En avril dernier, la sénatrice Diane Bellemare a proposé au Parlement que la Loi sur la Banque du Canada soit mise à jour. La Banque gère les taux d’intérêt au pays. En rendant l’argent cher, elle décourage la dépense, ce qui ralentit l’emploi et l’inflation. À l’inverse, en rendant l’argent facile, elle encourage la dépense, ce qui favorise l’emploi et active l’inflation.
La Loi sur la Banque du Canada, qui date de 1934, ne contient qu’une vague exhortation à stabiliser les prix et l’emploi. Son rôle exact n’est pas précisé. Depuis 1991, une entente formelle entre la Banque et le gouvernement fédéral, renouvelée tous les cinq ans, a cherché à combler ce vide, mais seulement en partie. L’unique mandat de la Banque, selon l’entente, est de maintenir le taux d’inflation autour du niveau stable et modéré de 2 %.
La sénatrice Bellemare convient parfaitement de la nécessité de contenir l’inflation, mais juge que l’objectif de promouvoir l’emploi est tout aussi important. Elle s’inquiète du fait que ni la Loi ni l’entente ne donnent à la Banque le mandat explicite de protéger le Canada contre le chômage.
La requête de la sénatrice, qui consisterait à élargir le mandat de la Banque du Canada de façon à combler cette lacune, n’a rien d’original. Aux États-Unis, il y a 40 ans que la loi Humphrey-Hawkins ordonne à la banque centrale non seulement de minimiser l’inflation, mais aussi de maximiser l’emploi. L’organisme est soumis à des procédures de transparence envers le public et à l’obligation de rendre des comptes devant le Congrès. Des dispositions semblables s’appliquent en Australie et en Nouvelle-Zélande.
La sénatrice ne met nullement en doute la compétence des dirigeants de la Banque du Canada, qui affirment gérer les taux d’intérêt de manière prospective et flexible. Alors, à quoi servirait la mise à jour qu’elle propose ?
À deux choses. Premièrement, dans certaines circonstances, un mandat étendu à la protection de l’emploi pourrait bien améliorer la performance du Canada. À l’été 2010, la Banque du Canada a appliqué une hausse substantielle de 0,75 % à son taux d’intérêt directeur malgré un taux de chômage qui dépassait encore 8 %. De son côté, afin de combattre le chômage élevé aux États-Unis, la banque centrale américaine a au contraire maintenu sans broncher son taux directeur proche du plancher de 0 %. Or, au bout de quatre ans, en 2014, le taux de chômage n’avait diminué que d’un seul point au Canada, mais de quatre points aux États-Unis. La différence dans l’orientation des politiques monétaires y avait certainement contribué en partie. Manifestement, le resserrement monétaire de 2010 à 2014 au Canada avait été prématuré. Pourquoi les Canadiens ont-ils échoué là où les Américains ont réussi ? Il est tout probable que la banque centrale américaine s’était sentie pressée de restaurer l’emploi en vertu de Humphrey-Hawkins, alors que la Banque du Canada n’était guidée par aucune balise juridique de ce type. Ce à quoi la sénatrice propose de remédier.
Deuxièmement, en politique, le passé n’est jamais garant de l’avenir. Il n’est pas impossible qu’un futur gouverneur de la Banque du Canada soit moins préoccupé par l’emploi que le gouverneur actuel, et qu’en même temps un futur ministre fédéral des Finances vise l’austérité budgétaire sans égard à la conjoncture économique. Qui alors serait responsable de restaurer l’emploi au Canada si le pays devait essuyer une récession importante ? Avec une loi amendée qui donnerait à la Banque du Canada le mandat explicite de contenir l’inflation et de maximiser l’emploi, les Canadiens sauraient que leur banque centrale aurait l’obligation de défendre ces deux dimensions de leur bien-être, et non pas une seule. La Banque pourrait s’employer, en privé comme en public, à convaincre le ministre des Finances de gérer son budget de manière plus appropriée au contexte économique. Aux États-Unis, la Réserve fédérale est vue comme un bouclier contre l’incurie du président et du Congrès en cas de récession. Un mandat élargi pourrait faire émerger au Canada la même perception populaire favorable à la banque centrale.
La proposition Bellemare protégerait mieux le Canada contre les risques économiques et politiques. Le double mandat réclamé par la sénatrice a reçu l’appui signé d’une soixantaine d’économistes canadiens. Il faut se joindre sans hésiter à ce mouvement plein de bon sens.