Le noeud de vipères

Avant de tout chambarder, il serait peut-être utile qu’une enquête publique nous dise exactement ce qui ne va pas.

Enquête publique - un PM complice?


Cela fait maintenant 36 ans que la commission Cliche, créée au lendemain du saccage de la Baie-James, a recommandé de modifier le règlement de placement dans l'industrie de la construction.
L'ancien ministre du Travail dans le gouvernement Bourassa, Jean Cournoyer, a expliqué mardi que cela lui avait semblé une mission impossible à l'époque et aucun de ses successeurs n'a osé remettre les fondements du système en question. C'est à se demander si l'actuelle ministre, Lise Thériault, et la présidente de la Commission de la construction (CCQ), Diane Lemieux, ont bien compris dans quoi elles s'embarquaient.
C'est surtout la précipitation avec laquelle le gouvernement entend agir qui laisse sceptique. Si personne n'a trouvé de solution de rechange viable en plus de trois décennies, comment pourra-t-on y arriver en l'espace de quelques mois? Mme Thériault ne s'attend pas à faire l'unanimité, mais encore faudrait-il qu'un minimum de consensus se dégage.
Créer une nouvelle escouade permanente de lutte contre la corruption sur le modèle new-yorkais n'était pas très compliqué. Faire le ménage dans l'industrie de la construction, sans la paralyser ou y mettre carrément le feu, est une opération nettement plus délicate.
Ce n'est pas par caprice que cette industrie est régie par une loi distincte du Code du travail. C'est un secteur complexe, dont le régime de relations de travail n'a pas d'équivalent ailleurs en Amérique du Nord, où on ne retrouve pas le même pluralisme syndical, ni même l'obligation d'appartenir à un syndicat. Bref, un véritable noeud de vipères qui exclut les solutions simplistes.
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Tout n'est pas nécessairement pourri. Même si le placement de la main-d'oeuvre par les syndicats est clairement une source de discrimination et d'intimidation sur les grands chantiers, la grande majorité des travailleurs de la construction se placent eux-mêmes ou sont recrutés directement par les employeurs.
L'industrie a néanmoins très mauvaise presse. Ce n'est peut-être plus la jungle d'il y a quarante ans, mais les exactions de la FTQ-Construction et de son agent d'affaires sur la Côte-Nord, Bernard «Rambo» Gauthier, tout comme la grossièreté de son ancien directeur général, Richard Goyette, ont choqué l'opinion publique.
À son dernier conseil général, l'ADQ a proposé de confier l'ensemble du placement sur les chantiers à un organisme indépendant, comme le recommandait la commission Cliche. À la suite de l'enquête sur le fiasco de la Gaspésia, l'ancien ministre du Travail Laurent Lessard avait lui-même demandé à la CCQ d'étudier la possibilité de se charger elle-même du placement, mais cela n'a pas eu de suite.
Diane Lemieux propose maintenant d'utiliser Internet pour créer un «système de référence» informatisé auquel travailleurs et employeurs pourraient avoir recours en lieu et place des bureaux de placement. Il ne s'agit pas de briser le monopole syndical, mais de «diversifier l'offre», a-t-elle expliqué. Un bel euphémisme.
Il reste à voir dans quelle mesure le modèle de l'Alberta, où la culture des relations de travail est très différente, peut être importé. Seuls les syndicats disposent actuellement de toute l'information requise à la création d'un tel système et leur collaboration est loin d'être acquise.
La ministre du Travail entend également revoir les modalités du vote lors du maraudage syndical, qui donne lieu tous les trois ans à un sérieux tordage de bras. En réalité, il serait plus juste de parler d'une présomption de vote, dans la mesure où on présume que celui qui ne vote pas souhaite être représenté par le même syndicat. Or, depuis 1978, le taux de participation n'a pas excédé 10 %. Allez donc savoir pourquoi!
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Même s'il a déploré que certaines questions, comme la syndicalisation obligatoire ou la présence d'un délégué syndical sur les chantiers, ne soient pas à l'ordre du jour, le président du Conseil du patronat du Québec, Yves-Thomas Dorval, s'est réjoui de la révision annoncée, qui «témoigne de l'écoute de la ministre auprès des employeurs du Québec».
À l'époque où il était dirigé par Ghislain Dufour, qui avait une formation en relations industrielles, le CPQ manifestait un certain pragmatisme. Malgré les abus qu'il peut engendrer, les gros employeurs trouvent généralement leur compte dans le règlement de placement, qui permet de répondre rapidement à leurs besoins.
M. Dorval a une approche plus idéologique. Selon lui, c'est l'ensemble de la législation québécoise sur les relations de travail qui est trop favorable aux syndicats, dans la construction comme ailleurs.
Tout en se disant prêt à participer à la consultation annoncée par Mme Thériault, le directeur général de la FTQ-Construction, Yves Ouellet, entend surtout «s'assurer de protéger les droits des travailleurs», c'est-à-dire les privilèges syndicaux. Le dialogue s'annonce difficile.
La CSN Construction, qui est un joueur moins important, a tout avantage à ce que le système change, mais son président, Aldo Miguel Paolinelli, a raison de dire que «la ministre procède à l'envers». Avant de tout chambarder, il serait peut-être utile qu'une enquête publique nous dise exactement ce qui ne va pas.


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