Le Québec bloque la venue de médecins ontariens

L'entente sur la mobilité de la main-d'oeuvre est pour l'instant une autoroute à sens unique vers l'Ontario

Santé - le pacte libéral

Lisa-Marie Gervais - Depuis la signature de l'entente Québec-Ontario sur la mobilité des médecins en avril dernier, les portes de l'Ontario sont désormais grandes ouvertes aux médecins québécois, tandis que celles du Québec sont toujours à demi closes pour les médecins ontariens qui souhaiteraient venir exercer dans la Belle Province, a constaté Le Devoir.
Une situation d'inégalité qui n'aide en rien à corriger le solde migratoire négatif du Québec qui, l'an dernier, n'a réussi à attirer qu'une trentaine de médecins ontariens, contre environ 125 médecins québécois qui ont obtenu un permis de pratique du Collège des médecins de l'Ontario, toujours selon ce qu'a appris Le Devoir.
Ainsi, pour l'instant, l'autoroute serait bel et bien à sens unique vers l'Ontario puisque, depuis le 1er août, il n'y a plus aucun obstacle pour les médecins québécois qui désireraient exercer en Ontario en vertu de l'entente Québec-Ontario signée entre les deux Collèges de médecins le 2 avril dernier, a confirmé le College of Surgeons and Physicians of Ontario (CPSO). Les intéressés n'ont qu'à remplir les formulaires désormais disponibles sur le site Internet du CPSO et, s'ils répondent aux critères, un comité se chargera de leur délivrer une autorisation d'exercer, a-t-on précisé.
En revanche, les Ontariens qui veulent venir exercer au Québec en bénéficiant de cette même entente se heurtent toujours à une porte close, car des détails de cet accord, qui permettrait aux médecins diplômés avant 1994 d'exercer au Québec même s'ils n'ont pas réussi le même examen que les Québécois pour obtenir leur diplôme, restent encore à être approuvés par l'Office des professions du Québec.
«Nous, on demande donc qu'un amendement soit fait au règlement pour que les médecins diplômés avant 1994 puissent bénéficier de cette même mobilité en vertu de l'entente», a dit Leslie Labranche, responsable des communications au Collège des médecins du Québec. Celui-ci confirmé que cinq candidats ontariens, diplômés avant 1994, auraient manifesté leur intérêt à venir s'établir au Québec, mais qu'ils seraient toujours en train d'attendre que l'entente aboutisse du côté québécois.
Un exode qui s'explique
Cet exode des médecins québécois, si décrié par différents acteurs du réseau de la Santé, se manifeste également chez les médecins qui n'ont pas encore de permis d'exercer. En effet, selon les statistiques du Service canadien de jumelage pour les résidents (CARMS), 37 médecins résidents venant d'ailleurs au Canada sont venus poursuivre leur formation postdoctorale au Québec, alors que 79 résidents québécois ont quitté la province. Et les plus récentes donnés confirmées par les Collèges du Québec et de l'Ontario sur la mobilité de la main-d'oeuvre entre les deux provinces révèlent maintenant un déficit, pour le Québec, de près d'une centaine de médecins diplômés avec permis.
Cette situation d'inégalité, demeurée inchangée jusqu'à ce jour, ne surprend guère Louis Godin, le président de la Fédération des médecins omnipraticiens. Selon lui, les conditions de travail au Québec devront être compétitives pour qu'une telle entente ne profite pas qu'à l'Ontario au détriment du Québec. «On n'est pas contre ces ententes-là, on ne veut pas garder nos médecins ici en les getthoïsant et en leur bloquant l'accès ailleurs. Mais on est à une distance de voiture de l'Ontario», a indiqué le Dr Godin. «Sans pouvoir pour l'instant donner de chiffres sur cette entente en particulier, c'est sûr que la pression est en ce moment plus forte ici pour s'assurer que nos conditions de travail incitent nos médecins à rester», a indiqué le Dr Godin.
Une étude datant de 2003 intitulée L'Émigration des médecins québécois: motifs de départ et de retour avait révélé que les médecins qui avaient quitté le Québec l'avaient fait avant tout pour avoir un meilleur salaire et des conditions de travail plus avantageuses: 52 % des médecins avaient évoqué, comme motif principal, le revenu et un peu plus de 40 % avait dit avoir déménagé à la recherche d'un milieu professionnel plus stimulant.
«Dans des milieux où les conditions [d'exercice] sont assez identiques, comme Gatineau versus Ottawa, c'est clair que ce sont des critères comme la disponibilité des postes et la charge de travail qui vont jouer davantage sur la décision d'un médecin», a soutenu Henriette Bilodeau, chercheuse au Groupe de recherche interdisciplinaire en santé (GRIS) de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal, auteur de l'étude citée ci-dessus.
Et encore faut-il que le médecin ontarien désirant venir au Québec puisse exercer à un endroit de son choix. «Un médecin [souhaitant] venir dans un milieu plus universitaire doit par exemple s'assurer qu'il y a des postes disponibles au CHUM ou à McGill. Il y a peut-être des médecins ontariens qui veulent travailler en région, mais ce n'est pas nécessairement une majorité», a fait remarquer Mme Bilodeau.
Elle ajoute en outre que l'aspect linguistique peut plus naturellement jouer en défaveur du Québec.
Une question de rémunération?
Au moment de la signature, le ministre de la Santé Yves Bolduc avait lui-même reconnu que la nouvelle entente sur la mobilité de la main-d'oeuvre pourrait amener des médecins québécois à aller exercer en Ontario. Mais il s'était dit confiant que ce déséquilibre allait être corrigé par la venue d'un grande nombre de médecins immigrants impatients de venir au Québec.
Ses déclarations avaient fait bondir la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) qui soutenait que l'écart salarial était beaucoup trop grand. En Ontario, la rémunération des spécialistes est de 30 à 50 % plus élevée qu'au Québec, a indiqué la FMSQ. «Si vous venez pratiquer au Québec, vous venez dans la province où les médecins sont le moins bien payés», admet le président du Collège des médecins du Québec.
Alors que le revenu moyen d'un médecin québécois était l'un des plus élevés au début des années 70, les plus récentes données de l'Institut canadien de l'information sur la santé ont révélé que les médecins québécois gagnent moins que leurs confrères des autres provinces. Cet écart s'est accru entre 2005 et 2007 et se remarquait davantage pour les spécialités de la psychiatrie et de la neurochirurgie. En 2008, le ministère de la Santé avait accepté d'augmenter de 26,5 à 35 % la rémunération des médecins d'ici à 2015-16.
L'Ontario et le Québec regroupent à elles seules 80 % de tous les médecins qui oeuvrent au Canada.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->