Le pire est à venir

La baisse des prix des soumissions pourrait n'être qu'un repli stratégique «présageant une prise de contrôle plus maîtrisée» de l'industrie, craint Duchesneau

Actualité québécoise - Rapport Duchesneau


Kathleen Lévesque - Jacques Duchesneau craint que la baisse des prix des soumissions constatée depuis la création de l'opération Marteau puis de l'Unité anticollusion ne soit qu'un repli stratégique «présageant une prise de contrôle plus maîtrisée», écrit-il dans son rapport.
L'Unité anticollusion, menée jusque-là par M. Duchesneau, estime que cette accalmie a permis au ministère des Transports d'économiser 347 millions de dollars. Cette somme correspond à la différence entre les estimations des travaux faites par des firmes de génie-conseil et le coût prévu lors de la signature des contrats au cours de l'année 2010.
Mais s'il y a lieu de se réjouir de cet assainissement au bénéfice de l'ensemble des contribuables, écrit M. Duchesneau, il ne faut pas se leurrer: «Lorsqu'un partenaire de collusion obtient un contrat à un prix apparemment avantageux pour le ministère, la manoeuvre est malgré tout condamnable en soi.» De plus, si des firmes d'ingénieurs et des entrepreneurs freinent leurs ardeurs, cela n'exclut pas qu'il puisse y avoir «un climat de menaces, d'intimidation, de représailles, la présence opportuniste du crime organisé et le blanchiment d'argent». Et surtout, note M. Duchesneau, «ce prétendu avantage peut correspondre à un repli stratégique et momentané, présageant une prise de contrôle plus maîtrisée».
En novembre 2010, Le Devoir exposait ce que les milieux policiers et municipaux appellent l'«escompte Marteau», soit le recul des prix dans l'industrie où de gros joueurs se savent surveillés, le temps que l'attention se détourne.
Un an auparavant, Le Devoir avait révélé à quel point la frontière entre le public et le privé s'est atténuée au fil des ans au sein du ministère des Transports. Le contrôle du processus d'octroi de contrats est partagé avec les firmes de génie-conseil. Plus encore, le ministère leur a ouvert la porte pour que ces dernières s'installent dans le centre névralgique des décisions: les firmes de génie siègent au comité de concertation, d'où émane la planification stratégique des travaux du ministère. Ce qui était jusque-là la prérogative de l'État (rédaction des appels d'offres jusqu'à la sélection des entrepreneurs, par exemple) est maintenant la platebande commerciale des firmes de génie.
Pour l'instant, le ministère gouverne la concurrence autant qu'il est gouverné par elle, constate le rapport. C'est pourquoi le ministre des Transports doit resserrer certaines mesures du processus d'appel d'offres public, en plus de demander à Ottawa de raffermir la loi pour que la collusion puisse mener à la prison.
À cet égard, M. Duchesneau souligne avoir isolé 13 dossiers «pouvant comporter des éléments criminels», transférés à l'opération Marteau. Toutefois, le rapport reconnaît la complexité de faire la lumière dans ce genre de dossier puisque la collusion repose sur des ententes secrètes et le crime organisé n'est jamais bien loin.
Aussi, le rapport souligne les grandes capacités d'adaptation des soumissionnaires. «Lorsque des règles sont mises en place, il se trouve rapidement des personnes imaginatives qui s'ingénient à vouloir passer outre, comme s'il s'agissait d'obstacles à surmonter», note M. Duchesneau.
Selon l'Unité anticollusion, la formule des consortiums peut «camoufler» de la collusion. «Considérés comme un mal nécessaire, les consortiums favoriseraient même une sorte de concurrence sympathique, rendant la collusion presque impossible à déceler», peut-on lire dans le document.
Le cartel des entrepreneurs
Les firmes de génie-conseil ne sont pas les seules à orchestrer le jeu de la concurrence. Les entrepreneurs jouent un rôle majeur et c'est pourquoi «leur nombre est strictement contrôlé», écrit M. Duchesneau.
Ce dernier explique que les associations professionnelles fournissent «l'occasion de resserrer les normes de l'industrie de façon à limiter les nouvelles entrées». Ainsi, une entreprise peut être invitée à «faire partie d'un cartel» à moins qu'elle soit achetée. Parfois même, «on les dissuade de diverses manières» (intimidation, difficultés d'approvisionnement en matériaux, menaces de mort). «La peur est un puissant instrument de contrôle, car elle a le génie d'inventer le scénario du pire», rappelle le rapport.
Ces entrepreneurs ont le champ libre puisque les risques sont minimisés avec «peu de dénonciations et des pénalités peu importantes, eu égard aux gains, de sorte qu'un cartel peut s'inscrire dans la durée», souligne le rapport.
***
Avec la collaboration de Mélissa Guillemette


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->