Le syndrome du gentil poussinot

Bref, M. Charest invite à regarder l'arbre, plutôt que la forêt.

L'affaire Bellemare - la crise politique




Jean-Simon Gagné - (Québec) Plus les rumeurs de scandale deviennent tenaces, plus le premier ministre Jean Charest se réfugie dans un monde digne d'une série pour enfants. On pense à l'optimisme grossièrement exagéré d'un Bob le bricoleur. Ou au bonheur de pacotille qui suintait des épisodes de Passe-Partout.
Dans le Québec imaginaire de M. Charest, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Ça donne le vertige.
Au cours des derniers mois, les révélations embarrassantes se sont multipliées. En particulier à propos de l'industrie de la construction. Mais le plus souvent, le premier ministre était sur une autre planète, répétant que nos politiques environnementales sont les plus «ambitieuses» en Amérique du Nord. Ou que le Québec «offre au monde un exemple de progrès».
Mais c'est quand il parle des institutions que M. Charest rejoint Oum le dauphin et les Teletubbies dans un pays où le chagrin n'existe pas. Une contrée où l'attribution des grands contrats publics se fait de manière juste. Une contrée où la loi encadrant le financement des partis politiques n'est pas contournée.
«Il est impossible de croire que les gens qui donnent au parti [libéral] peuvent attendre en retour à recevoir des faveurs», assurait M. Charest, pas plus tard qu'en décembre.
Plus déconnecté que cela, tu t'éclaires à la chandelle...
Interlude : Un lecteur furieux compare le récent budget du gouvernement du Québec à une visite chez le dentiste en compagnie de Jean Charest.
- Pas d'aiguille. Pas d'anesthésie. Je suis pressé, explique le premier ministre. Arrachez la dent qui fait mal, une fois pour toutes.
- D'accord, répond le dentiste, d'un ton admiratif. J'aimerais avoir plus de patients aussi courageux que vous. Alors, montrez-moi la dent qu'il faut arracher? C'est alors que M. Charest se tourne vers celui qui l'accompagne : «Ouvrez la bouche, Monsieur».
Cette semaine, on pouvait croire que l'angélisme du premier ministre allait vaciller devant les accusations de favoritisme dans la nomination des juges, lancées par un ancien ministre de la Justice, Marc Bellemare.
Mais c'était sous-estimer M. Charest. L'épreuve lui a donné des ailes. Mieux, elle lui a permis d'affirmer que notre système de nomination des juges constitue «l'un des meilleurs [au Canada]». À l'entendre, les experts sont «unanimes» à ce propos.
Ensuite, le premier ministre a refait son numéro du seigneur qui lance des miettes de table aux manants. Il a ordonné la tenue d'une enquête publique. Non pas sur l'industrie de la construction. Encore moins sur le financement des partis politiques. Plutôt sur la nomination des juges.
Bref, M. Charest invite à regarder l'arbre, plutôt que la forêt. Il prend ses détracteurs au mot. Comme le barman à qui un client difficile commande un whisky, et qui verse le contenu de la bouteille directement sur la table.
- Que faites-vous? demande le client stupéfait.
Et le barman répond, impérial :
- Vous n'avez pas spécifié que vous vouliez un verre.
Il est possible qu'une partie de la classe politique n'ait pas encore pris la mesure de la gravité de la situation. Le mythe d'un Québec plus vertueux que le reste du monde a la vie dure.
L'an dernier, un professeur de l'École nationale d'administration publique, Yves Boisvert, a ainsi publié un livre* étonnant sur le comportement éthique des élus québécois. Ce qui a frappé le chercheur, c'est la candeur de la trentaine d'élus interrogés. «Ils sont fiers d'affirmer que contrairement à de nombreux parlementaires, la question de la corruption n'est pas une préoccupation importante au Québec, car elle ne fait plus partie des moeurs politiques depuis plusieurs décennies», écrit M. Boisvert dans sa conclusion.
Difficile d'établir à quel point s'est répandu le cynisme de la dernière blague qui circule...
«Un organisateur libéral fait de l'insomnie après avoir récolté illégalement une grosse somme d'argent comptant. Pour apaiser sa conscience, il décide d'en verser une partie à une oeuvre de charité.
«Voici 15 000 $, écrit-il à l'organisation dans la lettre qui accompagne la liasse de billets de banque. Après, si je n'arrive toujours pas à dormir, je vous envoie le reste.»
* YVES BOISVERT. «La face cachée des élus», Presses de l'Université du Québec, 2009, 150 pages


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