Le régime Taschereau...?

Enquête publique - un PM complice?


« Il est aussi facile de se tromper soi-même sans s’en apercevoir qu’il est difficile de tromper les autres sans qu’ils s’en aperçoivent. »
La Rochefoucauld
Le journaliste du journal Le Devoir Antoine Robitaille, qui ne manque décidément pas une de nos erreurs syntaxiques, ni aucun de nos errements stylistiques, a, à mon grand désarroi, entendu mon rugissement de la semaine dernière au Salon bleu de l’Assemblée nationale. Devant le spectacle peu édifiant d’un gouvernement qui s’affaisse un peu plus de jour en jour dans l’indignité, et alors que les invectives pleuvaient d’un côté comme de l’autre, le journaliste m’entendit vociférer « vous êtes comme le régime Taschereau !!! »
Pourquoi ai-je hurlé de cette façon ? D’abord, parce que ce gouvernement semble incapable, depuis longtemps, d’assumer ses responsabilités, quelles qu’elles soient. On prétend : « C’est la faute de la crise, c’est la faute du PQ, c’est la faute de l’autre, c’est sa faute à lui, à elle. » La litanie des raisons d’éviter toute responsabilité bat tous les records, c’est du jamais vu dans notre histoire récente. Mes ancêtres députés qui ont lutté si longtemps et si âprement pour la responsabilité ministérielle, au péril même de leur propre vie et de leur liberté, seraient embarrassés de voir un gouvernement se défiler constamment de ses responsabilités premières ; la responsabilité ministérielle étant le fondement de notre système politique. Ensuite, la légèreté avec laquelle ils traitent de l’enjeu actuel de l’éthique dans la gestion des affaires de l’État fait peine à voir ; une légèreté qui frôle la grossièreté et qui, de cette façon, alimente le cynisme de la population envers la classe politique. Devant tant d’avanies, c’est malheureusement tout ce que je peux faire : hurler mon désespoir, tout en étant conscient, toutefois, que je participe moi-même à rabaisser l’institution à laquelle je suis pourtant si attaché, comme la très grande majorité de mes collègues, tout parti confondu.
Toujours est-il que, si j’ai hurlé en faisant référence au régime de Louis-Alexandre Taschereau, j’étais loin de me douter que cela serait entendu, à plus forte raison, repris par quelqu’un. « Et pourquoi donc ? », me demanderait un lecteur avisé. D’abord, parce qu’au royaume du Québec, de faire des parallèles historiques est presque aussi rare que d’apercevoir un tigre blanc de Sibérie. En fait, ils (les parallèles, pas les tigres) ne sont même plus en voie d’extinction, ils sont purement et simplement disparus de la surface de notre pays. De temps à autre, il y a bien une réminiscence qui circule mais celle-ci ne dépasse rarement (jamais) nos années glorieuses : les années soixante ! Donc, seul un étourdi pouvait, dans un moment de franche perdition, utiliser l’image du « régime Taschereau ». Ce faisant, pensais-je naïvement, je rate complètement mon coup en référant maladroitement à des événements vieux de plus de soixante-dix ans. Je me plonge moi-même dans le néant le plus complet et je confirme ce que d’affectionnés amis me disent depuis si longtemps : que je ne suis pas terrible en communication de masse. J’avais malencontreusement oublié que la culture historique et philosophique d’Antoine Robitaille est fort impressionnante. Je fus donc pris à mon propre jeu ; moi qui préfère habituellement la discrétion, me voilà donc cité dans Le Devoir…
Le lecteur sérieux, et il y en a foison au Devoir, me demanderait sûrement, « que vouliez-vous dire exactement ? » Voici. Le régime Taschereau était représenté dans les années vingt et trente par cet homme politique qui siégea trente ans, pendant lesquels il fut ministre, et puis premier ministre pendant dix-sept ans. Dans les deux cas, presque des records de longévité. Mais, en 1936, le député de Trois-Rivières, Maurice Duplessis, réussit à faire convoquer, ressusciter serait peut-être le meilleur terme, la Commission des comptes publics – l’ancêtre de la Commission de l’administration publique d’aujourd’hui – pour étudier, je vous le donne en mille, les comptes publics ! Duplessis, avec une habileté diabolique, a coupé en toutes petites tranches le régime Taschereau en rendant public les accointances de gens d’affaires, notoirement libéraux, avec le gouvernement quant aux nombreux contrats que celui-ci allouait. Duplessis a révélé la très mauvaise habitude de plusieurs membres du gouvernement à considérer celui-ci comme leur propre possession, une affaire de famille, de la famille Taschereau et, plus largement, de la famille libérale.
