Le spécialiste des «élections clés en main» fait des dégâts

Zampino, Vaillancourt, Tremblay, Courchesne et Ouellette éclaboussés

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Et ce n'est que le début !

Il était une fois la corruption, la fraude et la collusion. Contribuables honnêtes, souverainistes déçus et défenseurs du financement populaire à la René Levesque frémiront d’horreur avec le témoignage de Gilles Cloutier à la commission Charbonneau.
De Maurice Duplessis à Jean Charest, Gilles Cloutier a mis son expertise d’organisateur à profit pour voler une soixantaine d’élections, en plus du référendum de 1995.
M. Cloutier, 73 ans, témoigne avec aplomb et il ne semble craindre personne. Il est le premier témoin à impliquer directement l’ex-président du comité exécutif, Frank Zampino, dans le financement illégal d’Union Montréal.
Invité par Gérald Tremblay « à donner un coup de main » pour la campagne de 2001, le vice-président de Roche a rencontré Frank Zampino. Le bras droit du maire lui a réclamé 100 000 $, une demande réitérée en présence de Marc-Yvan Côté, un associé de la firme de génie-conseil.
Le maire de Saint-Léonard a exhibé une liste de cinq firmes qui avaient accepté de verser 100 000 $ à Union Montréal en échange de contrats à venir : Dessau, SNC-Lavalin, CIMA+, BPR et Genivar. M. Cloutier s’est occupé personnellement d’un premier versement de 25 000 $ à un intermédiaire de M. Zampino, qui s’est plaint des délais de livraison des trois autres paiements.
Malgré sa générosité, Roche n’obtenait pas plus de contrats à Montréal après un an. MM. Cloutier et Côté ont « accoté dans le mur » Gérald Tremblay et Frank Zampino. À la suite d’une intervention de M. Tremblay, une filiale de Roche a finalement obtenu un contrat d’évaluation municipale.
Gilles Cloutier a toujours fait preuve de prudence pour ne pas parler d’argent comptant en présence de l’ex-maire Tremblay. Vers 2004 ou 2005, il lui a cependant suggéré de se débarrasser de son directeur du financement, Bernard Trépanier. Il soupçonnait « monsieur 3 % » de garder une partie des dons en liquide pour lui.
Gilles Cloutier fait passer Bernard Trépanier pour un amateur. Dès l’âge de 14 ans, il a appris l’organisation politique à la meilleure école, celle de Maurice Duplessis. Dans sa « famille » de l’Union nationale, les routes pavées d’asphalte pour les électeurs ayant voté « du bon bord » ne faisaient pas partie du folklore, mais de la réalité. À la fin des années 50, on achetait les élections en payant une vache à un agriculteur, ou une laveuse-sécheuse à une femme au foyer influente dans son milieu.
Puis, l’argent comptant a remplacé le bétail et les électroménagers. Selon l’ex-vice-président de Roche et de Dessau, il n’existe plus de véritables bénévoles dans les élections. « Ceux qui sont venus dire ici qu’ils ont des pyramides de bénévoles, c’est faux ! », a-t-il lancé dans une flèche à l’endroit de l’ex-directeur général d’Union Montréal, Christian Ouellet.
M. Cloutier évalue à 5 à 10 % la part véritable du financement populaire dans les élections municipales, et à 15 à 20 % au provincial (30 % pour les gouvernements du PQ). Le reste est un amalgame de dons illégaux « blanchis » par le recours systémique aux prête-noms.
Ses déclarations rejoignent celles du député caquiste Jacques Duchesneau, qui évaluait à 70 % la part du financement occulte au sein des partis. M. Duchesneau n’est pas surpris des révélations de l’organisateur libéral. « Finalement, mon calcul n’était pas bon. Ce n’était pas 70 % de financement illégal, c’était 90 %, 95 %. Je m’excuse d’avoir mal calculé », a-t-il dit sur le mode ironique.
La loi sur le financement des partis politiques de René Lévesque, encore citée en exemple aujourd’hui, 36 ans après son adoption, a freiné le financement illégal pendant deux ou trois années, tout au plus.
M. Cloutier a recruté des prête-noms pour dissimuler les dons illégaux des entreprises et contourner la loi, sans grande difficulté. Les faux donateurs étaient attirés par la perspective de bénéficier d’un crédit d’impôt pour leurs contributions politiques. « Tout le monde m’appelait », s’est-il exclamé. L’organisateur tenait deux budgets pour ses campagnes, l’un officiel et l’autre officieux. Il cachait l’existence de cette double comptabilité aux agents officiels et aux candidats.

Une idée de génie
Gilles Cloutier a organisé une soixantaine d’élections clés en main dans les municipalités, au bénéfice du groupe Roche, de 1995 à 2005. Il a opéré sous les ordres de l’ancien ministre libéral, Marc-Yvan Côté. De 2006 à 2009, il a poursuivi sa carrière chez Dessau, à la demande de Rosaire Sauriol, un ardent promoteur des élections clés en main.
Le député libéral Sam Hamad, qui a été vice-président principal chez Roche de 1998 à 2003, a reconnu qu’il connaissait M. Cloutier. « Ce n’était pas un ami, a-t-il tenu à préciser. On était 1000 employés chez Roche. » Pressé de questions, M. Hamad a répété qu’il fallait « laisser la commission faire son travail ».
Les firmes de génie pouvaient dépenser environ 25 000 $ sur une élection municipale. Elles s’attendaient à obtenir des contrats dans les municipalités où leurs « poulains » réussissaient à remporter les élections. « Pour une firme de génie, un gars qui est fort en organisation, en élections clés en main, ça rapportait beaucoup », a dit M. Cloutier.
L’organisateur a rencontré des résistances à l’occasion, notamment à Laval. Roche « n’avait rien à Laval. C’était tout contrôlé par M. Vaillancourt », a-t-il dit. Il a rencontré M. Vaillancourt pour lui demander « un petit bout de la tarte », mais le maire lui a dit qu’il ne pouvait rien faire pour l’aider.
La firme a donc décidé de déménager son siège social de Laval à Montréal, et ce fut le début d’une prolifique relation avec l’administration du maire Pierre Bourque. « J’avais la porte ouverte dans le bureau du maire », se targue M. Cloutier.
Le voleur d’élections a éclaboussé peu de politiciens, mais non les moindres. Outre les Vaillancourt, Bourque, Tremblay et Zampino, il a épinglé l’ex-ministre libérale Michelle Courchesne et le député de Chomedey, Guy Ouellette. Mme Courchesne et Rosaire Sauriol lui ont demandé d’organiser la première campagne de M. Ouellette, en 2007. Lorsque l’ex-policier de la Sûreté du Québec a eu vent d’une enquête du Bureau de la concurrence sur son organisateur, il l’a limogé sans délai.
M. Cloutier a déjà eu des démêlés avec le Bureau de la concurrence. Il dirigeait le cartel des déneigeurs, formé de six entrepreneurs qui se partageaient les contrats de déblayage dans la région de Montréal, dans les années 90. M. Cloutier et les autres membres du cartel avaient plaidé coupables en 2001, écopant d’amendes de plus d’un million de dollars.


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