La nation québécoise et la vulgate pluraliste

Chronique d'André Savard

Un bon mot a tellement circulé en Europe que bien malin serait celui qui voudrait en attribuer la paternité à quelqu’un : « Lors des référendums, toutes les occasions sont bonnes de dire non ». Vu là-bas très souvent comme un symptôme de l’hyperdémocratie, le référendum a servi de match de revanche à propos de tout et de rien auprès d’une population décidée d’en découdre avec une classe de politiciens.
On présente une question référendaire et les gens, n’en faisant qu’à leur tête, décident de se prononcer plutôt sur une élite du pouvoir. Cette réaction contre les élites a cours un peu partout. Que cela déplaise à Mario Dumont de se le faire dire, elle a joué en faveur de l’émergence de son parti. On semblait dire : Finissons-en avec le combat opposant indépendantisme versus fédéralisme et faisons de la société québécoise tout simplement une société dominée par une immense classe moyenne.
Inutile de souligner que cette réaction contre les élites cache un formidable élan de conservatisme. On atteindra le point où la population ne sera plus bonne qu’à lutter pour que le « moi » et la classe moyenne forment l’armature de la société. Une population qui se croit engagée à malin, malin et demi, contre les élites, sera très prompte à se désolidariser de ses leaders. Ce sont souvent les leaders plus dévoués, soupçonnés d’en faire trop, qui écoperont le plus.
Il faut prendre la balle au bond et partager une même émotivité. Les politiciens qui ont tiré des leçons des déconvenues de certains de leurs pairs n’oseront plus bientôt lever le petit doigt à moins d’être certains que leurs politiques sont issues de la base et bien comprises par elle.
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Le Fédéral se présente comme le défenseur et le garant des pouvoirs de la base, libre de consommer, d’avoir des services publics standardisés. Le gouvernement central a revêtu cette posture de quasi revendication, plus populaire que celle du surveillant acariâtre. On aurait désormais un gouvernement à Ottawa qui serait une plateforme d’action collective, s’il faut prendre les fédéralistes au pied de la lettre. Les bons activistes canadiens seront toujours là pour revendiquer auprès des provinces le libre choix du médecin en région, l’école, le libre accès aux programmes pédagogiques vraiment porteurs d’avenir.
En somme, les normes fédérales garantiraient les droits de la base. On sait à quelle promptitude les fédéralistes montent aux barricades dès que le concept du « nous » québécois est évoqué. Ils y voient d’emblée une atteinte aux droits de la base. Et la base, c’est le « moi » qui a droit aux identifications multiformes, un « moi » voulant profiter de la vie partout par son appartenance à plusieurs clans.
Place à la nation québécoise dans le creuset canadien, une nation qui s’insère dans les micro-solidarités, les liens, les voisinages. Ce ne doit pas être, disent les fédéralistes, une nation qui régente par en haut ou qui impose une solidarité exclusive. La nation québécoise doit se résorber dans les ancrages communautaires. On vit dans un régime où l’Assemblée nationale n’a pas le droit de s’affirmer en tant qu’instance nationale ou en tant que gouvernement représentatif de la nation québécoise.
Comme individu québécois, nous pouvons néanmoins nous manifester comme besoin d’adhésion à plusieurs entités qui ne sont pas incompatibles. L’écologie, les corporatismes professionnels, le syndicat des provinces, plus connu sous le nom de Conseil de la Fédération, tout doit passer par des chaînes de solidarités librement consenties car on ne veut pas se faire dicter ses engouements. Dites, au Québec, que la nation québécoise doit former l’armature de la société québécoise, ceci, loin de passer pour du gros bon sens, sera perçu comme une menace potentielle aux droits de la base élargie.
Le « nous » québécois est un pion sur l’échiquier public mais le creuset canadien posséderait, lui, en propre, le thème des identifications multiformes, moyen donné à tous les individus de « zapper » quand il le veut. La question nationale québécoise est présentée comme une vieille chaîne de télévision qui veut garder son auditoire captif et qui serait trop bête pour changer de programme.
