Jacques Duchesneau au Devoir

«Le problème est plus grave qu'on pense»

Le patron de l'Unité anticollusion a hâte d'expliquer son rapport devant les élus à Québec

Actualité québécoise - Rapport Duchesneau


Kathleen Lévesque - Jacques Duchesneau est impatient de comparaître en commission parlementaire pour expliquer la teneur de son rapport sur la collusion, la corruption et le trafic d'influence qu'il a découverts chez des partenaires du ministère des Transports. Il promet que son témoignage apportera un éclairage supplémentaire sur le problème qui est «plus grave qu'on pense».
«Je n'utiliserai pas la langue de bois. Il arrivera ce qui arrivera», a affirmé hier au Devoir le grand patron de l'Unité anticollusion lors d'un entretien impromptu. M. Duchesneau se dit bien déterminé à démontrer «les failles du système qui ont été exploitées» par des firmes de génie-conseil, des entrepreneurs et le crime organisé.
Comme il l'écrit dans son rapport, le pire pourrait être à venir si rien n'est fait. Même si les soumissionnaires semblent avoir réduit leur appétit au cours des derniers mois, cela pourrait n'être qu'«un repli stratégique et momentané, présageant une prise de contrôle plus maîtrisée».
À cet égard, M. Duchesneau a souligné l'immense capacité d'adaptation des joueurs-clés qui orchestrent en secret les ententes frauduleuses. Ils s'ajustent au marché, évitent les obstacles réglementaires et législatifs et sont continuellement à l'affût des changements. Ainsi, selon lui, les groupes de collusion sont à géométrie variable.
«Tout bouge aussi en fonction de comment le gouvernement s'organise pour donner des contrats. Quand on met un système en place, dès le lendemain, ils vont trouver des moyens avec des ingénieurs, des notaires, des avocats, des comptables pour contourner les mesures en place», a précisé M. Duchesneau.
Le vaste programme de réfection d'infrastructures du gouvernement du Québec (16,2 milliards de dollars entre 2008-2013) constitue une cible commerciale importante pour le secteur privé et un terreau fertile pour fausser la concurrence.
D'ailleurs, selon des documents obtenus par le Parti québécois en vertu de la loi sur l'accès à l'information, les dépassements de coûts dans les projets du ministère des Transports ont atteint 83 millions, entre mai 2010 et juin 2011. Il s'agit d'une hausse générale de 26 % du coût des 117 projets concernés.
Des éléments comme ceux-ci font d'autant plus sourire Jacques Duchesneau que certaines personnes tentent de réduire son rapport à des allégations, ou que d'autres, comme le président de SNC-Lavalin, Pierre Duhaime, doutent des conclusions auxquelles en arrive son équipe d'enquêteurs. M. Duchesneau a rappelé que le travail de son unité s'appuie sur 2500 heures d'entrevue et que rien n'y est anonyme. «Ensemble, nous sommes les porte-parole des victimes de ce qui se passe actuellement. [...] On a départagé le fantasme de la réalité ainsi que des éléments qui pourraient être amenés devant les tribunaux», a-t-il assuré.
Selon les informations qui circulaient hier lors de la reprise des travaux parlementaires à l'Assemblée nationale, la Commission de l'administration publique pourrait siéger dès la première semaine d'octobre afin d'entendre M. Duchesneau. Pour ce dernier, ce sera l'occasion de mettre un terme aux fausses «interprétations». Aussi, il entend apporter des précisions sur le délicat sujet du financement occulte des partis politiques, qui occupe seulement une page et demie de son rapport.
Tumulte parlementaire
Les conclusions du rapport Duchesneau ont rebondi en Chambre hier. Des députés sont revenus à la charge concernant le salaire supplémentaire de 75 000 $ dont a bénéficié le premier ministre jusqu'en 2010, laissant sous-entendre qu'il pourrait y avoir un lien avec le phénomène de la corruption.
À une question de Pauline Marois, Jean Charest a répondu en citant ce passage du rapport Duchesneau: «Le tout garde encore un caractère exploratoire et demande à être complété, notamment à l'occasion d'autres rencontres. Nous croyons donc prudent de ne pas généraliser sur cette base ou d'en tirer des conclusions hâtives.» Le premier ministre a conclu avec un sourire qu'il avait été finalement «avantageux» pour lui de lire ce rapport qu'il avait admis n'avoir consulté qu'en partie, vendredi. «Ça a été une bonne idée de le faire», a-t-il insisté.
De son côté, le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, a reconnu que les Québécois «pensent que le meilleur moyen de régler le problème, c'est une commission d'enquête publique». Mais il a prestement ajouté: «Nous ne sommes pas de cet avis-là.» Le peuple se trompe-t-il? Non, a expliqué M. Dutil avant d'ajouter: «Je maintiens que ce que la population veut, c'est que le nettoyage se fasse. Il faut prendre les meilleurs moyens pour que ça se fasse.»
Par ailleurs, le ministre Dutil a dit ignorer s'il y a des frictions entre Robert Lafrenière, le commissaire à la tête de l'Unité permanente anticorruption, et Jacques Duchesneau. Selon le ministre, M. Duchesneau fait partie de ces «meilleurs éléments» pointés par la présidente du Trésor, Michelle Courchesne, récemment. «Et je souhaite que tous les meilleurs éléments disponibles puissent travailler ensemble», a-t-il indiqué.
Invité à commenter ses relations avec M. Lafrenière, Jacques Duchesneau s'est borné à indiquer qu'ils avaient eu une rencontre «tout à fait correcte» lundi.
***
Avec la collaboration d'Antoine Robitaille


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->