Le professeur Gilles Paquet, scientifique contestataire

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La Révolution tranquille a tué le capital social du Canada français


Le professeur Gilles Paquet, de l’Université d’Ottawa, vient de nous quitter pour toujours. La mort de ce scientifique contestataire laisse un grand vide parmi tous les collègues en sciences humaines qui l’ont côtoyé depuis 60 ans. Ma peine de le perdre est grande.


Ayant lu à un tout jeune âge l’Histoire économique et sociale du Québec 1760-1850 de Fernand Ouellet, j’ai adhéré au départ à l’image que les littérateurs de son époque ont construite de la société canadienne-française d’autrefois : un peuple empêtré dans une irrationalité aveugle et un conservatisme indécrottable, qu’il fallait sortir au plus tôt de son état d’arriération économique et sociale. Cependant, dans les années 1970, les travaux de Gilles Paquet et de son inséparable collègue Jean-Pierre Wallot, colligés dans leur livre récent Un Québec moderne 1760-1840, m’ont fait découvrir que les habitants canadiens-français n’étaient pas exactement la bande d’arriérés qu’on avait dit. Ces gens avaient des raisons de faire ce qu’ils faisaient. Le devoir des chercheurs était de comprendre cette rationalité avant de juger.


Paquet et Wallot ont établi que les habitants maximisaient astucieusement le rendement économique sous les contraintes institutionnelles et géotechniques auxquelles ils étaient confrontés. De plus, ils ont démontré que les Canadiens français ont commencé à entrer dans la modernité dès la fin du XVIIIe siècle, passant de la trappe et de l’agriculture au capitalisme commercial, puis industriel, et luttant pour accéder au parlementarisme responsable. Gilles Paquet et Wallot ont fait la preuve qu’en histoire, comme dans les autres sciences humaines, la minutie quantitative est payante, pourvu que la longue et pénible identification de chacun des arbres ne finisse pas par faire perdre de vue la forêt et sa trame événementielle.


J’ai ensuite appris à connaître plus personnellement cet admirable contestataire qu’était Gilles Paquet. Les chercheurs qui font avancer les choses ne sont pas les suivistes qui ajoutent des points-virgules à l’orthodoxie dominante, mais plutôt les contestataires qui, comme lui, mettent en question des pans de l’ordre intellectuel reçu. Son analyse de l’arriération économique présumée des Canadiens français ressort tout particulièrement. Non seulement elle a rejeté la pensée conventionnelle des bien-pensants de l’époque, mais elle a proposé une interprétation alternative cohérente.


Capital communautaire


Sur le sujet de la croissance économique du Québec au XXe siècle, Paquet s’est surtout appliqué à comprendre la politique économique de Maurice Duplessis et de Jean Lesage. Son pamphlet Oublier la Révolution tranquille n’a pas été tendre pour les artisans et les profiteurs de cette révolution. La thèse qui s’y trouve avancée est qu’en pratiquant la coupe à blanc dans les institutions traditionnelles du Québec, ces gens bien intentionnés ont malheureusement saccagé une partie du capital communautaire que nous avions accumulé depuis deux siècles. Même si ce brûlot n’a pas la solidité du travail scientifique que Paquet a accompli avec Wallot sur la période 1760-1840, il contient néanmoins un élément de vérité sur lequel nous nous devons de réfléchir.


Au Canada, Paquet est l’un des premiers économistes à avoir promu l’économie behaviorale, laquelle vise à intégrer en économie les découvertes de la psychologie et de la sociologie. Son insistance sur le rôle économique fondamental de l’identité, des institutions et du capital social a été précoce. Il n’a pas attendu les grands économistes et sociologues contemporains pour le mettre en lumière.


Paquet a ardemment défendu l’insertion de l’intellectuel dans la vie publique. En ce domaine, il a montré la voie en s’impliquant plus que tout autre économiste canadien de sa génération dans les corps scientifiques (comme dans l’Association canadienne d’économique et la Société royale du Canada) et dans l’activité médiatique (comme dans son émission hebdomadaire à Radio-Canada). Il fut, à une époque, le Fernand Seguin de l’économie. Il a été une inspiration pour ceux d’entre nous qui cherchent à débarrasser l’analyse économique de ses oeillères disciplinaires et à communiquer leurs intuitions de base à un public large.


Paquet n’a pas toujours eu raison. Mais même quand il s’est trompé, il l’a fait de la bonne manière, et jamais sur une insignifiance. Il a compris très tôt la mise en garde de son collègue et ami Maurice Bouchard, de l’Université de Montréal : « Attention au conformisme, c’est la plaie de l’Université. » Le conformisme, Paquet l’a combattu sans relâche, avec énergie et perspicacité, souvent avec panache. Puissions-nous être plus nombreux à suivre son exemple.

 









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