Ceux qui croient que l'histoire ne repasse pas en boucle sont d'une grande naïveté. Il suffisait d'écouter la déclaration du premier ministre Harper mercredi soir pour constater que le gouvernement conservateur aura délibérément soufflé sur les braises de la francophobie canadienne-anglaise pour se maintenir au pouvoir quelques semaines de plus, voire même quelques jours. Avec un grand cynisme, le premier ministre a fait le choix de réveiller les sentiments les plus enfouis, mais les plus durables, des Canadiens anglais envers les nôtres. Depuis, les séances de «Quebec bashing» se multiplient. Non seulement décrie-t-on les Québécois, mais on invite le gouvernement fédéral à les punir de leur inexcusable culot de ne pas être des Canadiens comme tous les autres.
Une conséquence de cela est très claire: le premier ministre Harper n'entend plus maintenir une politique artificielle d'ouverture envers le Québec. Le message des derniers jours est clair: le Parti conservateur entend désormais construire sa prochaine majorité parlementaire sans le Québec. Il n'y aura plus de concession ni de tentatives de rapprochement. Désormais, la ligne dure s'imposera. Désormais, le Canada anglais tirera les dernières conséquences du coup de force de 1982: il se gouvernera sans le Québec, qui sera désormais tenu comme un corps étranger dans les équilibres politiques canadiens. Le Parti conservateur ne se comportera plus comme le parti de l'ouverture au Québec mais comme celui du vieux nationalisme canadien-anglais, francophobe et belliciste.
On ne reprochera pas au premier ministre Harper son manque de lucidité. Car on le sait bien, au Canada anglais, en situation de crise, le Québec redevient vite le bouc émissaire privilégié. On sent qu'une longue exaspération longtemps tue par le Canada anglais refait surface avec une grande violence. Étrange paradoxe: alors que les Québécois auront senti depuis plusieurs années que le Canada se fermait systématiquement à toutes leurs revendications les plus légitimes et qu'ils étaient de plus en plus marginalisés dans le système fédéral, le Canada anglais était encore travaillé par le fantasme d'un Québec tout puissant qui mènerait le Canada selon ses volontés. On devine donc la réaction d'hystérie qui accompagne la revalorisation effective du rapport de force québécois dans l'ensemble canadien à travers son soutien à une coalition décidée à intégrer le Québec dans le calcul de ses priorités. Dans les faits, c'est moins la participation indirecte d'un parti souverainiste à un éventuel gouvernement de coalition qui indigne le Canada anglais que la réapparition d'un Québec capable de mener une politique conforme à ses intérêts.
Plusieurs l'ont dit, du premier ministre du Québec aux différents leaders souverainistes, en passant par le chef de l'opposition officielle, l'actuelle hystérie antiquébécoise est détestable. On s'inquiète même dans les milieux qui pratiquent le fédéralisme modéré de la renaissance du problème québécois ou, comme on dit, de la mise en scène d'une nouvelle crise d'unité nationale. Mais la politique incendiaire du premier ministre crée moins une crise «d'unité nationale» de toutes pièces qu'elle actualise une vieille vérité canadienne: le Québec ne sera jamais accepté au Canada, tout juste sera-t-il toléré s'il consent à ne pas bousculer les équilibres politiques et institutionnels du Canada. En fait, on le tolérera tant qu'il ne fera pas valoir ses intérêts, ce à quoi il ne peut évidemment se résoudre.
Les Québécois devront bien arriver à tirer les conclusions qui s'imposent. La politique n'est pas d'abord une question de bons sentiments, mais de rapport de force et de défense de ses propres intérêts. Et le rapport de force actuellement gagné par le Québec est plus circonstanciel que structurel. À terme, pour ne pas faire les frais d'une politique qui se décidera non seulement sans eux, mais contre eux, les Québécois devront reprendre un chemin qu'ils n'auraient jamais dû cesser d'arpenter et dont ils découvriront très certainement les vertus dans les temps à venir, celui de leur pleine existence politique, celui de leur indépendance nationale.
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Chantale Trottier, Présidente, Mouvement national des Québécoises et Québécois
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