Le projet de loi no 62 sur la neutralité religieuse doit refléter l’état du droit

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Une ex-bâtonnière tombe à bras raccourcis sur le projet de loi 62

Le projet de loi no 62 constitue la troisième tentative du législateur québécois depuis une décennie de donner corps aux principes de laïcité et de neutralité religieuse de l’État et d’encadrer les demandes d’accommodements religieux dans les organismes étatiques, après les chantiers infructueux que furent les projets de loi no 94 de 2010 et no 60 de 2013, sans compter le projet de loi no 491 présenté en 2014 par l’ex-députée Fatima Houda-Pepin et, bien sûr, la commission Bouchard-Taylor de 2007-2008.


Vu l’urgent besoin de clarté juridique en ce domaine et l’ampleur des forces vives de la société civile mobilisées à cette fin depuis dix ans, le projet de loi no 62 doit faire oeuvre utile pour l’avenir. Il doit donc minimalement refléter l’état du droit au sujet du devoir de neutralité de l’État, clarifié par la Cour suprême du Canada dans l’important arrêt Mouvement laïque québécois de 2015, qui invalide le règlement sur la récitation de la prière au conseil municipal de la Ville de Saguenay. Or, c’est loin d’être le cas dans la teneur proposée du projet de loi no 62, tandis que s’achève bientôt son étude détaillée devant la Commission des institutions.


Aucune définition de la neutralité religieuse de l’État


Dans ce jugement unanime, la Cour suprême définit la neutralité attendue de l’État comme étant une « neutralité réelle » (par opposition à une neutralité bienveillante), dotée de deux composantes distinctes : « La neutralité réelle exige que l’État ne favorise ni ne défavorise aucune religion et s’abstienne de prendre position sur ce sujet. » Ainsi, l’État doit non seulement faire preuve d’autonomie (neutralité) à l’égard des religions, mais la puissance publique doit aussi respecter une obligation positive d’abstention (séparation) à l’égard des croyances. De ce fait, la Cour rejette le statu quo de la laïcité ouverte.


Alors que l’article 1 tel qu’amendé du projet de loi énonce que « la présente loi affirme la neutralité religieuse de l’État », cette notion de neutralité, qui est l’essence même de la loi, n’y est définie nulle part. Que peut-on alors penser de l’utilité de l’exercice ?


Mais il y a plus. Avant de préciser les contours précités de la neutralité de l’État, la Cour suprême note clairement cette omission législative : « Ni la Charte québécoise ni la Charte canadienne n’énoncent explicitement l’obligation de neutralité religieuse de l’État. » C’est donc au niveau hiérarchique supralégislatif des chartes des droits que le plus haut tribunal anticipe la présence de cette définition, ce que ne fait évidemment pas non plus le projet de loi no 62, et cela pour aucun des éléments de la loi. Une proposition qui visait à amender le préambule de la Charte québécoise et à y ajouter deux articles définissant la laïcité et neutralité de l’État, entérinée par les trois partis d’opposition, fut rejetée par les représentants de la majorité gouvernementale. Avons-nous un gouvernement qui aspire à réunir ou à diviser ?


Enfin, dans l’affaire Mouvement laïque québécois, la Cour suprême énonce que la neutralité religieuse de l’État doit s’incarner clairement dans ses représentants. Elle explique que « quand, dans l’exercice de leurs fonctions, les représentants de l’État professent, adoptent ou favorisent une croyance à l’exclusion des autres », il y a entrave au devoir de neutralité réelle de l’État.


Or, cette obligation minimale de neutralité et le devoir de réserve en matière d’expression religieuse qui en est le corollaire ne sont pas énoncés à l’article 4 proposé du projet de loi. En outre, cet article omet le second critère fort important de l’abstention de prendre position dans l’exercice de leurs fonctions, qui donne pourtant consistance au devoir de neutralité, afin que « l’État demeure — en fait et en apparence — ouvert à tous les points de vue, sans égard à leur fondement spirituel ».


La neutralité de l’État : condition première du pluralisme


La neutralité de l’État ne s’inscrit pas à l’encontre de la liberté de religion et de conscience, elle en est une « conséquence nécessaire », nous dit la Cour suprême. « En n’exprimant aucune préférence, l’État s’assure de préserver un espace public neutre et sans discrimination à l’intérieur duquel tous bénéficient également d’une véritable liberté de croire ou ne pas croire, en ce que tous sont également valorisés. »La laïcité vise l’égalité de tous les citoyens et leur émancipation personnelle, fondements d’un État libre et démocratique. Ajoutons que la neutralité de l’État s’avère au bénéfice de toute la collectivité, et non de la seule majorité.


Le projet de loi no 62 soulève une question de principe, de principe fondamental, et aurait dû être vu comme un instrument de prévision et de prévention, et non simplement comme un remède.



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