Le pétrole et l'indépendance énergétique

Une vision à long terme commande de laisser nos réserves où elles se trouvent, au bénéfice des générations futures de Québécois.

Pétro-Québec

Paul Charron - Le Devoir d'hier rapporte que la ministre Nathalie Normandeau aurait déclaré qu'elle estime qu'au Québec, l'exploitation sur la terre ferme des hydrocarbures serait nécessaire pour assurer une plus grande indépendance du Québec par rapport à un approvisionnement extérieur. Elle considérerait qu'il n'y a pas là de contradiction avec la volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre «parce que notre économie va encore dépendre du recours au pétrole dans [sic] quelques années». Actuellement, dit-elle, le pétrole nous permet de combler 38 % de nos besoins énergétiques. Dans 15 ans, il va combler encore 33 % de nos besoins. Il faut arrêter de se leurrer. Le pétrole va encore faire partie de nos vies. Il va encore faire partie de notre économie.
Le fait de réduire de 38 % à 33 % la part du pétrole dans l'apport énergétique est sans doute un pas dans la bonne direction, mais sur une période de 15 ans, c'est bien insuffisant. Il est vraisemblable que l'augmentation des besoins énergétiques au cours de la même période aura pour effet que la quantité totale de pétrole consommé, si l'hypothèse de la ministre se révèle exacte, sera égale ou supérieure à ce qu'elle est actuellement. Le maintien d'un tel apport des hydrocarbures au bilan énergétique du Québec est contradictoire avec la volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Par ailleurs, la proportion de pétrole dans le bilan énergétique est une question indépendante de l'origine de ces hydrocarbures. L'indépendance énergétique est-elle si souhaitable, si elle implique une plus grande pollution chez nous? Égoïstement, je préfère une marée noire dans le golfe du Mexique à une marée noire de même ampleur dans le golfe du Saint-Laurent. Du point de vue de l'écologiste, qui voit globalement, ces deux marées sont aussi détestables l'une que l'autre. C'est l'homo économicus en moi qui préfère la marée noire ailleurs parce que si cela se passe ailleurs, il n'aura pas à subir la saleté et à payer les frais de nettoyage. C'est le même animal économique qui souhaite l'indépendance pétrolière afin de se protéger contre les éventuelles hausses de prix du pétrole importé et d'empocher les éventuels profits du pétrole exporté. Cependant, la récente marée noire lui fait réaliser que, si on considère tous les coûts associés à la dépollution, au risque de déversements de pétrole et aux changements climatiques, le profit n'est peut-être pas si grand, à long terme, qu'il n'y paraît.
Le long terme contre le court terme; c'est bien ce dont il s'agit ici. Madame la Ministre, en bonne politicienne, pense à court et à très moyen terme. Il est exact que le pétrole continuera à faire partie de nos vies, de notre économie. S'agissant d'hydrocarbures et de changements climatiques, c'est le long terme qu'il faut envisager. Quoi que puissent en penser ces Albertains qui croient que Dieu a créé leur pétrole en même temps que le reste de l'univers, il y a quelque 10 000 ans, quelque part entre le 3e et le 5e jour biblique, l'élaboration des hydrocarbures dans le ventre de la Terre est un phénomène qui s'étend sur des centaines de milliers d'années. Les réserves de pétrole actuelles, connues ou à découvrir, sont les seules dont l'humanité pourra bénéficier avant longtemps. Le rythme actuel d'utilisation de cette ressource n'est pas soutenable pendant plus de quelques dizaines d'années. Lorsque nos réserves seront épuisées, il suffira d'attendre quelques centaines de milliers d'années pour que le stock se reconstitue.
Ce produit doit être considéré comme extrêmement rare. C'est pourquoi il est cher et qu'il deviendra rapidement plus cher dans les années, les décennies et les siècles à venir.
Une vision à long terme commande de laisser nos réserves où elles se trouvent, au bénéfice des générations futures de Québécois. Entre-temps, des méthodes plus sécuritaires d'exploitation pourront être développées. De plus, comme d'autres sources d'énergie existent (solaire, éolien), il devrait être considéré comme aberrant d'utiliser cette ressource rare et polluante à des fins énergétiques puisque les hydrocarbures entrent dans la composition d'une multitude de produits et qu'il conviendrait de vouer les réserves existantes à ces seules fins.
Aussi, quand la ministre des Ressources naturelles et de la Faune du Québec déclare qu'il faut arrêter de se leurrer et se mettre à exploiter sur la terre ferme les hydrocarbures enfouis dans le sol québécois, je me demande qui, au juste, leurre qui. Je crois au contraire qu'il faut arrêter de se leurrer et investir au plus vite et de façon massive dans les énergies non polluantes. C'est là que se situe la voie de l'avenir proche et lointain, aussi bien pour l'économie du Québec que pour la sauvegarde du climat, de la diversité biologique et de la santé des plantes, des bêtes et des hommes.
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Paul Charron - Lévis


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