimes de représentant national, ne défend pas un point de vue québécois.
Sans le Bloc, tout ce qu’il y aurait à Ottawa, ce sont des représentants de l’institut de l’idéologie unitariste. Ils se pavaneraient, la bouche remplie par l’expression « travail efficace ». L’ingrédient cardinal du « travail efficace » serait de défendre un parti national canadien voulant défendre la logique du gouvernement central, sa stabilité, son accroissement et sa rationalité juridique. Quand on se questionne si c’est bien d’envoyer une partie de nos élites politiques indépendantistes à Ottawa, il faut y songer.
Toujours à ce sujet, il faut rappeler une loi très importante en psychologie sociale : la loi de la cohérence. Si le Bloc est absent, les électeurs se rendront quand même voter, cette fois pour des partis fédéralistes. À partir du moment où un électeur accorde son vote, il le prend comme un engagement personnel. En psychologie sociale, bien des études traitent du désir quasi obsessionnel de paraître cohérent dans ses comportements. Si quelqu’un vote pour un parti fédéraliste, la loi de la cohérence fait en sorte qu’il est soumis à des pressions intérieures et extérieures qui l’obligent à agir dans l’accord de sa position première.
S’il n’y a que des fédéralistes à Ottawa, c’est tous les électeurs qui nourriront la même tendance à la cohérence automatique. La loi de la cohérence ne s’applique pas qu’au comportement électoral. C’est une loi motivatrice dans toutes les sphères. Des études ont été faites par exemple auprès des parieurs. À partir du moment où ils parient, ils se montrent sûrs et optimistes quant aux numéros choisis. Une fois le choix posé, un individu, par besoin de cohérence, s’autojustifie. Il se persuade qu’il a fait le bon choix et il se sent tenu de mettre ses opinions en accord avec ses actes.
Si nous nous retirons de la scène fédérale, comme indépendantistes, nous émettons un message implicite à la population : « Nous ne sommes plus un choix pour vous et allez donc vous identifier aux autres choix. En outre, comme la position fait l’homme, les indépendantistes abandonneraient le cercle de la notoriété à des collaborateurs promus moulins à paroles derrière tous les micros. Rappelons-nous Josée Verner qui, à la question sur le Québec et sa capitale nationale, avait répondu que c’était à tout le moins ce qui était indiqué sur les panneaux indicateurs...
Sur les banquettes de l’opposition, autant à Québec qu’à Ottawa, on devrait réclamer que la reconnaissance de la nation québécoise soit assortie d’obligations et d’échéances à rencontrer. Pour le moment, il n’y a rien, pas même une instruction secondaire. La nomination de Dan Gagnier, un ancien de la clique à Trudeau, comme conseiller du premier ministre indique que Jean Charest aime bien les surveillants de couloir.
André Savard


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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    26 septembre 2007

    M Savard votre opinion nous est d’une grande utilité stratégique dans les circonstances. Il ne faut absolument pas se laisser distraire : la présence du Bloc à Ottawa nous est indispensable et plutôt que de gaspiller notre énergie à tergiverser sur le sujet, il vaut mieux se focaliser sur les considérants stratégiques et tactiques de cette présence. Merci pour votre contribution à cet égard.
    J’ai souvent questionné la démarche du Bloc à Ottawa, lui reprochant de mettre trop d’efforts à vouloir améliorer le fédéralisme pour le rendre acceptable au Québec et pas assez pour établir des prises de positions claires sur des dossiers servant à faire avancer l’argumentaire souverainiste, qui est leur premier mandat.
    Suite à la sortie de M Duceppe je ne peux que me réjouir d’un changement de cap à cet égard.
    Enfin le Bloc a décider d’établir un rapport de force entre deux états sur un point précis : Le pouvoir de dépenser (géopolitique : contrôle effectif du territoire). Ce qui tranche ici c’est l’attitude et le ton : Il demande à Ottawa de quitter le territoire et trace une ligne de front en disant qu’il ne cèdera pas un pouce de terrain.
    M Duceppe en faisant le choix stratégique d’établir un rapport de force sur un sujet, qui obtient un appui majoritaire au Québec, envois un signal clair à tous le monde : le temps du recul du Québec en attendant le grand soir est finie et la bataille va se faire pouce par pouce (Gain positionnel : th. moderne des l’échecs). Ce faisant il pose une question fondamentale à tous les acteurs politiques : de quelle coté de la ligne ils se positionneront.
    Considérations du point de vue tactique :
    M Harper et sa rhétorique creuse sur un fédéralisme « d’ouverture » sera enfin débusquer. Toutes concessions au Québec à cet égard vont lui amener un ressac dans le ROC. (Occasion pour Justin Trudeau de faire sa grande entré sur la scène en sauveur du Canada).
    Et que dire de son allié idéologique au Québec : L’ ADQ devra choisir entre un appui au Bloc qui fait la promotion de son programme autonomiste ou nier son programme et se révéler sous son vrai jour : idéologue et opportuniste sans colonne.
    Fin des illusions donc pour ces deux représentants du fédéralisme au Québec (mais ou sont donc passez les Libéraux,).
    Notons que le choix stratégique de M Duceppe est en conjonction avec l’annonce de Mme Marois de créer un Ministère de la Souveraineté (un acte d‘état qui va réconcilier bien du monde, comme l’a bien vu M Sauvé).
    Sortir de l’attentisme, poser des actes, et créer ainsi une dynamique, ne peut qu’être bénéfique pour le moral des troupes (un autre principe de la géopolitique).
    C’est M Sauvé qui doit être content (clin d’œil).
    J.C. Pomerleau

