Les enseignements de la cour suprême

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La neutralité religieuse de l'État, un impératif démocratique

Monsieur le premier ministre,

La laïcité ne menace pas le pluralisme sociétal : elle en est la condition première. Être neutre au plan religieux ne signifie pas pour l’État être apathique au plan politique, bien au contraire. Voilà le puissant message qu’adresse la Cour suprême du Canada au législateur québécois dans l’arrêt Mouvement laïque québécois de 2015, invalidant le règlement sur la récitation de la prière au conseil municipal de la Ville de Saguenay. Dans un rare prononcé jurisprudentiel unanime en cette matière, le plus haut tribunal livre des enseignements auxquels vous devriez être attentif, à titre de premier ministre de tous les Québécois et Québécoises. Ils sont au nombre de quatre, les voici en bref.

LA NEUTRALITÉ RELIGIEUSE DE L’ÉTAT : UN IMPÉRATIF DÉMOCRATIQUE

Sous la plume du juge Clément Gascon, mais avec l’influence marquée du juge Louis LeBel qui s’apprêtait alors à quitter la Cour, et qui s’est toujours montré soucieux de la dimension sociétale et non seulement individuelle de la liberté de religion, cet arrêt marquant énonce que « l’obligation de neutralité religieuse de l’État relève d’un impératif démocratique », rien de moins. Pourtant, malgré un contexte social pressant, le législateur a fait défaut de reconnaître et de définir le principe de neutralité étatique et celui de la séparation de l’État et de la religion, et de les enchâsser à titre de principes juridiques fondamentaux. La Cour suprême note clairement cette omission législative : « Ni la Charte québécoise ni la Charte canadienne n’énoncent explicitement l’obligation de neutralité religieuse de l’État. »

LA NEUTRALITÉ DOIT ÊTRE RÉELLE : REJET DE LA LAÏCITÉ OUVERTE

En traçant les contours de l’obligation de neutralité religieuse de l’État en matière de liberté de conscience et de religion, la Cour suprême opte pour la neutralité réelle et rejette la neutralité bienveillante que la Cour d’appel avait adoptée pour conclure que la prière ne constituait pas une atteinte au devoir de neutralité de l’État. De ce fait, la Cour rejette le statu quo de la laïcité ouverte, préconisée par le rapport de la commission Bouchard-Taylor. Il y a là un message significatif.

L’ÉTAT S’INCARNE DANS SES REPRÉSENTANTS

S’agissant du devoir des représentants de l’État, la Cour suprême trace la voie d’une neutralité religieuse de l’État qui doit être clairement incarnée dans ses représentants. La Cour énonce en effet que « quand, dans l’exercice de leurs fonctions, les représentants de l’État professent, adoptent ou favorisent une croyance à l’exclusion des autres », il y a entrave au devoir de neutralité réelle de l’État.

L’INSÉCURITÉ JURIDIQUE ACTUELLE

L’absence d’un cadre législatif afin d’aménager la neutralité de l’État génère deux problèmes majeurs : un déficit démocratique de nature politique et une insécurité juridique. À titre d’illustration, entre l’introduction du recours du citoyen Simoneau de la Ville de Saguenay en 2008 et le jugement final de la Cour suprême en 2015, il aura fallu sept ans, et les jugements parfois contradictoires de trois instances distinctes, avant de dénouer le dossier très médiatisé de la récitation de la prière au conseil municipal. À un tel rythme, il nous faudra 600 ans avant de définir les contours de l’obligation de neutralité religieuse de l’État !

UN CONTEXTE LÉGISLATIF QUI DOIT VISER L’INTÉRÊT GÉNÉRAL

La laïcisation progressive du Québec, amorcée depuis la Révolution tranquille, a permis l’émergence d’un Québec moderne et pluraliste. Les Québécois ont déployé beaucoup d’efforts et continuent de faire des concessions pour que cette laïcité se matérialise. Ils ont déconfessionnalisé leurs écoles publiques, renonçant à des droits et privilèges constitutionnels garantis, ont accepté que les commerces ne puissent être obligatoirement fermés le dimanche pour favoriser la foi chrétienne et, plus récemment, ils comprennent que les pouvoirs publics, comme les conseils municipaux, doivent renoncer à la récitation d’une prière, une telle pratique excluant les citoyens incroyants. Ils s’attendent donc réciproquement à la même preuve d’ouverture de la part de leurs compatriotes de toutes origines et de toutes confessions. C’est ce qui s’appelle la « citoyenneté partagée ».

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