Le refus de la souveraineté culturelle

Chronique d'André Savard

Le refus de la souveraineté culturelle: des conclusions à tirer
À sa fondation le ministère des Affaires culturelles avait un budget de 3 millions de dollars alors que le ministère de la chasse profitait d’un budget de 6 millions. Le ministère a évolué de nain à des dimensions respectables.
En parallèle, le Conseil des Arts du Canada a souvent été qualifié de « corne d’abondance », spécialement par les artistes québécois qui plaident la cause du Canada au Québec. En fait, à ce chapitre, la condition artistique reflète la condition générale du peuple québécois : une double dépendance.
Le Canada a plusieurs ministères à tangente culturelle, du ministère du patrimoine aux télécommunications. Le Conseil des Arts du Canada n’est qu’un organe d’Influence parmi bien d’autres que le Fédéral s’est créé pour organiser la culture.
Le Québec peut bien s’accorder des budgets, le Fédéral reste le principal moteur dans les domaines culturels dont la portée est la plus ample. Le ministère des Affaires Culturelles a le droit d’exister, autant que Radio-Québec a le droit de vivre dans l’ombre de Radio-Canada.
Le Québec a le droit de financer sa complémentarité culturelle selon les moyens que lui accorde sa propre assiette fiscale. À Ottawa, on ne veut surtout pas de la « souveraineté culturelle » du Québec. Lorsque le parti Québécois est au pouvoir, on répond que cela conduirait à une instrumentalisation délibérée de l’art par les maîtres québécois de l’Etat québécois.
Généralement, nous avons même droit alors à une évocation du retour de Duplessis, notre Franco local. Quand c’est un bon gouvernement ultra-fédéraliste comme celui de Charest, le Fédéral se contente de dire non. Ce serait gênant de parler du spectre totalitaire québécois quand des alliés se sont emparés de Québec.
Le Québec a essuyé le refus avec sa placidité habituelle. Il y en a bien quelques-uns qui se sont déclarés « humiliés » et on a presque éclaté d’un rire supérieur. Qui se sent humilié ? Au Québec on ne se sent à peu près jamais humilié.
Il est même de bon ton de le dire car être au-dessus de l’humiliation passe pour être l’apanage d’un esprit supérieur au Québec. Benoît Bouchard à l’émission le Club des Ex a nié qu’il y ait eu humiliation car lui ne se sentait pas humilié. Après tout, a-t-il dit, le Canada est un seul pays et il a bien le droit de régenter l’ensemble. Oui, il a bien le droit de tenter d’organiser la représentation du pays dans son ensemble et cela ne se fait pas sans une mainmise sur le secteur culturel.
Dans le passé, nous avons vu en d’autres occasions Jean Chrétien ou Trudeau se vanter de ne pas être humilié. Et quand ils ont été du côté des humiliateurs, ils ont plutôt voulu être vus comme des gagnants. René-Daniel Dubois se vantait lui de ne pas être humilié et nanti de sa force de libre-penseur. Ce serait là le miracle de la souveraineté personnelle : elle émanciperait de l’humiliation collective.
On ne veut surtout pas être humilié par le refus d’Ottawa d’accorder la souveraineté culturelle. On ne veut pas être humilié par la Conquête. On ne veut pas être humilié par notre statut de province. Le tabou touchant l’humiliation ne touche heureusement pas tout. On peut toujours être humilié pour l’environnement ou les amérindiens, mais pour rien qui concerne spécifiquement notre nation. Ce serait bête, sectaire, passéiste.
À force de se défendre du sentiment de l’humiliation comme d’une maladie honteuse, le Québec en est venu à accepter d’être une doublure dont l’existence dans le domaine de la culture est floue. Les commentateurs fédéralistes ou les adeptes le pensée « décloisonnée » écriront qu’il n’y a pas de quoi faire des artistes des martyrs. L’appareil mis en place leur permet d’aller chercher l’argent où ils veulent.
Ainsi, le refus du Canada d’accorder au Québec les pleins pouvoirs en culture est radicalement théorisé comme un droit du créateur québécois de profiter de tous les avantages prêtés aux citoyens canadiens. La cible n’est jamais le pouvoir québécois. On vous dira que vous voyez des complots partout. Et si vous insistez trop, vous qui voyez des complots partout, on vous accusera de comploter contre la meilleure garantie de liberté individuelle : l’appartenance au Canada.
Il est interdit d’être humilié collectivement au Québec car on a coutume de se dire que ce qui est fini est fini et qu’il faut dépasser le fini. La Conquête est heureuse, comme le disait Trudeau. Et tous les événements qui suivent, jusqu’à notre annexion comme province en 1982, on devrait les traiter stoïquement, si on en croit le nouveau code, voir l’humiliation comme une dramatisation excessive.
Et on se répète alors qu’il n’y a ni limitation pour l’individu, ni limitation ni oppression pour les artistes. Falardeau a bien quelques problèmes, certes, mais ce dernier est trop politique aussi. Il devrait se servir de sa liberté artistique pour remettre en cause l’omniprésence du politique en art ou trouver d’autres causes politiques plus actuelles, alors il aurait des subventions.
Nos combats au Québec, dès que nous les perdons, nous nous empressons de nous dire qu’ils ne sont plus actuels. La Québec vient d’encaisser une baffe, on range le dossier. Le lendemain, avec une hypocrisie incroyable, nous nous disons que nous sommes très bien après coup, moins timorés, que nous avons bien tort de faire des guerres de religion avec n’importe quoi, le français, la culture, les droits de la nation québécoise. Nous écoutons René-Daniel Dubois, Richard Martineau, les libres penseurs qui ont tellement la ressource de voler au-dessus de tout ça.
La souveraineté culturelle, c’est du passé. Le passé dit-on est le passé. On apprécie l’adage mais à lire certains textes, nous n’en sommes plus certains. Jacques Ferron dénonçait en 1963 dans une lettre au Devoir le fait que “nous étions régis par une Constitution qui échappait à notre gouverne”. Dans la même lettre, il parlait contre ceux qui désiraient “nous doter d’un enseignement bilingue qui eut officialisé en quelque sorte notre assimilation.” Aujourd’hui, on ne parle plus d’enseignement bilingue mais on parle d’école immersive aidant au façonnement pluri-identitaire.
Il y a aussi les avertissements auxquels répond Jacques Ferron qui laisse songeur. Sept jours après la lettre précitée, il répond à un nommé John Brewin, rédacteur au journal du N.P.D.: “D’une main, cet homme nous offre l’amitié: “Vous l’aurez si vous êtes gentils”, et de l’autre il nous montre le poing: “Nous ne tolérons pas que, par perversité, vous cherchiez à détruire le Canada. Sachez-le bien: nous ne renoncerons pas facilement au résultat de trois siècles d’efforts.” Trois siècles? Il est généreux. Les Anglais sont ainsi: ils s’adulent, ils se flattent, ils se comblent.”
Les Québécois aussi croient se flatter quand ils font passer la lâcheté et la reddition pour de la libre pensée strictement actuelle.
André Savard


