À Québec, la dégradation du lac Saint-Charles donne lieu à une mobilisation sans précédent pour protéger les sources en eau potable. Une bataille qui risque de s’étirer sur plusieurs années et faire des petits ailleurs au Québec.
Mardi soir, à l’hôtel de ville de Québec, des experts sont venus expliquer l’ampleur des dommages aux conseillers municipaux. Avant Noël, on apprenait en effet qu’en cinq ans, le lac Saint-Charles a pris 25 ans d’âge. « Ce n’est pas normal », a souligné Mélanie Deslongchamps, directrice de l’Association pour la protection de l’environnement du lac Saint-Charles et des Marais du Nord (APEL). « Tout le monde va devoir fournir sa part d’efforts », a-t-elle répété en montrant des photos inquiétantes de l’état du lac.
Les plantes envahissantes ont littéralement envahi ce réservoir naturel qui fournit en eau 300 000 résidants. Les cyanobactéries aussi sont en augmentation.
À l’autre bout de la salle, les conseillers ne cachaient pas leur découragement. « Ce qu’il y a à faire comme travaux m’apparaît presque herculéen », a réagi la conseillère Anne Guérette.
Quelques minutes plus tard, le maire Régis Labeaume en remettait. Selon lui, la capitale présage ce qui arrivera ailleurs au Québec. Des rapports sur l’état de sources d’eau commandés par le gouvernement aux villes d’ici à 2022 vont faire peur, prévoit-il. « Ce qui va sortir de là, ça va être un monstre incroyable. » Il plaide que la situation pourrait être bien pire dans les régions où le bassin versant traverse des zones agricoles et industrielles, ce qui n’est pas le cas de Québec. « Imaginez-vous le reste du Québec ! […] Ça ne sera pas beau. »
La Communauté métropolitaine de Québec (CMQ) avait pourtant déjà agi pour protéger la prise d’eau. En 2010, les élus avaient voté un règlement de contrôle intérimaire (RCI) pour limiter les constructions en pente et dans les zones inondables. On avait aussi renforcé la réglementation sur les fosses septiques et l’abattage d’arbres.
Or ce n’était visiblement pas assez. Un moratoire sur les nouvelles constructions dans le bassin versant a donc été adopté avant Noël, et la CMQ prépare un nouveau RCI plus sévère dont on connaîtra la teneur en mars. Un spécialiste d’Ouranos, François Morneau, coordonne sa mise en oeuvre avec le concours de l’avocat Daniel Bouchard, un expert en droit municipal, environnemental et administratif. Et encore, le RCI ne vise qu’à stopper la dégradation. Un plan d’action des élus devra s’ajouter pour réparer les erreurs du passé.
Les causes
À Québec, le principal fautif est l’étalement urbain. La multiplication des constructions en montagne qui ne sont pas reliées aux égouts a mis une pression indue sur les cours d’eau.
« On se sert des systèmes d’assainissement individuel à mauvais escient », résumait M. Morneau en entrevue jeudi. « À l’origine, on avait permis ce genre d’installation pour le petit chalet dans le fin fond des bois. […] Sauf qu’on a développé des banlieues avec cette technique-là ! »
Dans la couronne nord, on recense pas moins de 5000 résidences de ce type. On estime que dans la plupart des cas, leurs champs d’épuration sont inefficaces et les bactéries rejoignent facilement les cours d’eau. Soit le sol n’est pas adéquat pour l’absorber, soit la durée de vie du champ est dépassée depuis longtemps. Parfois, les terrains sont simplement trop petits pour que le sol puisse absorber les nutriments, ou encore on brise l’équilibre en y ajoutant une piscine, par exemple.
Mais ce n’est pas tout. « Même si l’installation est parfaite », elle ne fait qu’absorber les bactéries E. coli, a expliqué Mélanie Deslongchamp. Le phosphore et l’azote traversent toutes ces installations et ce sont eux qui nourrissent les plantes aquatiques dans le lac Saint-Charles. Et c’est sans compter les médicaments…
Cette semaine, le maire Labeaume a évoqué la possibilité que Québec paye la facture du raccordement aux égouts des maisons de Stoneham et de Lac-Delage. Après avoir mentionné des coûts de 100 millions qui ont fait les manchettes, il s’est ravisé en faisant valoir que les autres devraient payer une partie de la facture.
