Le réel programme de Bush en Palestine

En prolongeant le conflit à Gaza, et donc la division palestinienne, Israël gagne le temps nécessaire à la consolidation de son projet colonial

Sionisme sous pression

Par Ramzy Baroud
Ramzy Baroud est un auteur palestino-américain et rédacteur en chef de PalestineChronicle.com. Son dernier livre : "La deuxième Intifada palestinienne : chronique de la lutte d'un peuple" (Pluto Press, Londres). Voir son site : http://www.ramzybaroud.net/
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Les mesures énergiques prises par le gouvernement Hamas contre les forces de sécurité corrompues et les groupes affiliés à Mohamed Dahlan dans la Bande de Gaza en juin semblent provoquer un tournant dans la politique étrangère de l'administration Bush au sujet de la Palestine et d'Israël.

Le supposé revirement n'est toutefois rien d'autre que la poursuite des efforts de Washington pour étouffer la démocratie palestinienne, pour élargir le gouffre qui sépare le Hamas et le Fatah et faire en sorte que le projet israélien réussisse, ciblé sur la colonisation et l'annexion de ce qui reste de terre palestinienne.
Il est vital de garder cette réalité apparemment évidente comme préalable à toute discussion politique sur le conflit : les territoires palestiniens occupés représente à peine 22% de la Palestine historique qu'Israël cherche à réduire encore actuellement en conquérant officiellement la Cisjordanie et Jérusalem Est occupée.
Gaza n'a à voir avec cette question que dans la mesure où elle représente une opportunité en or pour diviser davantage les Palestiniens, pour brouiller leur projet national et pour présenter d'eux l'image sinistre d'un peuple ingérable, en qui on ne peut avoir confiance comme partenaires de paix des Israéliens tellement plus civilisés et démocratiques.
En prolongeant le conflit à Gaza, et donc la division palestinienne, Israël gagne le temps nécessaire à la consolidation de son projet colonial, ainsi que pour rationaliser davantage sa politique unilatérale vis-à-vis de questions qui devraient, normalement, être négociées avec les Palestiniens.
De plus, on ne doit pas perdre de vue le contexte régional.
Le lobby israélien et ses alliés néocons dans l'administration Bush et dans les médias souhaitent vivement une confrontation avec l'Iran, qui affaiblirait les positions politiques syriennes dans toute future négociation avec Israël pour ce qui concerne les Hauteurs du Golan, et qui annihilerait la force militaire du Hezbollah, qui se révèle être le plus solide ennemi auquel Israël ait jamais dû faire face dans son conflit de plusieurs décennies avec les Arabes.
C'était donc d'une importance cruciale que la "montée" du Hamas soit directement reliée à ses relations avec l'Iran ; de tels liens, bien qu'ils aient été énormément exagérés, sont maintenant volontiers utilisés comme raison expliquant le revirement apparemment historique de Bush, qui ne soutiendrait plus Israël qu'à une distance discrète (pour ne pas apparaître trop impliqué) pour initier une conférence de paix internationale dont le seul objectif est d'isoler le Hamas, ce qui affaiblira davantage le camp iranien au Moyen Orient.
Cela explique également le soutien massif offert par les régimes arabes autocratiques à Abbas, et les avertissements des dirigeants arabes au sujet de la montée de la menace iranienne.
D'un côté l'élimination du Hamas enverrait un message explicite à leurs propres islamistes politiques ; de l'autre, c'est un message à l'Iran de se retirer d'un conflit qui a longtemps été considéré comme exclusivement arabo-israélien. L'ironie est que pour assurer la pertinence du rôle arabe dans le conflit, quelques arabes sont en train de procéder à des démarches vers une normalisation avec Israël, pour rien en échange.
De la même manière, pour assurer sa propre pertinence, le Fatah d'Abbas est en train de se coordonner activement avec Israël pour détruire son formidable adversaire, qui représente une grande majorité des Palestiniens dans les territoires occupés et, on peut dire, à l'étranger. Pour ce faire, il a demandé de l'aide : de l'argent pour s'assurer de la loyauté de ses partisans, des armes pour opprimer son opposition, une validation politique pour s'auto-légitimer comme dirigeant au niveau mondial, et de nouvelles lois pour délégitimer le processus légal et démocratique qui a conduit à la victoire du Hamas en janvier 2006.
Dans un conflit qui est connu pour ses avancées atrocement lentes, seul un miracle peut expliquer comment Abbas a reçu tous ces avantages à cette vitesse astronomique.
A peine Abbas avait-il désigné son gouvernement d'urgence, dont on peut dire qu'il est anticonstitutionnel, que les sanctions étouffantes ont été levées – ou plus précisément, seulement en Cisjordanie. Pour assurer qu'aucune aide n'atteindrait quiconque défie son régime, le bureau d'Abbas a révoqué les autorisations de toutes les ONG qui travaillaient en Palestine, les obligeant à soumettre de nouvelles demandes. Celles qui sont loyales à Abbas sont sur la liste. Les autres non.
Les armes et l'entraînement militaire sont aussi arrivés en abondance. Les Palestiniens, à qui on a nié le droit de se défendre eux-mêmes, et qu'on a décrit depuis des décennies comme "terroristes", sont soudain les destinataires de milliers d'armes venant de toutes les directions. Israël a annoncé la clémence pour les militants du Fatah ; les combattants de la liberté devenus des gangsters ne défendent plus leur peuple contre la brutalité israélienne, mais sont utilisés comme bras militaire prêt à défier le Hamas, le moment venu.
Comme pour la légitimité régionale et internationale, l'administration Bush a "décidé" de changer sa politique pour une d'engagement direct, appelant à une conférence internationale de paix au Moyen Orient. Le mot paix ne fera partie que du titre, puisqu'elle ne traitera d'aucune des principales revendications des Palestiniens qui ont alimenté le conflit depuis des années, comme le problème des réfugiés, Jérusalem ou la fixation des frontières. Israël est bien sûr prêt à faire quelques "concessions" si ces efforts redessinent le conflit comme étant exclusivement palestinien, et aussi longtemps qu'il n'y aura pas d'objection à son annexion illégale de la terre palestinienne en Cisjordanie et à Jérusalem.
La réalité est qu'il n'y a aucun changement de la politique étrangère américaine concernant la Palestine. Les USA et quelques régimes arabes poursuivent la même vieille politique, qui vient juste d'être simplement ajustée pour coller au nouveau contexte politique.
Abbas et ses hommes peuvent se délecter des nombreux avantages qu'ils reçoivent en échange de leur rôle de destruction du projet national palestinien, l'avenir prouvera que les "gestes de bonne volonté" d'Israël, le soutien du lobby israélien à Washington, et les dernières générosités ne dureront pas.
Abbas pourrait facilement se retrouver prisonnier dans les sous-sols de son propre immeuble présidentiel, juste comme son prédécesseur, s'il ose faire valoir les droits légitimes de son peuple, de loin le dernier perdant dans cette bataille indigne.

Source : Counterpunch
Traduction : MR pour ISM


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