Après plus de quarante ans au pouvoir, le parti libéral avait procédé en quelque sorte à une « fusion » entre lui-même, le gouvernement et l’appareil d’État. Les ministres siégeaient aux conseils d’administration de compagnies recevant des contrats gouvernementaux ; le procureur général adjoint recevait des mandats de compagnies exploitant les ressources naturelles du Québec, en même temps qu’il « défendait » dans diverses causes les intérêts de la « province ». Dans la célèbre télésérie Duplessis de Denys Arcand, on entend Duplessis s’exclamer, avec le sarcasme qui lui était coutumier, que « les routes de la province de Québec sont aussi croches que le Parti libéral ». Tout comme aujourd’hui, la présidence est pointilleuse en regard à ce type de déclarations intempestives ; on exigea donc du député qu’il retire ses paroles séance tenante. Duplessis s’empresse alors de retirer ces paroles jugées vexatoires pour s’exprimer en termes plus acceptables. Il dit que « les routes de la province de Québec ne sont pas aussi croches que le Parti libéral » ! Phrase malheureuse qu’il doit ici également retirer illico. Hilarant, vous ne trouvez pas ?
Personnellement, je n’irai pas aussi loin. D’abord parce que, dans ce type de dossier, les poursuites judiciaires ne sont jamais très loin. N’ayant pas l’honneur d’avoir à ma portée une fortune digne de ce nom, la seule idée d’avoir à inclure dans mon agenda des rendez-vous avec un avocat me fait trembler et fait trembler mon (frêle) portefeuille. Mais beaucoup plus important que ma situation financière, ce qui me vient à l’esprit est plutôt d’un autre ordre, d’un ordre politique et philosophique, domaines que j’affectionne particulièrement. La notion qui me vient à l’esprit est celle de « l’intérêt public ». Voici une définition que j’ai trouvée je ne me souviens plus à quel endroit. L’intérêt public « désigne à la fois le lieu géométrique des intérêts des individus qui composent la nation et en même temps un intérêt propre à la collectivité qui transcende celui de ses membres. » En d’autres termes, ce serait un peu comme le cri de ralliement des trois mousquetaires d’Alexandre Dumas « tous pour un et un pour tous ». Quand un parti politique qui forme le gouvernement en vient à penser que « l’intérêt public » se confond complètement avec ses propres intérêts partisans, ceux de ses amis et de sa clientèle électorale, on assiste alors à la déliquescence du lien basé sur la confiance ; confiance qui se gagne sur la perception d’un sain équilibre entre l’intérêt public, l’intérêt général, et l’intérêt politique immédiat de tout gouvernement. La perception de la population de cet équilibre est fondamentale en démocratie. C’est ce qui est arrivé à Taschereau : le système qu’il présidait s’est déséquilibré en faveur de ses seuls intérêts partisans immédiats. Il a donc terminé sa carrière sous les quolibets et l’opprobre de la population, après, je le rappelle, une carrière politique des plus exceptionnelles.
En terminant, si le lecteur désire regarder de la très bonne télévision, je l’invite à écouter la désormais célèbre télésérie « Duplessis », et, en ce qui concerne l’actualité, le premier épisode des « comptes publics ». Malgré les années, cette série demeure pour moi un exemple de ce que le Québec peut faire de mieux en matière de télévision. L’écriture de Denys Arcand est tout simplement impeccable, juste et toute en nuances (comme l’histoire qui est souvent teintée de clair-obscur) et la performance fabuleuse des acteurs (particulièrement celle de Jean Lapointe) frôle rien de moins que la perfection, le génie. À écouter et réécouter. Pour ma part, je ne m’en lasse pas… surtout dans le contexte actuel…
Martin Lemay


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