On prétend que la nation québécoise a été reconnue. Au Canada, la nation québécoise est un thème qui procède de la liberté d’expression. Ceux qui le désirent peuvent y satisfaire un besoin primaire de solidarité. Les Canadiens voient mal ce que la nation québécoise peut être dans leur pays, à part un niveau local de chaleur humaine entre francophones, une possibilité d’identification individuelle et de proximité clanique. Passé ce seuil, on parle d’emphase, de mégalomanie, de classe dominante en train de comploter.
Il n’y a pas un seul conseil général du Parti Libéral qui ne se passe sans que Jean Charest ne dise qu’il gouverne au nom de tous. La prétention du libéralisme est de gouverner au nom de l’individu roi, libre de ses affects, appartenant à plusieurs meutes qui essaient de prendre le dessus dans cette société hautement compétitive. Il n’y a plus rien à défendre sinon le pays des congrès, des pressions du système économique et de la nation canadienne qui demeure le principe cardinal de la société québécoise. Cette dernière n’est d’ailleurs qu’une modalité de la société canadienne.
Mais la nation québécoise est une nation célèbre, dit-on. On en parle et elle démontre ses talents. C’est un point répété jusqu’à l’obsession et qui rejoint indirectement le point de vue de Trudeau selon lequel tout allait bien si les Québécois pouvaient « se monter à leur compte ». Comme au temps de Trudeau, la nation québécoise est un vecteur parmi d’autres des communautés culturelles et des nationalités. La reconnaissance présumée de la nation québécoise n’a pas modifié le principe trudeauiste.
La multiethnicité est l’alibi de rêve pour désister le gouvernement québécois de sa responsabilité de représenter la nation québécoise. Les fédéralistes prétendent que c’est au nom de la multitude élargie que l’Assemblée nationale doit se cantonner dans son rôle de cogestionnaire. Elle n’aurait pas à elle seule le pouvoir de se substituer aux diversités et aux convergences. On sous-entend continuellement qu’il s’agit du seul vrai enjeu.
Le gouvernement national, le Fédéral, procède au regroupement rationnel des plateformes gouvernementales, le plus souvent dans la langue des minorités, l’anglais. Le but d’une plateforme gouvernementale est de se maintenir entre plusieurs eaux. Il revient au représentant ultime du gouvernement fédéral, la gouverneure générale, de parler au nom « de tous les oubliés du pouvoir », comme elle le répète régulièrement.
Quant aux gouvernements provinciaux, ils se concertent pour maintenir le meilleur espace entrepreunarial. Prisonniers de leur vulgate pluraliste, les premiers ministres provinciaux parlent de l’intégration harmonieuse maximale des plateformes. Vous n’entendez à peu près jamais parler de la minorisation du Québec car c’est une donnée trop continue pour faire la nouvelle.
Par contre, vous entendez le mot « intégration » au moins dix fois par jour pour signaler les compromis, les rapports de force, les arrangements entre groupes. Et on induit que c’est tout cela qui forme la quintessence de la vie collective, comme si la nation québécoise constituait un espace de réserve, une contre-proposition. À chaque fois que ressort l’expression « nation québécoise », on sent le climat d’alerte. Qu’est-ce que cette nation veut pondérer? Qu’est-ce qu’elle veut mettre sur le pavois et en quoi cela altère les libertés de choix de l’individu autant comme consommateur que comme producteur ou dans ses libertés de comportement?
Le premier ministre du Québec, lequel ne croit pas que l’Etat Québécois doit constituer l’instance nationale représentative de la nation québécoise, est souvent le premier à faire écho à ces questionnements. Il vient de saluer, au sortir du dernier congrès du Parti Libéral, la nomination à titre de conseillers spéciaux, de Michel Bisonnette et John Parisella, deux vieux rouages de la machine partisane. Ils ont pour mission de redonner au parti Libéral, « sa vraie couleur rouge ». Il ne leur faudra pas beaucoup d’efforts pour faire de ce parti le vrai prophète de la majorité canadienne et de ses opinions communes.
André Savard


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