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2 commentaires

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    22 février 2009

    Je veux revenir sur une partie de votre texte: vous dites qu'au Québec, on ne se sent jamais, ou presque plus jamais, humilié...
    Ça me semble vrai. Le Québécois moyen, s'est si souvent fait rabaisser, écraser, que beaucoup d'entre nous, ont craqué, et qu'une nouvelle génération, craque psychologiquement. Et ce, avec un ensemble de symptômes ressemblant au syndrome de Stockholm, laissant voir une sorte d'indentification à l'adversaire, et certaines victimes d'injustice et d'humiliations répétées, deviennent pourtant des chantres du Canada! C'est pas beau à voir!
    D'autres, ne réagissent plus vraiment aux provocations ou humiliations, et vont dire par exemple, que le reconstitution de la bataille des Plaines d'Abrahm aurait du avoir lieu, avec le bal, etc, car il ne faut pas que nous niions notre histoire, et bla-bla-bla... Et peu importent, notre moral et notre estime de nous-mêmes, face à un tel spectacle.
    À propos, certains diront que de telles reconstitutions de batialles perdues, se font ailleurs... Je vous dis: ne comparton pas des pommes avec des oranges. Ici, il reste beaucoup de choses non résolues, entre nous et le Rest of Canada. Notre sensibilité est trop à fleur de peau, encore. Et nous sommes toujours dans une situation où nous ne sommes pas pleinement maîtres chez nous!
    Quand on se fait si régulièrement humilier, on en vient à un point où ça fait partie de l'existence, peut-être; et que l'on considère ça normal et acceptable, on dirait.
    Mais ça fait mal, de voir que mon peuple a été réduit à ça!

  • Raymond Poulin Répondre

    17 février 2009

    Aux Québécois qui n'ont pas le courage d'assumer leur identité collective ni celui de se suicider politiquement ne reste que la feinte de ne pas se sentir humiliés. Les fédéralistes québécois sont des humiliés travestis.