  • Archives de Vigile Répondre

    25 septembre 2007

    Comme le disait Christian Dufour récemment, nous les Québécois, nous sommes peureux, nous n’assumons pas encore totalement notre existence, il nous faut implicitement l’approbation de l’autre. Nous souffrons encore collectivement d’un complexe d’infériorité.
    Accepter que ces belles déclarations sur la nation québécoise et la société distincte n’aient aucune incidence concrète, c’est se faire niaiser, c’est abandonner sa dignité, c’est être lâche, c’est littéralement accepter que nous ne comptons pas. C’est donc jouer le jeu des médias fédéralistes. Pourquoi nos dirigeants au Québec sont-ils si minables ?
    Ce qui est important, ce n’est pas de faire des gains auprès du fédéral, c’est protéger notre intégrité, et constamment manifester notre existence et nos points de vue. Il faut qu’avec le temps, ça devienne un réflexe. Il faut promouvoir cette attitude si on veut que la population québécoise finisse un jour par se tenir debout, qu’elle cesse d’éviter les affrontements ; à un moment donné, il faut faire face à l’adversaire. Pour l’instant, la majorité d’entre nous est plutôt spectateur, nous regardons aller les choses et nous ne nous sentons pas vraiment concernés. Rien n’est jamais trop grave, le conditionnement opère.
    En tout temps et en toutes circonstances, il faut faire comprendre à ceux qui refusent de nous entendre que nous sommes là, et que nous ne sommes pas eux. Je le répète, l’idée n’est pas de gruger toujours un peu plus de pouvoir, l’idée est d’induire un minimum de dignité dans la tête des gens, de contrer le conditionnement fédéraliste que nous subissons depuis plusieurs dizaines d’années, qui brise notre esprit critique et nous empêche d’être des citoyens responsables.
    Je ne comprends pas ceux qui veulent que le Bloc Québécois quitte la scène fédérale. Ces gens ne voient-ils pas que, en plus de laisser la place à des députés travaillant contre notre nation (et pour le gouvernement central), ce serait aussi amplifier le mal qui achève de nous endormir ?
    Pierre Bouchard, Escoumins

  • Gaston Boivin Répondre

    24 septembre 2007

    Tout à fait d'accord avec vous, monsieur Savard. Le proverbe est bien connu:" Les absents ont toujours tort!" Et jamais un proverbe n'a si bien dit! La meilleure facon d'être absent d'un espace, c'est de ne pas l'occuper. Les autres se chargent alors de le faire à notre place! Il faut prendre notre place,...toute notre place,...fut-elle piègée,...ne serait-ce alors que pour dénoncer le piège ou tenter de la dépièger!

  • Archives de Vigile Répondre

    24 septembre 2007

    Votre théorie sur l'utilité du BLOC à Ottawa est pleine de bon sens bien que ce parti est en porte-à-faux avec son option souverainiste à longue échéance. "À chaque fois que le BLOC réussit à faire avancer le Québec dans le Canada en jouant le jeu du fédéralisme, il nuit à la souveraineté du Québec qui s'y sent plus confortable."
    Quand le BLOC tente par tous les moyens légaux d'améliorer la fédération canadienne pour le Québec, il agit en bon parti fédéraliste parce que ça favorise l'unité de la fédération canadienne.