Certains donnent l’exemple de la ville de New York, qui a payé ses voisines du nord pendant les années 1990 afin de protéger leur bassin naturel, les Catskills. « Au lieu d’investir 5, 6 milliards $US dans une usine de traitement de l’eau, ils ont pris une partie de l’argent pour s’entendre avec la communauté au nord, limiter le développement et changer certaines pratiques », signale M. Morneau.
Une loi dépassée ?
La réflexion en cours à Québec met aussi en évidence les limites des lois existantes. À l’heure actuelle, les obligations des municipalités sont minimales en matière de protection de l’eau potable, a soutenu Me Bouchard.
Mais tout ne relève pas des villes. La décision de construire des autoroutes relève du ministère des Transports, tout comme la pollution causée par les sels de déglaçage qui s’ensuit. Dans le cas de Québec, la nouvelle autoroute construite à Stoneham a beaucoup contribué à la détérioration du lac Saint-Charles. Que faire pour en limiter les impacts ?
Selon M. Morneau, on devrait s’inspirer des Scandinaves et établir ce qu’on appelle des « routes blanches » avec moins de sels et de vitesse. On a une autoroute au milieu d’une réserve faunique. « Les pays scandinaves ont fait ces choix-là depuis longtemps. […] On baisse la vitesse, on met des pneus avec des clous et on change nos pratiques de conduite. »
Mais même avec la meilleure volonté du monde, le gouvernement ne peut pas tout faire. Impossible par exemple de toucher aux sablières et aux cimetières d’automobiles qui polluent le bassin versant. Créés à une époque où on ne pensait pas aux enjeux de l’eau, ils ont des droits acquis.
Ce genre de site pourrait être transformé en parc, comme on l’a fait avec le Village Vacances Valcartier, ont souligné les experts. Peut-être même en ensembles résidentiels, a-t-on ajouté.
Exemple ou cas particulier ?
Reste maintenant à savoir si le cas de Québec constitue un signal d’alarme pour d’autres villes. François Morneau rétorque que c’est une « très, très bonne question ». Le maire Labeaume a-t-il exagéré en évoquant le monstre de 2022 ?
La réponse n’est pas claire. Toutes les villes ne s’approvisionnent pas en eau de surface comme c’est le cas à Québec. Par contre, il faut faire particulièrement attention aux lacs de villégiature le long de la vallée du Saint-Laurent, ajoute l’expert. « Ce sont des lacs qui sont peu profonds, ce qui les rend déjà en partie vulnérables. Ça ne prend pas beaucoup d’éléments polluants pour les dégrader rapidement. » Or tous ne sont pas des réserves d’eau comme le lac Saint-Charles.
Quant aux polluants agricoles évoqués par le maire Labeaume, M. Morneau souligne qu’ils sont effectivement très « nocifs ». « C’est pour ça qu’il y a 300 municipalités qui ont signé une pétition pour qu’il y ait un renforcement du règlement sur la protection et le prélèvement de l’eau potable. »
Ce qu’il y a d’inusité à Québec, ajoute-t-il, c’est que sa source d’eau dépend d’autres municipalités. « Ça nous oblige forcément à travailler ensemble pour trouver des solutions intégrées, et ça, c’est très particulier. » Cela rend la situation extrêmement délicate sur le plan politique. Malgré l’existence d’un certain consensus à la CMQ, les tensions sont déjà palpables entre M. Labeaume et Robert Miller, le maire de Stoneham.
Pour le reste, François Morneau plaide que le retard du Québec est généralisé en ces matières. « On est lents lents lents. Quand on va avoir trouvé les bobos : des usines à mettre aux normes, les problèmes de phosphore et d’azote, on en a pour des années. […] On n’est vraiment pas en avance là-dedans au Québec. Les États-Unis ont peut-être 40 ans d’avance sur nous ; l’Ontario, 15, et je ne vous parle même pas de l’Europe. »
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